(Entretien exclusif avec Dieudonné Lokossou, Secrétaire Général de la
CSA-Bénin)
Dans cet entretien, Dieudonné Lokossou, Secrétaire Général de la CSA-Bénin, revient sur le mouvement syndical sous « le régime du changement ou de la refondation », la répression de la marche des travailleurs le 27 décembre 2013 et l’absence des confédérations lors de la tentative d’arrestation de Candide Azannaï à son domicile.
Nouvelle Expression : Au lendemain de la Fête du Travail, quelle appréciation peut-on selon vous, porter sur le mouvement syndical au Bénin ?
Dieudonné Lokossou : Par rapport à cette question, notre appréciation pour être juste ou acceptable, doit aller au-delà, de la Fête du Travail qui, est une journée internationale commémorée à l’échelle planétaire par les travailleurs toutes catégories socio-professionnelles confondues. Depuis l’avènement du régime du changement ou de la refondation en avril 2006, sous la férule du Président Docteur Boni Yayi, le mouvement syndical dans notre pays a connu des difficultés dues fondamentalement à des manipulations et à des manœuvres de division entretenues par des hommes politiques qui ont tenté d’opposer des responsables syndicaux de base à leur hiérarchie syndicale c'est-à-dire, les Secrétaires Généraux des Centrales ou Confédérations syndicales.
C’est sous ce régime que, sous le fallacieux prétexte de liberté ou de démocratie qu’il a été enregistré une floraison de 'syndicats jaunes' créés de toute pièce par certains ministres pour sacquer les intérêts matériels des travailleurs dans certains services et départements ministériels. Malgré tous ces obstacles en béton dressés à dessein devant les confédérations qui sont des contre-valeurs évidentes pour réduire à néant les actions syndicales, les Secrétaires Généraux des Confédérations conscients de leurs responsabilités historiques vis-à-vis des travailleurs sont restés soudés et demeurés vigilants tout le temps pour peaufiner en commun ou seuls des stratégies de lutte qui se sont révélées payantes dans la mesure où le gouvernement à des moments donnés s’est vu contraint de sortir de la logique du dilatoire pour accéder aux légitimes revendications des Confédérations, Fédérations et mêmes des syndicats de base le tout tendant à l’amélioration qualitative et quantitative des conditions de vie des travailleurs.
Au regard des échecs et des succès évoqués supra, nous pouvons affirmer avec modestie que, à part quelques brebis galeuses tapies dans nos rangs, le paysage syndical tient cahin-caha.
Qu’est-ce qui, selon vous, a changé aujourd’hui, au regard du cahier des revendications transmis à l’autorité à cette occasion ?
Ce serait faire preuve d’hypocrisie ou de naïveté que de faire croire aux travailleurs qu’avec les cahiers de doléances présentés à la veille de chaque 1er mai au gouvernement, tous les épineux problèmes sociaux et économiques auxquels nous sommes confrontés depuis des années dans notre pays sont réglés de façon miraculeuse. Nous savons qu’il y existe encore dans certains secteurs névralgiques comme ceux de l’éducation, de la santé, de la justice, de l’administration de la police, etc, des revendications laissées en jachère par le gouvernement mais que nous suivons de très près.
Le Président de la République, le Docteur Boni Yayi, par honnêteté intellectuelle, nous ne pouvons pas dire qu’il n’a rien fait aux travailleurs, parce que pour nous l’administration est une continuité. Et, il lui revient de donner satisfaction aux agents permanents de l’Etat qui semblent se considérer avec raison comme les exclus de la prospérité partagée. Je ne le dis pas par démagogie, mais par conviction parce que, si les moyens dont dispose le pays sont judicieusement répartis, ces différentes revendications pertinentes des travailleurs qui regardent avant tout les mains de ceux qui nous gouvernent auraient pu être réglées à la satisfaction des uns et des autres.
Pensez-vous que le pouvoir est plus attentif aux revendications des travailleurs et à leurs conditions de travail ?
Je ne saurais l’affirmer tout de suite sans heurter quelques susceptibilités, car nous avons toujours des revendications en attente qui ne sont pas satisfaites par le régime du changement ou de la Refondation qui tend inexorablement vers sa fin.
Avec un pouvoir qui aura, cette année, fêté son dernier 1er mai avec les travailleurs, pensez-vous que cela a pu influer sur sa perception de vos revendications et des solutions à apporter ?
Je suis un peu gêné que vous vous référiez constamment à la fête du 1er mai. Pour moi, le 1er mai représente un grand symbole pour tous les travailleurs du monde entier, c’est pour cette raison qu’il est célébré avec faste et respect. Après plusieurs années d’expériences, nous devons globalement revoir avec le gouvernement quel qu’il soit, notre perception de l’organisation de cette fête qui verse dans la démagogie politique et finit par des orgies organisées par le gouvernement à la fin de chaque séance.
La CSA-Bénin qui est une Confédération syndicale responsable sait que ce n’est pas avec le rituel annuel et ennuyeux de présentation de cahier de doléance au gouvernement que, forcément nous allons sortir de la récurrente situation de misère ambiante et de paupérisation très avancée. La perception de ce régime sur nos revendications reste toujours politique et, comme je le dis souvent, la politique, c’est l’absence de la vérité absolue.
Avec le recul, pensez-vous que les travailleurs à travers leurs centrales ont contribué à l’enracinement de la démocratie dans notre pays ?
Je pense que vous êtes bien en permanence dans le pays et votre journal fait partie des organes qui relatent au quotidien les faits sans biaiser. Le peuple doit décerner une palme à certaines confédérations syndicales dont les premiers responsables ont pris de gros risques et ce, au prix de leur vie pour défendre les principes, les libertés d’une manière générale et les droits acquis parce que la liberté n’a pas de prix.
Le régime actuel a commandité le 27 décembre 2013, à la Bourse du Travail réputée pour être une franchise inviolable par le biais d’un préfet poussé par des zèles, une agression armée contre les travailleurs venus massivement ce jour-là pour défendre les libertés publiques mises à mal avec la tentative d’assassinat du Président de l’ONG ALCRER, Monsieur Martin Assogba.
C’est pour vous dire que certains Secrétaires Généraux de Confédérations qui n’ont aucune leçon de morale politique à recevoir auprès des néo-opposants qui après avoir sucé pendant une décennie, les délices du pouvoir s’acharnent contre leur mentor le Président Boni Yayi. Ces gens qui n’ont pas de dignité me font tout simplement pitié. En tout état de cause, les responsables syndicaux toute proportion gardée ont eu à jouer les rôles traditionnels des opposants ou néo-opposants ou certains par honnêteté morale ne peuvent pas se délier de la responsabilité de la gestion du Président de la République avec qui ils ont filé un parfait amour.
Vos confédérations ont brillé par leur absence lors de la tentative d’arrestation ou d’enlèvement de l’honorable Candide Azannaï à son domicile de Zogbo. Que répondez-vous ?
Aucun défenseur des libertés démocratiques ne peut cautionner ce qui est arrivé à l’honorable Candide Azannaï dont je respecte les convictions politiques profondes et sincères. Je partage entièrement ses douleurs morales et physiques. Mais ce qui s’est passé à Zogbo, le 04 mai 2015, n’est qu’une répétition malheureuse de l’histoire des violations des droits de l’homme par les tenants du pouvoir dans notre pays.
En effet, sous le fallacieux prétexte que j’aurais fermé les yeux sur les prétendus détournements opérés par Monsieur Expédit Houessou, ancien Directeur Général de la SONACOP nommé par le Président de la République, Boni Yayi où j’étais précédemment en service, et en ma qualité d’ancien Secrétaire Général du Syndicat des Pétroliers, ma maison qui se situe à Zogbo à quelques encablures de celle de l’honorable Azannaï, sur instructions verbales du Procureur de la République, Gbénamèto, a été encerclée et j’ai été conduit sans mandat d’amener manu-militari le 17 mai 2013 par la police à la Brigade Economique et Financière où j’ai été écouté avant de finir par atterrir au Tribunal où, avec la pression des travailleurs, j’ai été libéré le même jour sans qu’aucune faute ne soit retenue contre ma personne. J’ai été libéré grâce à la détermination des travailleurs sans la mobilisation des hommes politiques à l’instar de ce qu’on a observé par rapport à la tentative d’arrestation de l’honorable Azannaï, qui pour la plupart filaient le parfait amour avec le gouvernement.
Tout en pensant que la solidarité en matière de lutte pour la sauvegarde des libertés, doit être réciproque et non sélective, la CSA-Bénin qui est une confédération responsable aurait participé à la marche lancée par le Président Bruno Amoussou de l’Union fait la Nation aux populations de Cotonou si elle avait été saisie officiellement. Dans le passé, la CSA-Bénin a souvent participé aux actions collectives dans le cadre du renforcement et de la consolidation de notre démocratie avec des partis politiques ou des organisations de la société civile. Personne ne peut au niveau de la classe politique douter de la sincérité et du sérieux des Responsables de la CSA-Bénin qui ont toujours donné la preuve de leur engagement pour des causes justes.
Lorsque j’avais été interpellé dans des conditions illégales et arbitraires, seul l’Honorable député Eric Houndété a interpellé le gouvernement par le biais de l’Assemblée Nationale. Et comme c’est de Dieudonné Lokossou qu’il s’agit, il n’y a plus eu de suite. Ça a été purement et simplement classé aux 'limbes'.
Je voudrais rappeler ici que, malgré les critiques empreintes de malveillance, nous avons pris part activement à la naissance du Front pour la Défense de la Démocratie. Qu’en-ont fait les leaders politiques ? Le concept de Mercredi rouge que nous avons soutenu et dont les initiateurs se sont par la suite mués en parti politique est devenu une coquille vide. Est-ce là aussi la faute aux Confédérations ?
Le 27 décembre 2013, la Police a lancé des gaz lacrymogène sur les travailleurs à la Bourse du Travail et certains s’en sont sortis avec des blessures graves. Seuls Philippe Noudjènoumè et Lazare Sèhoueto étaient au chevet des victimes. Voilà autant de faits qui auraient pu nous conduire à refuser de nous mélanger aux néo-opposants qui ont abondamment tiré profit de leur alliance avec le régime de Yayi avant de vouloir chercher à s’offrir une nouvelle virginité pour des raisons opportunistes à quelques mois de la fin de ce système après neuf ans de collaboration active. Mais, la CSA-Bénin et les Organisations syndicales en général seront toujours prêtes pour défendre les libertés chèrement acquises. Toutefois, en raison de son autonomie organisationnelle, ma Confédération ne se laissera pas sous ma direction manipuler par certains hommes de moralité douteuse, fussent-ils politiciens ou acteurs de la société civile à couleur jaune. En tout état de cause, nous jouerons toujours notre partition.