Dans la course pour le perchoir de l’Assemblée nationale, la majorité présidentielle ne lésine pas sur les moyens. A coût de centaines de millions, elle s’offre les procurations de certains députés avides d’argent. Le marché des procurations fait donc recette ; à telle enseigne que l’abus de celles-ci, plutôt que d’être l’exception à éviter, s’est érigé en règle.
La septième législature a démarré sous le signe des procurations. La majorité présidentielle, qui est sortie des législatives dernières avec 33 députés, s’estime en bon droit de conquérir le perchoir de l’Assemblée nationale. Et dans cette optique, elle s’est lancée dans l’achat de procurations. A l’image du « mercato » dans le domaine du football, la barre a été placée très haut en vue de rallier au moins dix députés à cette cause. Cent millions par député, soit un milliard de FCFA. C’est le montant colossal qu’aurait déboursé le pouvoir en place pour atteindre son objectif.
La procuration, une exception
Sans s’attarder outre mesure sur l’identité des députés qui ont déjà mordu à l’hameçon, il est à dénoncer et déplorer cette manœuvre contraire à la constitution du 11 décembre 1990. En effet, l’article 93 de la loi fondamentale dispose : « Le droit de vote des députés est personnel. Le règlement intérieur de l'Assemblée nationale peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote. Dans ce cas, nul ne peut recevoir délégation de plus d'un mandat ». Aux termes de cet article, il apparaît clairement que, non seulement la procuration intervient en cas de force majeure, mais aussi et surtout, sa délivrance et sa réception est limitée.
Or, la pratique qui a cours depuis quelques années, et qui malheureusement se perpétue de législature en législature, fait de la procuration la règle en matière de vote. Des députés, dans leurs calculs politiciens, arrivent à obtenir la procuration de plusieurs de leurs collègues, ceci en violation de l’article 93 sus cité. De même, l’excès de procurations décrédibilise le vote. Comme le dit un sage dicton, « l’excès en toute chose, nuit ».
L’excès de procurations, une fraude à la loi ?
C’est dans cette logique que la Cour constitutionnelle, dans sa décision DCC 06-074 du 8 juillet 2006, relevant des irrégularités diverses dans les 24 procurations ayant servi à « asseoir l’une des majorités qualifiées requises » pour réviser l’article 80 de la constitution, a déploré « l’utilisation de telles procurations qui frise une fraude à la loi ».
C’est dire qu’à force de rechercher coûte que coûte, vaille que vaille des procurations, la majorité présidentielle risque, in fine, de se compromettre. Autrement dit, elle pourrait se prendre à son propre piège, la procuration ne valant que ce qu’elle peut valoir aux yeux de la loi : une délégation de vote.
Au demeurant, la procuration est délivrée dans les conditions fixées par la loi qui en limite l’attribution. Nul ne peut recevoir plus d’une procuration. Aller outre cette exigence légale, revient à remettre en cause notre constitution et notre démocratie. Au surplus, l’achat de procurations amène à s’interroger sur la qualité morale de certains de nos élus qui deviennent frileux face aux espèces sonnantes et trébuchantes. C’est bien dommage !
Prince AKOGOU