Annoncé pour démarrer le 25 juillet dernier, l’affichage de la liste électorale qui a servi aux élections de 2011 se fait encore rare dans les centres de vote. le plus inquiétant dans le processus de correction est le désordre qui se profile au niveau de l’état civil béninois.
«La carte d’électeur qui sera issue de la correction de la liste électorale permanente informatisée va servir de carte d’identité.» Ainsi s’exprime le député Sacca Lafia, président du conseil d’orientation et de supervision de la liste électorale permanente informatisée (Cos/Lépi) lors d’une de ses sorties médiatiques. De quoi faire sortir les juristes de leurs gonds. Un professeur de droit constitutionnel à l’université d’Abomey-Calavi qui a requis l’anonymat s’inquiète de l’ambition des membres du Cos/Lépi visant à transformer la carte d’électeur en carte d’identité. Cette volonté du conseil va polluer le système d’état civil au Bénin ajoute l’enseignant d’université. En effet, lors du recensement électoral national autonome (Réna) ayant conduit à l’établissement de la liste électorale permanente informatisée, plus de 2 millions d’électeurs ont eu leurs cartes d’électeurs sans acte de naissance et jugement supplétif. D’autres ont eu la carte sans une origine claire. D’où la liste des requérants prévue par la loi pour inscrire les millions de personnes qui se retrouvent dans ce cas.
Dans ces conditions, l’enseignant chercheur de droit constitutionnel s’interroge sur le lieu où se trouve la liste des requérants. Il ne comprend pas qu’on veuille donner de carte d’identité à ces personnes. « C’est le passage de détention de la carte d’élection à la carte d’identité qui n’est pas bien étudié. Ce qui pourrait dénaturer l’état civil au Bénin « s’indigne le professeur de droit constitutionnel. Un avis partagé par les magistrats. Au séminaire organisé par le conseil d’orientation à Agoué, fin mai dernier, les magistrats ont estimé qu’on ne peut pas faire une bonne liste électorale permanente informatisée tant qu’on a dans la base de données des personnes dont on ne connaît ni l’âge, ni l’origine. Cet état de chose fausse les données démographiques notent les magistrats qui ont suggéré au séminaire d’Agoué des audiences foraines pour corriger les erreurs enregistrées. Or, aucune des dispositions de la loi N° 2012-43 du 5 février 2013 portant apurement, correction, mise à jour et actualisation du fichier électoral national et de la liste électorale permanente informatisée ne fait allusion à l’organisation d’audiences foraines en vue de délivrer des actes de naissance ou jugement supplétif aux personnes enregistrées sur la liste des requérants.
De sources proches du Cos/Lépi, des dispositions internes sont en cours pour faire de la carte d’électeur une carte d’identité nationale valable pour dix ans. Ce qui suppose qu’on passe par l’audience foraine pour ceux qui se sont fait inscrire sur la liste électorale sans pièce d’identité. En attendant le point de vue du gouvernement qui doit donner les moyens, les avis sont partagés au sein du conseil d’orientation. Pour les uns, il n’est pas utile d’organiser l’audience foraine avant d’accorder la carte d’identité à tous ceux qui sont déjà dans la base de données. Ce que rejettent catégoriquement d’autres membres du Cos/Lépi. Pour eux, le code de nationalité définit les conditions qu’il faut remplir pour avoir la carte d’identité nationale et le passeport. Du coup, il faut le respecter à la lettre en organisant les audiences foraines pour ceux qui n’ont pas de jugement. Mais les conditions sont-elles remplies aujourd’hui pour organiser les audiences foraines ?
A cette interrogation, un observateur attentif de la vie politique répond : « au cas où elles ne vont pas être remplies, on peut recourir à une loi dérogatoire pour accorder la carte d’identité à tout détenteur de carte d’électeur ». Il faut éviter une effraction dans la nationalité béninoise prévient le professeur de droit. Qui craint que la Cour constitutionnelle saisie donne un avis favorable pour cette loi dérogatoire d’autant puisque tout électeur est un Béninois selon la loi.
Or, la correction de la Lépi consiste à éviter d’autres errements. « Il faut soumettre tous ceux qui n’ont pas de jugement ou d’acte de naissance au contrôle avant de leur accorder la carte d’identité ou la carte de nationalité » souligne avec force le professeur de droit. Qui prévient le gouvernement contre toute légèreté dans le domaine qui compliquerait davantage le système d’état civil déjà mal à l’aise au Bénin.