Le Tarif extérieur commun (TEC) en vigueur depuis le 1er janvier dernier dans l’espace CEDEAO apporte des changements profonds dans les pratiques douanières des Etats membres. Mais il offre l’avantage d’être mieux loti comme outil de défense commerciale que son ancêtre le TEC-UEMOA.
Depuis le 1er janvier dernier, les pays membres de la CEDEAO sont entrés de plain pied dans la mise en application du Tarif extérieur commun (TEC), après dix années d’âpres négociations. Son avènement apporte des changements importants dans les pratiques douanières de la région.
Les cinq bandes tarifaires
Le TEC/CEDEAO est constitué de cinq bandes tarifaires dans lesquelles les marchandises sont taxées selon la catégorie à laquelle elles appartiennent. Ainsi, les biens sociaux essentiels (médicaments), classés dans la catégorie 0 sont taxés à 0 pour cent avec 85 lignes tarifaires, tandis que les biens de première nécessité, les matières premières de base, les biens d’équipement, les intrants spécifiques classés dans la 1ère catégorie, sont taxés à 5 pour cent avec 2 146 lignes tarifaires. Les intrants et les produits intermédiaires, classés dans la 2è catégorie sont taxés à 10 pour cent et concernent 1373 lignes tarifaires. Quant aux biens de consommation finale, classés dans la 3è catégorie et les biens spécifiques pour le développement économique classés dans la 4ème catégorie, ils sont taxés respectivement de 20 pour cent avec 2 165 lignes tarifaires et 35 pour cent avec 130 lignes tarifaires.
En dehors de la re-catégorisation, des textes réglementaires ont été adoptés pour accompagner le TEC, en l’occurrence les mesures de défenses commerciales. Il s’agit des mesures de sauvegarde pour restreindre temporairement les importations de certains produits. Il y a aussi l’imposition de droits compensateurs pour lutter contre les effets des subventions, les mesures antidumping pour lutter contre les pratiques déloyales, ainsi que les mesures complémentaires de protection. Ces dernières sont constituées de deux taxes. Primo, la taxe d’ajustement à l’importation permet de procéder à des ajustements au niveau du tarif en faisant la différence entre le taux de droit de douane dans le TEC/CEDEAO et le taux de droit de douane qui était appliqué dans le TEC/UEMOA. L’ajustement peut se faire à la hausse (lorsque le droit de douane inscrit dans le TEC/CEDEAO est inférieur au droit de douane précédemment). Secundo, la taxe complémentaire de protection (TCP) – une taxe additionnelle au TEC/CEDEAO. Cette dernière s’applique aux produits importés des pays tiers dans deux cas de figure : lorsque l’augmentation du volume des importations d’un produit au cours d’une année est supérieure ou égale à 25 pour cent à la moyenne des importations des trois dernières années, ou lorsque la moyenne du prix Coût Assurance Fret (CAF) d’un produit importé au cours d’un mois tombe en dessous de 80 pour cent de la moyenne des prix à l’importation des trois dernières années. Ainsi, le TEC se veut surtout un instrument de protection des unités industrielles nationales des pays membres contre la concurrence de certains produits importés d’autres pays. A titre d’exemple, le poussin d’un jour est taxé à un taux plus faible par rapport aux carcasses de poulets chairs congelées importées qui concurrencent la production nationale. Idem pour les viandes de bœuf ou de mouton importées qui sont classées dans la 4ème catégorie avec 35% de taux de taxation.
Un effort avant l’APE !
La mise en vigueur du TEC/CEDEAO constitue pour l’Afrique de l’ouest un progrès significatif dans le processus de négociation de l’accord de partenariat économique avec l’Union Européenne. Ce nouveau régime tarifaire arrive dans un contexte où l’Union Européenne met la pression pour la conclusion d’un APE dans les meilleurs délais. Selon une publication de l’ICTSD (International Centre for Trade and Sustainable Development), la commission européenne, après avoir adopté la proposition de modification du règlement 1528/2007, a soumis au Conseil de l’Europe et au Parlement européen, une proposition demandant à être autorisée à «modifier la liste des pays qui bénéficient des préférences (annexe I du règlement (CE) n°1528/2007 du Conseil) en retirant ceux qui n’ont pas pris les mesures nécessaires en vue de la ratification d’un APE ». Or, c’est ce règlement 1528/2007 qui permet aux pays ACP ayant paraphé ou signé un APE de continuer à bénéficier d’un accès préférentiel sur le marché européen, en attendant que le processus de signature ou de ratification desdits accords (selon les cas) soient parachevés et que ceux-ci entrent en vigueur. Ce faisant, Bruxelles met encore plus la pression sur les pays de la région pour qui « la question de la ratification des APE intérimaires se pose en termes de choix entre la consolidation des avantages d’accès préférentiels au marché européen et la préservation des processus d’intégration régionale »
Le Bénin risque gros !
S’il faut se réjouir des avancées obtenues dans la conception du TEC/CEDEAO, force est de reconnaître que l’application d’un régime tarifaire unifié est loin de constituer la solution pour les maux qui minent la construction d’une Afrique de l’ouest intégrée. Le cas de l’UEMOA est là pour édifier les Etats de la région sur la nécessité à tirer toutes les conséquences liées à la mise en place d’une union douanière. En treize ans d’application du TEC, la libre circulation des personnes, des biens et le droit d’établissement n’ont jamais été une réalité dans l’espace UEMOA. «La faible complémentarité économique de la région complique la mise en place du TEC et son effet restera faible sans l’effectivité de la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et le droit d’établissement », a fait observer le Cercle de réflexion stratégique sur la vision (CRSV) mis en place par la Fondation Friedrich Ebert.
Le TEC/CEDEAO présente un intérêt majeur pour le Bénin qui a des relations économiques particulières avec le géant Nigeria, pour qui la mise en œuvre de cet instrument va induire un démantèlement tarifaire sans précédent. Du coup, le Bénin qui a longtemps profité des échanges informels et du commerce de réexportation induits par les tarifs douaniers élevés du Nigeria risque de vivre un amenuisement des recettes douanières. Un tarif douanier unifié entre le Bénin et le Nigeria devra donc sonner le glas du commerce de réexportation. Encore qu’il est temps, il y a lieu pour le pays de repenser ses relations économiques avec le Nigeria dont il a tout à gagner en mettant en place une véritable cellule de veille et de réflexion stratégique et en préparant ses opérateurs économiques à une meilleure pénétration de ce grand marché de plus de 160 millions de consommateurs.
Quand des pays marquent le pas !
Si l’avènement du TEC/CEDEAO est globalement salué dans la région, plusieurs Etats membres peinent encore à mettre en vigueur la nouvelle réglementation. Au 30 avril dernier, seulement huit pays ont entamé la mise en œuvre de la réglementation communautaire, fait observer le Conseil des ministres de la CEDEAO, tenu le 17 mai dernier à Abuja au Nigeria. Il s’agit du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Nigeria, du Sénégal et du Togo. Selon la Commission de la CEDEAO, les sept autres Etats membres ont accusé un retard sur le calendrier fixé, pour des raisons de santé publique, des exigences de la législation et d’autres considérations techniques. Ce retard constitue encore un grain de sable dans le processus de construction du marché commun cher aux leaders de la région. G.A