On sait toujours comment cela commence, on sait rarement comment cela se termine.
La campagne électorale en vue des élections législatives du 26 avril prend des tournures extrêmement préoccupantes au Bénin, avec les passes d'armes de ces dernières soixante-douze heures, entre le président Boni Yayi et Candide Azannaï, candidat de l'Union fait la Nation (UN) dans la 15e circonscription électorale, à Cotonou.
Ce dimanche, c'est le président de la république qui a ouvert les hostilités, en déclarant, dans un quartier de Cotonou, au sujet de Candide Azannaï, par ailleurs ancien membre de son gouvernement:
"Satan a détruit le parlement depuis 2011. Les députés de cette législature sont en mission commandée et la télécommande qui les guide est à Paris. Les dossiers de plus de 600 milliards de francs CFA sont bloqués au parlement. J’ai besoin des députés complices et non des députés kpayo."
Et Yayi Boni d'enfoncer le clou, en visant notamment sa bête noire du moment:
"Ils disent qu'ils vont me tuer, même s'il reste une seconde. Ils sont très petits. Très petits. Alors, s'ils sont démocrates, ils n'ont qu'à me laisser terminer mon mandat. Qu'ils me laissent travailler. Ils n'ont qu'à aller rédiger leur projet de société. Il faut leur dire. Moi j'ai fait mes preuves. S'ils disent que je n'ai rien fait, eh bien, pour moi, c'est celui qui n'a pas la foi.
C'est par la prière que Dieu donne. Dieu nous a donné, Dieu n'a pas oublié le Bénin.
Oui ou Non?
Alors, s'ils sont démocrates, ils n'ont qu'à me laisser terminer mon mandat constitutionnel. Et je suis encore président.
Cela veut dire quoi?
Si vous avez besoin d'eau, de l'eau, vous avez une personne. C'est moi.
Si vous avez besoin de l'école, Yen wè [C'est moi, en langue locale fon, NDLR].
Si vous avez besoin de routes, Yen wè.
Si vous avez besoin de soins de santé, Yen wè.
Si vous avez besoin d'électricité, Yen wè.
Si vous avez besoin d'échangeurs, yen di yé [Me voici, en langue locale fon, NDLR].
Si vous avez besoin de micro-crédit, yen di yé.
Si vous avez besoin de tout, Yen wè."
A ce stade, il ne manquait plus à l'anaphore que la phrase qui tue, qui ne viendra pas:
"Si vous avez besoin d'ICC Services, c'est moi…"
Et le prégo de poursuivre:
"Vous avez compris?
Ne vous trompez pas.
Alors, maintenant si je vous demande, vous me dites…
Vous êtes d'accord?
Vous m'avez dit que vous avez besoin d'eau, j'ai enregistré.
D'écoles, de routes, de centres de santé, d'écoles, d'électricité, d'eau, etc.
Dans ce cas, ce que je vous demande: Vous m'envoyez en mission.
Oui ou non?
Donnez-moi les moyens.
Vous m'envoyez les députés qui ne vont pas bloquer les dossiers.
Vous me faites "Cauris KO."
Alors, ça, c'est moi que vous regardez. C'est moi qu'il faut regarder.
Votre Yayi Boni Thomas, qui prie pour vous.
Cauris, naturellement.
Cauris, c'est le bonheur.
Cauris, c'est la paix.
Cauris, c'est la stabilité.
Cauris, c'est la prospérité.
Cauris, c'est l'emploi des jeunes et des femmes.
Cauris, c'est les micro-crédits aux plus pauvres.
Cauris, c'est la gratuité de la césarienne.
Si vous mettez ça de côté, ils vont tout gâter.
Ils vont tout gâter.
Est-ce que vous voulez?
Ils vont tout détruire.
Vous m'avez bien entendu?
Je vous préviens.
Vous me prenez ma liste, le jour où vous allez voter, c'est moi que vous allez regarder.
Point.
Point, point.
Je suis là depuis 2006, depuis 2006, avec vous.
Gbédé [Jamais, NDLR].
Je ne vais jamais vous trahir.
Jamais dans ma vie.
Le Bénin sera rebâti comme Jérusalem, dans un esprit de paix.
Nous ne voulons pas la guerre.
C'est pourquoi ceux qui, aujourd'hui, passent pour m'insulter auprès de vous, je vous supplie, je vous supplie.
Mangez bien.
Mais vous savez, le président est une institution.
C'est pourquoi notre démocratie doit être rectifiée, ce n'est pas le désordre.
Ce n'est pas l'anarchie, ce ne sont pas des injures."
"Petit bandit"
Yayi Boni, ne se sentant plus, se lâche alors:
"C'est pourquoi ce petit bandit de Joncquet [Un quartier de Cotonou réputé pour ses activités plus ou moins illicites, NDLR] qui m'injurie, un voyou, un… Si vous envoyez ces gens-là au parlement, ça c'est vous qui serez responsables. Est-ce que vous avez compris?
Une institution comme le président de la République doit être respectée, parce que je détiens tous les moyens pour écraser celui qui est devant moi.
Je ne le ferai jamais. Je ne peux pas tuer une mouche et je ne réponds pas à cause de vous.
Vous les jeunes, vous mes chères mamans, le peuple béninois que je respecte.
Je ne ferai jamais ça.
Mais Dieu, le père céleste, je m'agenouille quand ils m'injurient et je fais comme Jésus-Christ:
Père, ils ne savent pas ce qu'ils font. Pardonne-leur. Ils ne savent pas."
Réponse du berger à la bergère
Soixante-douze heures plus tard, "le voyou", devant ses partisans, donne de la voix:
"Le président de la République n'est pas en campagne. C'est Yayi Boni, individu, qui est en campagne.
Et en tant qu'individu, il mérite d'être traité comme individu.
Parce que l'article 62 du code électoral interdit l'utilisation des moyens de l'Etat.
Un individu ne peut pas utiliser les attributs de l'Etat.
Aucun individu ne doit violer le code électoral.
En faisant campagne, en utilisant des garde-corps, en faisant déployer des chars d'assaut, en faisant des promesses, en inaugurant tous azimuts [...], Yayi Boni viole la loi.
En faisant campagne et en portant des injures et des menaces, Yayi Boni viole la loi et se comporte comme un vulgaire individu.
Il n'a plus aucun respect de chef d'Etat.
Il s'est mis par terre.
Il devient une honte pour la nation.
Je me réserve le droit à tout moment de saisir la justice.
Car ce qui est grave dans ses propos, ce n'est pas le fait de dire qu'il va m'écraser. Cela, c'est de l'eau versée sur le dos du canard.
Je suis une créature de Dieu et seul Dieu peut décider de mon sort.
J'ai reçu une éducation où les gènes de la peur ont disparu. Je n'ai pas de gène de la peur dans mes veines, dans mon sang, dans mon chromosome, dans mon patrimoine chromosomique.
…
Mais ce qui est grave, et que je relève dans les propos de Boni Yayi, c'est ceci.
Il dit : je peux l'écraser par tous les moyens."
Alors, je voudrais poser la question de savoir: "Est-ce à la Dangnivo?"
A partir de cet instant, tout ce qui va m'arriver, il en sera responsable.
Et de poursuivre:
"Je voudrais dire des choses, mais je dois respecter et suivre les conseils de mes collaborateurs. C'est pourquoi que je ne veux pas entrer dans sa vie privée. Mais je le mets en garde: s'il continue, si j'entends encore des choses, je viendrai devant la foule. Et là, quand je viendrai devant la foule, je vous dirai comment il est né.
Je vous dirai quand son père a rencontré sa mère. Je vous dirai, je dirai à Boni Yayi, les tourmentes qu'il a eues dans son enfance, je lui dirai ses moments de démence et de folie, je lui dirai le guérisseur qui l'a traité et l'a mal guéri. Yayi Boni est un névrosé, un malade mental, un psychopathe, un mythomane, qui ne mérite pas de rester au pouvoir. S'il veut la bagarre, il aura la bagarre. Il m'a traité de bandit, il est impoli, malade, un criminel… Yayi Boni est un assassin. Il n'a qu'à répondre: comment Dangnivo a disparu?"
Etc.
Jarre incollable
Comme on le voit, le débat a pris des allures de querelles de personnes et on s'éloigne de plus en plus des préoccupations de la population.
Mais la population, qui s'en préoccupe vraiment?
Yayi, assis devant ses beignets, veut continuer de manger, tandis qu'Azannaï trouve qu'il s'est trop goinfré.
Au-delà de l'image, rarement une campagne électorale post-90 aura été aussi violente dans ce pays, avec des accusations d'une rare gravité, ainsi que des propos à caractère ethnique.
C'est à se demander comment les Béninois réussiront à recoller les morceaux de la jarre, brisés de toutes parts, par les égoïsmes de tous bords, réduite en poudre.
Vivement une autorité morale, de la trempe de Mgr de Souza, qui puisse ramener chacun à la raison et permettre à la démocratie de ne jamais cesser d'être ce qu'elle doit être: un rendez-vous de la tolérance.
Posté par Kevin Quenum le vendredi, 17 avril 2015 dans Les Blogs d'Afrika7