L’utilisation des Organismes génétiquement modifiés (Ogm) apparaît dans le monde comme une évolution technologique pouvant assurer l’équilibre entre la production et la consommation. Mais les aliments issus des Ogm ne mettent pas toujours le consommateur à l’abri des risques biotechnologiques. Ainsi, au Bénin et dans plusieurs pays de la sous région Ouest-africaine, les luttes se mènent pour éviter la prolifération de ces produits.
Expérimentés et promus en 1993, les organismes génétiquement modifiés (Ogm) sont des êtres vivants dont le patrimoine génétique a été modifié par l’intervention humaine. Cela peut être une plante, un animal ou un microorganisme à qui, il a été ajouté ou modifié un caractère pour avoir ce que l’on désire. Un Ogm est donc un organisme vivant dont l’Adn a été bricolé, pour le doter de propriétés dont la nature ne l’a pas doté, c’est-à-dire un organisme dans lequel a été inséré un gène absent à l’état sauvage, ou un organisme dont l’expression d’un gène a été volontairement modifiée. Ce gène peut provenir de n’importe quelle espèce vivante, il suffit de lui ajouter divers éléments nécessaires à son expression dans l’organisme receveur. De façon théorique, tout organisme vivant peut être transformé en un Ogm. Jusqu’à présent, il a été possible de modifier génétiquement de nombreux mammifères, des plantes, des bactéries et bien d’autres. Pour certains, les Ogm ont été créés pour augmenter les rendements agricoles afin de lutter contre la faim. Pour Patrice Sagbo, trésorier du réseau Jinukun, une organisation qui œuvre pour la sécurité alimentaire au Bénin, la science est un champ d’expérimentation où il ne peut y avoir de certitude. « La science, c’est simplement la curiosité et on n’est jamais sûr de rien. Il ne faut pas qu’on nous utilise comme des cobayes. Les producteurs doivent prendre des précautions pour situer les consommateurs sur le contenu de leurs produits parce que les Ogm dans la production des aliments sont un crime », a-t-il dit. Ainsi, l’utilisation des Ogm dans l’agriculture suscite de débats entre les défenseurs des Ogm et leurs opposants. Il est donc du devoir des scientifiques de sortir de leurs laboratoires pour prendre la parole, afin d’éclairer l’opinion publique. Certains scientifiques de l’Université d’Abomey-Calavi ne trouvent pas d’inconvénients dans l’utilisation et la consommation des Ogm. Ainsi, pour le directeur du laboratoire génétique de l’Uac, Clément Agbangla, il ne s’agit pas de savoir si le Bénin a besoin des Ogm ou non car, il n’existe plus de risque zéro aujourd’hui. « Vous pouvez ne pas commander les Ogm et les retrouver dans vos plats », a-t-il confié. Aussi, précise-t-il, « il serait déplorable de continuer de se taire, surtout les universitaires vu que le seul son de cloche auquel nos populations sont soumises ne leur permet pas de cerner l’autre aspect occulté des Ogm. Il vaudrait mieux que le Bénin qui fait partie des premiers Etats à avoir ratifié les premiers accords de Cartagena, prenne les dispositions urgentes et nécessaires pour leur mise en œuvre », a-t-il souhaité. « Accepter les Ogm, c’est aller contre les lois de la nature », a martelé Patrice Sagbo du réseau Jinukun.
Certains pays, face à la question prennent des moratoires afin de mieux les apprécier et sensibiliser les populations. C’est le cas du Bénin qui a déjà pris successivement deux moratoires.
Moratoire après moratoire, le Bénin demeure dans l’hésitation
Bientôt 12 ans et il n’y a toujours pas de consensus. Pendant que certains groupes pensent que les Ogm constituent une solution aux problèmes qui se posent dans le monde, d’autres trouvent que cette solution est devenue un problème et il faut s’en méfier. Pour Mohamed Salifou, secrétaire général de Synergie paysanne, ce conflit serait basé sur une mauvaise compréhension des Ogm. « Je suis certain que si le gouvernement ne met pas les moyens nécessaires à la disposition des chercheurs de toutes les parties pour que chacun puisse s’imprégner du contenu des Ogm, et les comprendre correctement, le Bénin ira toujours de moratoire en moratoire sans rien décider », affirme-t-il. Il a également mentionné que ceux qui introduiront les Ogm au Bénin seront poursuivis en cas de dommages. « Nous luttons pour qu’un quelconque laboratoire qui autoriserait la circulation des Ogm sous prétexte qu’ils sont exempts de risque soit poursuivi en cas de déconvenues », a-t-il déclaré.
Après deux moratoires de 5 ans chacun, gouvernants, partisans et opposants des Ogm n’ont pas pu accorder leurs voix. A en croire le secrétaire général de Synergie paysanne, le gouvernement n’a pas respecté les décisions issues des deux moratoires. « Pendant la période des moratoires, le gouvernement avait promis de faire une large diffusion des informations par rapport aux Ogm, on avait aussi proposé que les moyens soient mis à la disposition des laboratoires locaux pour qu’ils puissent mener des recherches par rapport aux Ogm. Mais cela n’a pas été respecté », souligne-t-il. Et, dit-il, puisque les deux moratoires passés n’ont rien donné comme résultat, la société civile demande encore un autre moratoire de 10 ans. Pour lui, cette période permettra à chaque groupe de mener ses réflexions pour qu’à la fin, une décision soit prise. « Les tâches seront partagées afin que la société civile puisse apporter sa part pour qu’à la fin, le bilan soit fait à tous les niveaux », dit-il. Aussi, a-t-il ajouté qu’aujourd’hui, qu’ils sont convaincus que le Bénin n’est pas prêt pour l’utilisation des Ogm parce que les moyens et les documentations en la matière manquent. A en croire Patrice Sagbo, il n’y a pas encore au Bénin une structure dynamique pour gérer ce problème. « Les autorités ne prennent pas le débat au sérieux. Ils sont en train de tourner autour du pot », a-t-il déploré. Une pétition est en cours actuellement et la société civile attend qu’elle soit signée pour que les différentes préoccupations de la population soient prises en compte dans le projet de règlement de la Cedeao et de l’Uemoa en la matière. Aussi, la communauté internationale, à travers le protocole de Cartagena, s’appesantit sur la prévention des risques biotechnologiques liés aux Ogm. Ce protocole est un mécanisme qui permet de lutter contre les risques liés à ces produits.
Tout comme le Bénin, d’autres pays de la sous région débattent sur l’entrée des Ogm sur leur territoire, tout en mettant des garde-fous. Au Togo par exemple, Il n’y a pas de moratoire sur les Ogm, mais la sensibilisation est priorisée. Kokou Amégadjé, chargé de l’information et de la communication de l’Ong "Les amis de la terre" du Togo affirme que les démarches ont commencé dans son pays depuis plus de 5 ans. « Actuellement, nous sommes en campagne contre les Ogm. Nous nous sommes rendu compte que les Ogm peuvent avoir des impacts sur l’environnement et sur l’homme », souligne-t-il. A l’en croire, ladite campagne a pour objectif de sensibiliser l’opinion nationale et communautaire sur les enjeux de la promotion des Ogm. Selon les explications de Mohamed Salifou, secrétaire général de Synergie paysanne du Bénin, la stratégie de ces différentes organisations consisterait à informer la majorité des populations et des paysans pour qu’ils aient une large compréhension des Ogm et à nouer au niveau régional et international des alliances pour faciliter la lutte. « Nous avons mis en place des cellules de veille dans 26 communes de notre pays. Ces cellules ont pour rôle d’informer les populations sur les Ogm. A cet effet, elles animent des émissions au niveau des radios communautaires en langue locale pour apporter des informations sur les risques liés aux Ogm », déclare-t-il. C’est dans ce même cadre que l’Uemoa et la Cedeao sont en train de préparer un avant projet de règlement portant sur la prévention des risques technologiques en Afrique de l’Ouest pour qu’il y ait un garde-fou en la matière. « Nous voudrions que figurent dans cet avant-projet de règlement portant sur la prévention des risques biotechnologiques en Afrique de l’ouest trois choses à savoir : la reconnaissance locales à déclarer nos territoires "zones sans Ogm". Deuxième chose, qu’il y ait une traçabilité et un étiquetage des Ogm et des produits dérivés, et la troisième chose, l’imprescriptibilité des délais de poursuite des acteurs des dommages liés aux Ogm. C’est-à-dire, si au bout de 10 ou 15 ans après la consommation, une étude scientifique démontre que le produit Ogm introduit dans le pays par x a eu d’impact sur l’environnement ou sur l’organisme humain, il faut qu’on puisse tenter une action contre ce promoteur », explique Kokou Amégadjé.
Les Ogm en circulation au Bénin
Quand bien même le Bénin hésite à prendre officiellement une décision, certains citoyens ne perdent pas de temps. Ils utilisent déjà les Ogm dans la production des produits maraîchers et vante leurs avantages. Pour Saturnin, maraîcher, les Ogm facilitent la production. « J’ai plusieurs fois utilisé les Ogm pour le maraîchage. C’est un système qui permet de produire une grande quantité en peu de temps », confesse-t-il. Tout comme lui, Gontran, maraîcher de formation a opté pour cette forme de culture, tout en ignorant l’origine de ces semences. « Les semences que j’utilise me viennent de l’extérieur. Avec ces semences, j’arrive à faire de bonnes affaires parce que la durée de récolte est moindre et je m’étonne même de la grosseur de mes carottes », mentionne-t-il.
Risques des produits transgéniques
Pourtant, des recherches ayant conduit à une expérience avec des rats ont prouvé que les Ogm conduisent à des maladies cancéreuses alors que les rats ont la même physiologie que l’homme. C’est ce qu’affirme Kokou Amégadjé, chargé de l’information et de la communication de l’Ong "Les amis de la terre-Togo". « En Afrique, nous n’avons pas de prise en charge pour affronter les risques. Celui qui ne devrait pas consommer la viande du porc dans sa culture, Si l’on mélange l’Adn du porc pour lui fabriquer un aliment, il va ainsi contre ses préceptes sans le savoir. Accepter les Ogm, c’est briser les règles de la nature », défend Patrice Sagbo. Pour lui, les produits Ogm cultivés sur un champ endommagent aussi l’environnement, le sol et la nappe phréatique. De plus, continue-t-il, ils coûtent trois fois plus cher que les semences normales et ces produits concurrencent les produits intérieurs, tuant ainsi l’économie locale.
Sur une plante Ogm, l’agriculteur peut utiliser des herbicides tout au long de la pousse, dans la mesure où la plante a été conçue pour résister aux herbicides. Cela entraîne plus de pollution des sols et des nappes phréatiques. Par ailleurs, Pour un Ogm qui produit son propre insecticide, c’est exactement le même schéma. Les insectes peuvent développer une résistance à l’insecticide à force d’y être exposés, sans compter que de nombreux insectes non ciblés par l’insecticide sont menacés par cet insecticide.
Santé et Ogm
Les Ogm les plus médiatisés sont les plantes, mais il est important de savoir que de nombreux autres Ogm existent et sont très utilisés au niveau de la santé. En effet, de nombreuses bactéries ont été génétiquement modifiées pour en extraire des protéines virales entrant dans la composition des vaccins. Cela évite l’utilisation de souches virales atténuées, éliminant totalement le risque de contracter la maladie au cours de la vaccination. De manière théorique, tout organisme vivant peut être transformé en un Ogm.
Ainsi, les Ogm sont utilisés dans tous les domaines, mais ils sont encore loin d’être acceptés par tous.
Félicienne HOUESSOU (Coll) et Sandric DIKPE (Stag)