Tripoli - Elias passe ses journées près du même pont à Tripoli. Arrivé en Libye il y a trois mois, ce jeune Béninois accepte tous les travaux pour payer la traversée de la Méditerranée dans l’espoir d’une "vie meilleure" en Europe.
Comme des dizaines d’autres migrants qui tuent le temps au même endroit, le jeune homme de 18 ans court dès qu’une voiture s’approche avec une offre de boulot. Elle sera le plus souvent de courte durée et pourrait l’exposer à des conditions abusives, mais il l’acceptera.
Elias est déterminé. "Je suis venu ici me battre pour mon avenir. Quand j’ai fait assez d’argent, je pars en Europe", assure-t-il dans un anglais courant.
"La mer est dangereuse, mais dès que j’aurai l’occasion je partirai. Quand on traverse la mer, on peut réussir comme on peut échouer. Je dois me préparer", affirme l’Africain, t-shirt jaune sur le dos et bonnet marron sur la tête.
Comme des milliers d’autres migrants, son obsession est de rejoindre l’île italienne de Lampedusa, à seulement 300 km des côtes libyennes.
En prenant la mer, ils connaissent les risques: celui d’être arrêtés et ramenés en Libye où ils essaieraient de nouveau de travailler pour financer une autre tentative de départ, celui de devoir être secourus en mer ou encore celui de perdre la vie dans un naufrage.
Mais les récents drames ne freinent pas le nombre de départ sur les 1.770 km de côtes libyennes. Ils n’ont cessé de s’intensifier depuis que le pays est tombé dans le chaos, miné par la lutte au pouvoir --deux gouvernements et Parlements-- et meurtri par les combats, laissant les mains libres aux passeurs.
A Tripoli, Elias partage avec trois autres personnes une petite chambre qu’ils louent 150 dinars (environ 110 dollars) par mois. "Quand je n’ai pas de travail, je reste dans la chambre à écouter de la musique sur YouTube sur mon téléphone, surtout du rap et du R&B", raconte le jeune homme qui "aime Chris Brown et Tupac".
- ’Les copains me manquent’ -
Il regarde aussi des matches de foot sur YouTube. "J’aime le club de Chelsea et mon joueur favori est (Didier) Drogba", dit-il. "J’ai toujours sa photo dans la poche. Au Bénin, je jouais au foot avec les copains. Les deux me manquent".
Elias fait attention à ne pas se faire remarquer pour ne pas se faire arrêter. Les 16 centres de rétention du pays abritent actuellement 7.000 migrants en attente d’expulsion.
Amnesty International a dénoncé cette semaine "la cruauté" et les violences auxquelles sont confrontés les réfugiés et "les communautés de migrants vivant et travaillant depuis des années" en Libye.
"Les conditions épouvantables pour les migrants, ajoutées à la spirale de l’anarchie et des conflits armés, montrent à quel point la vie est dangereuse aujourd’hui en Libye", a souligné Philip Luther, le directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’ONG.
Mais Elias explique ne pas avoir eu le choix. Il a dû quitter le Bénin, ses parents, ses quatre frères et ses deux soeurs car il n’avait pas pu y trouver du travail.
A Tripoli, il gagne en moyenne 50 dinars (environ 36 USD) pour une journée de travail. Lorsqu’il est payé car "parfois l’employeur ne paie pas, ça dépend de son caractère".
Elias raconte avoir été cambriolé il y a deux semaines dans sa chambre où des assaillants armés ont volé tous les téléphones portables et l’argent. "Je n’ai plus d’argent, ils ont emporté mes économies: 3.000 dinars (environ 2.100 USD). Mais je recommence à zéro".
"Dans ce pays, la vie est injuste. C’est un pays en guerre, mais j’y suis. Pourquoi ? Pour l’argent", affirme-t-il, déterminé.
C’est pour cela qu’il a entrepris de traverser l’Afrique d’ouest en est.
"J’ai passé six mois en Algérie avant de venir en Libye. Je suis arrivé ici en voiture avec d’autres personnes il y a trois mois. Nous avons traversé le désert. C’était dur", témoigne Elias.
"La vie est dure mais elle est aussi simple. Un jour, quand j’aurai une vie
meilleure, peut-être dans mon pays, j’oublierai" ces malheurs.
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