C’est alors que M. Agossadou, en sa qualité de commissaire central de la ville de Cotonou nous informa que M. Boni Yayi a interdit le port de toute tenue de couleur rouge et, sans justifier de la loi qui habilitait l’intéressé à le faire, précisa que lui même interdisait la même tenue. Réalisant que nous même étions vêtus d’une chemise de la même couleur, nous lui avons indiqué que nous la porterions en attendant qu’il nous transmette l’ordre de la loi qui prononça cette interdiction. Quelques minutes après, nous avons envisagé de nous déplacer, avec notre véhicule, M. Séraphin Agbahoungbata à nos côtés. Nous en fûmes empêchés, tandis que notre véhicule était fouillé.
La présence sécuritaire se renforçait progressivement, avec les agents des CRS en ordre de bataille. Me Sambaou fut également empêché de se déplacer , et, situation manifestement aggravante pour lui, il était retrouvé dans sa voiture les plaquettes "Trop, c’est trop" déjà trouvées dans la mienne, avec une short de couleur rouge que nous avions offert à son chauffeur. Il fut conduit au commissariat central de Cotonou où il déposa, avec l’assistance de Me Vlavonou-Kponou Elie, de Me Yaya Pognon et du Bâtonnier Cyrille Djikui. Il est suspecté de trouble à l’ordre public et nous attendons, dans la ferveur qu’il soit présenté au procureur. C’est en cet état que les agents de sécurité se furent mis en position d’investir à nouveau le domicile de M. Zossou et, manifestement, dans la perspective de l’enlever. Nos informateurs nous apprirent qu’en réalité, on préparait l’arrestation à la fois de M. Zossou et de votre serviteur. Le procureur saisi par le Bâtonnier, a enjoint aux agents de lever le siège. Il était déjà 14 h.
Les leçons
1°) Les événements de ce matin démontrent, s’il en était encore nécessaire, l’insincérité de M. Boni Yayi quand il jure, la veille, son souci du rassemblement, de la sécurité et de la liberté : il nous offre l’exclusion, l’insécurité et le harcèlement policier.
2°) Alors que M. Boni Yayi rassure les représentants des organisations internationales, les diplomates de sa prétendue bonne volonté ; alors que sa télévision publique nous offrent à voir une foule nombreuse de citoyens, de maires et de ministres qui sont si convaincus de la révision de la Constitution qu’ils en oublient le contenu, juste un groupe de quelques hommes et femmes, sans grand accès aux médias, sans aucun fonds à distribuer perturbent sa tranquillité et sa sérénité.
3°) Il est tout de même curieux, qu’alors selon le commissaire Agossadou, M. Boni Yayi interdit le port de tout habit de couleur rouge, se mette, pour le défilé, en cravate rouge, salue la troupe sur un tapis de couleur rouge, laisse défiler devant lui les para commandos avec leurs bérets rouge. Les sages ont déjà enseigné qu’il faut éviter de faire confiance à l’être humain qui ne respecte point ses propres prescriptions.
4°) On soulignera aussi, que ceux qui se furent noyés dans la lagune de Porto-Novo n’avaient pas eu autant d’agents à leur secours ; que si les citoyens sont braqués, tués et violés, le carburant fait défaut et la troupe absente ; mais il suffit de combattre la révision de la Constitution pour avoir le privilège de la troupe, dans le nombre et le grade. Il est vrai qu’il est plus difficile de sauver la vie qui se noie dans la pauvreté que d’entraver celle qui se bat pour la liberté.
Conclusion
Ce qui s’est produit ce matin n’est qu’une tentative d’intimidation mal ficelée. Nous en appelons à chacune et à chacun, à toutes et à tous, d’éviter la tentation de la peur. Celle-ci a bien changé de camp et, faut-il le confesser, on nous a offert l’une des plus utiles fêtes de l’indépendance. Le rouge est devenu une arme, celle de la reconquête de notre liberté. La dictature se désintègre, s’affaiblit, s’affadit. On ne pourra plus reculer. On ne reculera point.
A l’attention des agents de toutes catégories, notamment des forces de sécurité, il est préférable d’éviter d’espérer, en cas d’alternance démocratique, quelque impunité relative aux ordres injustes, illégaux, et exécutés sans lucidité de manière tout aussi injuste, illégale et immorale. Le Bénin ne fera pas l’économie de la justice et nul ne fera passer en pertes et profits les souffrances, les lâchetés et les crimes sous prétexte du pouvoir et des instructions que l’on tiendrait d’une quelconque autorité. C’est aussi une sagesse universelle qui enseigne qu’aussi longtemps que dure la nuit, le jour finit toujours par arriver.
A bon entendeur...
Gaston Zossou amer
« Je retiens que notre pays est aux mains des personnes qui entendent agir par voie de fait. C’est-à-dire que le plus fort impose sa loi aux plus faibles. Je me suis réveillé ce matin à 6h, je ne m’étais pas levé du lit. Ma sœur qui séjourne avec moi en ce moment est sortie précipitamment à demi-nue parce qu informée par la servante qui nous dit qu’il y a des hommes en arme. Ils ont terrorisé ma famille. Ils ont terrorisé ma sœur à moi et les ont interrogées sur la faute qu’elles n’ont pas commise. Je me suis vêtu et je me suis éventuellement porté vers ces personnes là. Ces personnes là sont montées chez moi à l’étage et sont rentrées dans mes appartements. Ils sont redescendus et se sont positionnés autour de la maison et nous ont gardés en siège et sous siège pendant 5 heures d’horloge. Il y en avait quelques centaines à voir de loin. Je n’ai pas dénombré. Mais à y voir de loin, il y en avait quelques centaines. J’ai eu le temps alors d’appeler mes amis avocats qui sont venus.
Il y avait ici maître Sambao, maitre Djogbénou. Il y avait le bâtonnier de l’ordre des avocats. Il y avait ici maître Yaya Pognon. On a essayé de comprendre. Il me semble que c’est la couleur rouge dont nous parlons qui serait interdite. Mais à vrai dit, j’étais pas en rouge, car j’étais chez moi. Dans la mesure où on parviendra à justifier qu’il y a un délit lié à un rouge particulier, il va falloir qu’on prouve que moi j’étais pas au rouge. Dans le fond on nous brime, dans le fond on nous impose la peur. On voudrait que nous contaminions notre progéniture de cette peur là. On nous propose une situation de paix où il y en a un. Des forts puissants qui sont imprévisibles et violents et puis les autres qui pour survivre doivent courir, tomber, tituber à reculons, se relever et tituber encore. Voilà le genre de paix qu’on nous propose. La paix où un individu vous écrase et vous fait tomber, vous ne réagissez même pas, vous restez tranquille. Vous subissez. Cette peur là ne peut pas fonctionner avec un pays. Ce n’est pas le genre d’héritage que l’on laisse à la prospérité. Nous avons décidé à partir de maintenant de tenter de discuter et de marquer notre territoire. Quand je dis on va marquer notre territoire.
Il s’agit de quoi. Il s’agit du principe qui s’appelle regle public, démocratie. Nous avons élu un président de la République. Il est le garant de la des attributs et des caractéristiques essentiels de cette république. C’est celui là qui a dit il y a un an ‘’je vais faire venir les miens du Bénin profond pour affronter les autres’’. Et aujourd’hui, il prouve le besoin de nous déloger dans notre quiétude. On voit des personnes en armes dans nos appartements. Pourquoi veut-on nous réduire au désespoir. Alors que le désespoir conduit au champ de bataille. Et c’est probablement ce qui se passera, si on arrête pas ça. Parce qu’il n’est pas question pour nous de nous cantonner dans le rôle qui consiste à trembler devant celui qui abuse et qui continue d’abuser. . Ils ne m’ont donné aucune explication. Il n’a aucune base légale à l’action qu’ils ont menée. La seule base légale c’est que je suis plus fort que toi. Tu es faible et tu te soumets à moi. C’est ce qu’on nous propose d’avaler et nous disons nous rejetons. J’ai posté sur Facebook ce que j’ai vécu et la situation a été partagée par plus de 400 personnes. J’ai été appelé dans tous les continents de la terre. J’ai senti de l’affection. Je suis reconnaissant. Mais ce que je salue, ce n’est pas cette attitude d’amitié à la personne minable que je suis. Mais c’est la prise de conscience que notre pays est en péril.
Je dis qu’il y a grand péril. Car rien de cohérent paisible, rien de cohérent ne peut se passer dans cette situation où nous nous trouvons. J’aurais voulu apprécier à sa juste mesure ce que les gens qui ont vécu la situation vont dire. A partir de maintenant, nous devons nous donner la main pour arrêter. Au nombre des avocats qui étaient venus chez moi, il y en a un qui s’est retrouvé au commissariat, maitre Sambao, parce qu’il s’est rendu ici chez moi. Il voulait sortir et aller prendre son médicament lorsqu’on l’a empêché et il est reparti au commissariat. Ils l’ont interrogé sur la situation. Informés, ces confrères sont allés l’assister au commissariat. Sa voiture est encore au commissariat. Ils lui ont reproché de venir chez moi. Je ne sais pas pour qu’elle faute, pour quel délit d’opinion. Quand on dirige un pays, on ne distingue pas le siens et les autres. A partir de maintenant, nous devons nous donner la main pour arrêter çà".
Confiance et sérénité chez Gaston Zossou, mais…
Après le retrait des forces de l’ordre de la rue de Gaston Zossou (3è rue en venant du carrefour Cica Toyota) aux environs de 14 heures, un calme effroyable régnait sur les lieux. A notre arrivée à 15h20, on sentait déjà à l’entrée de la rue la peur des populations. Ne connaissant pas le domicile, nous avions dû nous adresser à une dame. Cette dernière, hésitante dans un premier temps, nous a indiqué un immeuble qui ne devait a priori attirer notre attention, mais c’était vraiment le domicile de Gaston Zossou. Ensuite, un garçon sans doute insouciant nous a conduit jusqu’au portail alors que tous les regards étaient tournés vers nous. Après avoir sonné, l’un des fils de l’ancien ministre est venu nous chercher mais il a pris soin de connaitre notre identité. A l’étage, M. Zossou -vêtu d’une chemise rouge- était au salon, allongé dans son canapé et entouré des membres de sa famille. Dès qu’on a été introduit, il nous a chaleureusement salués. « Je suis content de vous voir… », dit-il avec un air serein avant de confier qu’il « apprécie beaucoup notre démarche ». Puis, il nous explique que c’est sa grande sœur convalescente qui a accueilli « les personnes envoyées chez lui ». Selon lui, le pouvoir en place est fait d’un « homme en paix qui veut brimer les honnêtes populations » sans que ces dernières ne pipent mot. Dans ces conditions, il ne compte pas reculer : « je vais camper sur ma position et attendre puisqu’à mon âge, je ne peux avoir peur de la mort (…) ». Entre-temps, sa grande sœur qui a vécu la mésaventure, échangeait avec d’autres parents. Et on pouvait aisément sentir qu’elle était encore sous le choc.
La preuve, elle n’a pas pu échanger avec nous. L’un de ses frères, Jacques Zossou, présent à ce moment précis, a néanmoins lancé une phrase qui parait lourde de sens : « le rouge est la couleur du courage, mais surtout du triomphe ». En plus, Gaston Zossou est plus qu’un héros au vu du déroulement de la journée. Son téléphone n’a fait que sonner toute l’après-midi. A chaque au bout du fil, des amis politiques, magistrats, juristes, opérateurs économiques… qui l’appellent pour l’encourager et l’inviter à ne pas démordre. Même Maître Adrien Houngbédji l’a eu au téléphone pour la même cause. Dieudonné Lokossou, secrétaire général de la Centrale des syndicats autonomes (Csa-Bénin), alerté par nos soins, est venu lui rendre visite. Vêtu lui aussi d’un t-shirt rouge, il confie d’emblée que c’est « la rouge qu’il a désormais adoptée ». « Je porterai du couleur rouge tous les jours et j’attends qu’on m’interpelle. Le rouge est-il proscrit par la Constitution ? C’est de l’arbitraire et nous n’allons pas nous laisser faire », a-t-il déclaré. Alors qu’il était en train d’échanger avec vous, Paul Essè Iko, Secrétaire général par intérim de la Centrale syndicale des travailleurs du Bénin (Cstb), fit son entrée au domicile de Zossou. Son accoutrement indique clairement sa position. Echarpe rouge au cou et chapeau rouge sur la tête, il montrait déjà son envie de venir à la rescousse d’un citoyen dont les « libertés sont bafouées ».
A son tour maintenant de s’entretenir avec nous. M. Essè Iko fait savoir que « tous les Béninois doivent se lever pour éviter que le pays ne bascule ». « Le pays va mal, la démocratie est, en danger chez nous. Et Yayi Boni a déjà violé n fois la Constitution. Il doit pouvoir laisser le peuple s’exprimer », a-t-il martelé. Des mots forts pour dénoncer un pouvoir qui est prêt à pousser les initiateurs du mouvement "mercredi rouge" dans leurs derniers retranchements. Eric Zossou qui revenu soutenir moralement son frère, est lui resté circonspect. Il ne trouve pas les mots pour qualifier cet acte. Heureusement, son politicien de frère a du cran. Et il faut pour vivre ces instants.