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Art et Culture

Religion au Bénin Eglises charismatiques, la multiplication des petits saints
Publié le lundi 13 avril 2015  |  Adjinakou
Fête
© aCotonou.com par TOP
Fête des religions endogènes édition 2014
Vendredi 10 Janvier 2014, Abomey-Calavi : Les adeptes des différents cultes vodoun célèbrent la fête des religions endogènes à travers chants, danses et offrandes.





Berceau du vaudou et fief catholique, le pays est souvent cité en exemple en matière de syncrétisme. Mais les mouvements charismatiques aux pratiques douteuses prolifèrent, au point qu'on ne sait plus à quel saint se vouer.

Kabiessi Owo Lobè reçoit dans son palais de PK 10 Marina, à la sortie est de Cotonou. L'empereur mondial de la Fraternité Ogboni porte un pantalon et une chemise noire sous une veste blanche, un large pendentif, des bagues à tous les doigts - sauf à l'auriculaire - et une coiffe rappelant la toque de Mobutu Sese Seko. La salle d'audience où il est confortablement assis, entouré d'une dizaine de fidèles au regard mielleux, est envahie de bouquets de fleurs à l'odeur enivrante. Sur les murs, des dizaines de portraits à son effigie. Non, il n'est pas "un gourou", comme il tient à le préciser d'emblée. Il en a pourtant tout l'air.

Ancien chauffeur de bus à l'université de Cotonou, Adam Abibou a été intronisé sous le nom de Kabiessi Owo Lobè en mai 2009. Il dit avoir tout juste 56 ans et être né "avec le pouvoir de lutter contre la sorcellerie et les mauvais esprits". Créée au Bénin dans les années 1950, la Fraternité Ogboni, également très implantée au Nigeria, regrouperait, selon son empereur, plus de 16 millions d'initiés dans le monde. Les pèlerinages qu'elle organise tous les trois ou quatre mois drainent des milliers de personnes. On y répand l'idée que les épidémies d'Ebola ou de sida sont l'oeuvre de la sorcellerie et que l'empereur peut les guérir.

Ce matin, ils sont une cinquantaine à attendre que Kabiessi Owo Lobè prodigue ses soins et leur donne des "médicaments". Le rituel est bien huilé. Sa Majesté se tient sur un trône plaqué or. Les fidèles défilent et se prosternent un par un avant de confier, à genoux, leur mal-être. L'activité est lucrative. L'homme ne s'en cache pas, bien qu'il ne dévoile pas ses tarifs. Lui qui dit aimer trois choses dans la vie - "sauver les gens, bien s'habiller et les belles voitures" - charge l'un de ses sbires de nous faire visiter sa propriété. Où l'on découvre en effet, dans l'arrière-cour, un impressionnant alignement de voitures de luxe. Une vingtaine.

Un fief de l'Église catholique en Afrique de l'Ouest

Véritable ovni confessionnel, la Fraternité Ogboni est cependant représentative du syncrétisme religieux (mélange d'éléments doctrinaux et de rituels empruntés à différentes croyances) qui caractérise le pays. Le Bénin, où l'on guette les signes, où l'on peut aisément aller à la messe le matin, consulter un féticheur l'après-midi et célébrer une divinité fon le soir venu, est évidemment connu pour être le berceau du culte vaudou, auquel restent fidèles plus de la moitié des Béninois (même si seulement 11 % reconnaissent le pratiquer). C'est aussi un fief de l'Église catholique en Afrique de l'Ouest, ce qui lui a valu l'honneur de deux visites de Jean-Paul II (en 1982 et en 1993) ainsi que du dernier voyage de Benoît XVI sur le continent (en 2011).

Pourtant, dans la mouvance des cultes évangéliques implantés depuis longtemps dans la région (pentecôtiste, du christianisme céleste ou encore des chérubins et séraphins), le phénomène le plus marquant aujourd'hui est le rythme effréné auquel naissent les Églises de réveil et mouvements prophétiques. À chaque coin de rue, ou presque, son enseigne.

En 2012, Vicentia Tadagbe Tchranvoukinni se rebaptise "Parfaite" et s'autoproclame "Dieu Esprit-Saint". Lui s'auto-intronise pape Christophe XVIII.

Celle qui défraie la chronique depuis deux ans est même dissidente du ­catholicisme romain. Elle est née en 2009, dans la paroisse Sainte-Odile-de-Banamè (dans le Zou, à 40 km d'Abomey), de la rencontre entre une mystérieuse jeune femme alors âgée de 19 ans, Vicentia Tadagbe Tchranvoukinni - qui serait tombée du ciel, aurait été découverte dans la brousse par un berger peul, puis adoptée par un couple d'instituteurs - et le prêtre de ladite paroisse, Mathias Vigan. En 2012, elle se rebaptise "Parfaite" et s'autoproclame "Dieu Esprit-Saint". Lui s'auto-intronise pape Christophe XVIII.

Après d'infructueuses tentatives de dialogue engagées par l'Église catholique du Bénin, "Dieu Esprit-Saint" et son "saint-père" ont été excommuniés début 2013. Ce qui ne les a pas empêchés, depuis, de convertir à leur culte des milliers de croyants d'autres confessions et de toutes classes sociales. Le gouvernement s'est à son tour penché sur leur cas. Les responsables des portefeuilles de l'Intérieur, de la Décentralisation, de la Défense et des Relations avec les institutions ont même dû enquêter et rendre compte en Conseil des ministres, au début de l'année dernière, des plaintes déposées par des communautés locales ou religieuses pour actes de vandalisme, insultes, agressions de fidèles ou de pasteurs d'autres confessions.

Un Dieu vindicatif et menaçant

Jusqu'à l'affrontement qui, le 16 février 2014, a opposé des jeunes du quartier Kpondéhou, à Cotonou, à un groupe de "fidèles de Banamè" qui voulaient les chasser de leur terrain de sport pour que "Dieu Esprit-Saint" puisse y tenir meeting. Bilan : plusieurs blessés graves et d'importants dégâts matériels. Deux jours plus tard, le chef de l'État lui-même convoquait Parfaite et ses dignitaires pour une mise au point sur la nécessité de préserver la paix et le dialogue interreligieux. Un très bref entretien, duquel "Dieu Esprit-Saint" est ressorti plus vindicatif et menaçant que jamais.

Depuis, les dissidents de Banamè ont été contraints de renoncer aux signes distinctifs de l'Église catholique romaine, notamment en changeant le nom officiel de leur association - l'Église catholique Cité du Vatican Banamè est donc devenue l'Église catholique de Jésus-Christ, et son siège, autrefois Vatican du Bénin, rebaptisé Cité de la cour céleste. Mais ils continuent à prêcher.

Jusqu'au plus haut sommet de l'État - laïc, mais où les évangéliques sont légion, à commencer par le président Boni Yayi, converti au pentecôtisme -, les autorités béninoises ont une position ambiguë. Elles se sont montrées fermes vis-à-vis des fidèles de Banamè, sans pour autant interdire leur association. Et rien n'est fait pour ralentir le rythme effréné de création d'Églises charismatiques. Mi-janvier, près de 90 nouvelles structures ont été enregistrées et autorisées par le ministère de l'Intérieur.



(Jeune Afrique)
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