Au parlement du Bénin à Porto-Novo, la capitale politique, des absences à la plénière de désignation du bureau de l’institution relancent le débat de la représentativité des nouveaux élus.
L’agent de sécurité privé d’un nouvel élu député est pieds et poings ligotés puis proprement tabassé. Il s’opposait à un acte de vandalisme sur la résidence de son patron absent. La horde de déchaînés serait un groupe de militants de l’alliance politique du propriétaire des lieux. Ayant suivi la consigne de voter contre la mouvance au pouvoir, lors des législatives du 26 avril dernier, ils n’admettent pas de voir leurs élus trahir la décision du groupe. La scène se déroule à Kpomassè, localité située à 66 km au sud-est de Cotonou et proche de Ouidah, la cité réputée pour son passé de comptoir de commerce d’esclaves. Sur les réseaux sociaux et les ondes des radios, des menaces à peine voilées sont distillées et pèsent sur les «honorables députés» (He) -ainsi que sont appelés localement, les représentants du peuple à l’Assemblée nationale. A la veille de la formation du bureau du parlement, des députés sont soupçonnés de vouloir brader leur vote au régime en place. A coup d’espèces sonnantes et trébuchantes.
Une épidémie aux effets redoutables
Des sources évoquent, avec une certitude difficile à vérifier, la centaine de millions de f Cfa par «vote vendu». La transaction prendrait la forme d’une procuration à délivrer contre ce pactole appuyée d’une absence simulée le jour du scrutin. Le président de la république, Thomas Boni Yayi, est accusé de «multiplier stratégies et ruses pour contrôler l’Assemblée nationale». Au dernier congrès des «Forces Cauris pour un Bénin émergent» (Fcbe), son regroupement politique, et dans le processus de mobilisation des troupes en vue des législatives, son pouvoir avait exprimé le désir vital de recueillir 50 sièges nécessaires à sa manœuvre de révision de la Constitution. Pour permettre au «leader charismatique» de continuer à caresser son doux rêve d’un 3è mandat, se susurre-t-on même dans les hameaux les plus reculés. Donnant l’alerte, un élu de l’opposition dénonce être approché et d’avoir décliné l’offre. L’opinion prise à témoin, ses pairs ne sont pas passés à la résistance et notre dénonciateur n’aura pas été entendu.
A la première séance plénière du parlement, 63 députés ont répondu à l’appel et non pas les 83 attendus, qui venaient d’être INVESTIS. Le tiers avait fait défection. L’auguste institution entendait effectuer sa rentrée solennelle pour entamer ses activités par la désignation de son bureau, consacrant ainsi l’ouverture officielle de la 7è législature. Moins d’une semaine plus tôt, les élus avaient pourtant tous fait le tour du secrétariat administratif de la représentation nationale pour y retirer, chacun, le kit des attributs de la fonction (macaron, cocarde et insignes diverses…). Le lendemain, comme de petits écoliers de retour des vacances surexcités, ils sont allés pavoiser à l’hémicycle pour la traditionnelle cérémonie d’investiture. Dès lors, difficile de comprendre qu’entre ce jour-là et celui de l’élection du bureau –72h à peine- une épidémie, fut-elle ébola, ait pu s’abattre sur la trentaine d’élus absents, faisant d’eux des déserteurs contraints à délivrer des procurations mandatant des collègues en leur lieu et place. Côté opposition, 13 procurations tandis qu’aux mains de la mouvance, 16 sont enregistrées.
Sans cash flow, l’union sacrée…
A grande échelle, l’usage de la procuration est apparu, pour la première fois en 2007, dans l’univers sociopolitique béninois. Le régime en place récidive avec la 6è législature. Deux fois consécutivement, l’affaire lui sourit plutôt bien, lui qui en a le brevet d’invention. Mais l’acte en lui-même est institué à titre exceptionnel par les dispositions de l’article 54 du règlement intérieur du parlement soutenu par l’article 93 de la Constitution du 11 décembre 1990 qui stipule que: «Le droit le vote des députés est personnel. Le règlement intérieur de l’Assemblée nationale peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote. Dans ce cas, nul ne peut recevoir délégation de plus d’un mandat».
Dans son appétit vorace de mettre les institutions de l’Etat sous coupe réglée, Thomas Boni Yayi tente de débaucher des députés de l’opposition. Il aura réussi à surfer, à son avènement en 2006, sur l’impressionnant engouement populaire n’ayant jamais porté un homme d’Etat au pouvoir, dans un contexte de démocratie pluraliste. A l’époque, il recueille 75% au premier tour de l’élection présidentielle et 53% au second et a pu faire passer sa stratégie des procurations comme lettre à la poste. Il compte sur elle pour lui éviter une éventuelle trahison des alliés, révélant une crise de confiance majeure, et lui garantit l’achat du vote d’opposants «transhumants de l’ombre», qui lui offre le contrôle de l’Assemblée nationale, à travers son bureau et ses principales commissions (lois, FINANCES, affaires étrangères…).
A ce prix, le pouvoir Fcbe a pu détenir la majorité parlementaire jusqu’aux récentes législatives qui lui font engranger un résultat peu reluisant avec la perspective moins heureuse d’une recomposition en profondeur de l’échiquier politique national. A moins de douze mois de la fin de règne de son parrain. Ce dernier, Thomas Boni Yayi a suscité des vocations, entretemps. L’opposition qui ne dispose pas, par elle-même, de cash flow à distribuer est passée par le jeu des procurations pour éprouver, le temps d’un vote, son pacte d’union sacrée derrière le «faiseur de rois» qu’a toujours été Me Adrien Houngbédji.
Depuis un quart de siècle de vie démocratique du Bénin. Condamnant cet usage des procurations pour rester dans la ligne éthique de la société civile, l’opposition s’y est pourtant adonnée au moment décisif. Adrien Houngbédji a ainsi pu se tirer d’affaire, même si de courte tête, par 42 voix contre 41 pour son adversaire, le très ambitieux jeune ministre des FINANCES, Komi Koutché. Douze ans après, et pour sa 3è fois, le patriarche peut reprendre le maillet dont il se servait pour siffler, du haut de son strapontin, la fin de la récréation à l’hémicycle du «palais des gouverneurs». Au grand bonheur des Béninois pour qui, la démocratie exposée à l’abondante utilisation des «chèques à blanc» risque, à terme, d’être dévoyée si rien n’est fait pour circonscrire le phénomène.
Par Emmanuel S. Tachin