« Le peuple béninois est mûr". C'est une citation. Nous ne reprenons qu'à notre compte ce qui se laisse entendre, de plus en plus, depuis les dernières élections législatives. "Le peuple béninois est mûr", pour dire qu'une nouvelle conscience citoyenne point. "Le peuple béninois est mûr", pour dire qu'une majorité marquante de Béninois n'est plus à vendre ou à acheter dans de médiocres transactions électoralistes. C'est un signe de bonne santé démocratique. Il pourrait augurer des lendemains qui chantent.
Ne chantons pas trop vite. Appliquons-nous plutôt à savoir et à comprendre ce qui nous arrive. Déterminons le contenu et le sens d'une mutation. En d'autres mots, efforçons-nous d'identifier les principaux ingrédients qui entrent dans la recomposition de ce Bénin qui change, comme nous le disons.
Non, et nous sommes désolés de décevoir plus d'un, les Béninois ne sont devenus ni plus vertueux ni plus disciplinés ni plus patriotes. Nous continuons de trainer nos tares de toujours, de flirter avec nos démons familiers, de chérir nos vielles habitudes. Nous n'avons pas encore amorcé un changement intérieur qui nous porterait à tracer le sens de nos destins et à déterminer les valeurs fondamentales qui doivent gouverner nos vies. C'est vrai pourtant que les Béninois changent. Mais ils ne changent que sous l'influence de cinq déterminants extérieurs. Appelons-les les "5 M".
M comme mensonge. Il s'agit des mensonges des politiciens. Ceux-ci, à saison régulière, bombardent les populations de promesses, en leur faisant miroiter les délices et les plaisirs d'un Eldorado imaginaire. Mais quand l'espoir s'épuise au fil des promesses non tenues, il ne reste plus que la révolte des gens qui se sentent constamment floués et roulés dans la farine. Ces gens relèvent alors la tête et jurent qu'on ne les y reprendra plus.
M comme misère. Très précisément la misère des populations. Celles-ci ne mangent pas à leur faim ; sont désarmées devant la maladie ; sont privées du rêve de changer les couleurs d'une vie lugubre ; ne peuvent prendre un quelconque envol à partir d'un présent inconsistant ou inexistant. Mais la misère, autant elle casse tous les ressorts d'un individu, autant elle peut lui insuffler l'impératif d'un éveil, la brutalité d'un réveil. Le poète l'a dit : "Nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert". Ce qui peut inspirer cette magnifique résolution :"Ena lè wami gbé a".
M comme marre. Dans le sens de "Y en a marre", devenu le cri de ralliement d'une jeunesse déboussolée qui n'en peut plus. Pour elle, la mesure est comble. Il faut arrêter la machine infernale avant qu'il ne soit trop tard. Et de s'interroger gravement. Que se passe-t-il sous le crâne de ces chefs africains qui s'accrochent au pouvoir comme des chauves-souris scotchées aux branches d'un arbre ? Pourquoi transforme-t-on la chose publique en un bien privé ou en un patrimoine familial ? Comment dormir du sommeil du juste dans un pays transformé en une usine à fabriquer les diplômés sans emploi ? Quand une jeunesse se retrouve à ce carrefour de questions, soit elle prend le maquis, parce que désespérée, soit elle s'organise pour se battre pour le changement, parce qu'elle croit et espère, malgré tout.
M comme marché. Nous pensons au marché Dantokpa qui n'a pas que l'avantage d'être, pour le Bénin, l'une des plus grandes places marchandes d'Afrique. Il est aussi une bourse informelle et à ciel ouvert des valeurs nationales. En fonction de son humeur, ce marché a une capacité diagnostique sans pareille quant à l'état de santé du pays sur tous les plans. Selon que les affaires marchent ou ne marchent pas, c'est le Bénin, depuis Dantokpa, qui rit ou qui pleure. Un baromètre gratuit, à consulter de plus en plus.
M comme marche. Il s'agit de la marche du monde, avec la révolution des technologies nouvelles. Elles changent les relations entre les citoyens, libérant une impressionnante réactivité et instantanéité. La commission électorale nationale autonome (CENA) mettra des jours avant qu'elle ne proclame les résultats des législatives. Les réseaux sociaux, par contre, au soir même des élections, dès la fermeture des bureaux de vote, nous ont déjà fixés. Fraudeurs, s'abstenir.
Oui, le Bénin change sous l'influence de plusieurs déterminants extérieurs. Mais le Bénin ne changera réellement et durablement que quand l'esprit sera aux commandes, faisant, enfin, de l'homme béninois, l'artisan de son propre miracle.