Par Patient GANDAHO[1]
« Ce que les autres te reprochent, cultive-le parce que c’est toi », écrivait Jean Courteau. Il y a un an et demi, l’ancien Premier Ministre Pascal Irénée Koupaki nous surprend en publiant un Livret bleu : diagnostic concis, clair et efficace de nos faiblesses. L’auteur a trouvé les mots, sinon totalement justes, du moins les moins faux possible pour nous inviter à une inversion/reconversion de notre conscience. Mais comme tous les grands hommes d’Etat, PIK sait qu’il ne suffit par d’être l’artisan d’un mot pour en faire un mot historique. Pour que des mots (re)deviennent peu à peu des paroles fondatrices, ils ont besoin de la détermination de leur inventeur.
Depuis l’apparition de son opuscule sur la Nouvelle Conscience, PIK a disparu des radars de l’actualité radio-télévisuelle pour un long pèlerinage au cœur du Bénin silencieux. PIK est parfois une énigme, même pour ses proches collaborateurs. Ce technocrate cultivé et impeccable, plutôt fait pour crever l’écran, abondamment courtisé par les journalistes, refuse le diktat de la médiacratie en creusant, imperturbable, ses sillons dans le silence d’une méthode méticuleusement et résolument élaborée. PIK ne craint pas les journalistes, il ne les méprise pas non plus. Il fait la différence entre l’opinion publique et l’opinion publiée.
La seconde est celle que Machiavel nommait « la pensée de la place publique ». Celle-ci est certes, fragile et versatile, mais profondément humaine. L’ancien Premier Ministre la préfère à l’opinion publiée qui se veut savoir et expertise, mais qui n’est en réalité constituée que d’idées convenues : lieux communs et autres bavardages à base de bons sentiments. L’opinion publiée a besoin des canaux habituels de la communication instantanée. Or, pour PIK, la Nouvelle Conscience est une graine qu’il faut semer soigneusement, patiemment, contre vents et marées. C’est un travail de fond qu’il espère voir dépasser sa propre personne pour s’enraciner lentement mais irréversiblement dans la postérité. PIK ne veut pas informer mais expliquer. Comme tous les grands hommes d’Etat, Pascal Irénée Koupaki est un bon têtu. Il sait que la germination d’une grande idée est aussi une affaire de sacrifice personnel, une traversée du désert au cours de laquelle il faut rester le seul Capitaine de son âme[2], pour reprendre la célèbre formule de l’écrivain Britannique William Ernest Henley dans Invictus, c’est à dire invincible. C’est pourquoi les critiques, les attaques et autres fariboles ne le détournent pas de ses convictions profondes. Comme les bons têtus, il croit profondément que les grandes idées ne sont pas celles dont les signes, irréfutables, apparaissent déjà dans le ciel, mais celles que nul n’attendait comme la solution ultime.
La méthode PIK : on ne transforme pas tout d’en haut
Pendant neuf mois, cet homme plutôt discret mais d’une vitalité physique incroyable a pris son bâton de pèlerin pour parcourir sur plus de 30 000 km le Bénin, du nord au sud, de l’est à l’ouest. Convaincu que l’on ne tend pas la main à un peuple en l’arrosant à distance de bonnes intentions, PIK est allé à la rencontre de ses compatriotes pour non seulement leur expliquer le concept de la Nouvelle Conscience, mais aussi et surtout leur donner la parole.
Jamais dans notre histoire, un homme d’Etat n’aura réussi, comme il l’a fait, à exposer le fond de sa pensée sur la pathogenèse de notre affaissement collectif aussi bien aux femmes, aux jeunes, aux artisans, aux enseignants, aux représentants de la société traditionnelle, bref, à toutes les couches de la société béninoise, de manière à rendre le concept de la Nouvelle Conscience compréhensible et attractive aux personnes les moins instruites. Autant que le personnage, la démarche est originale.
Au cours des dizaines et des dizaines de causeries-débats organisés dans tout le pays, PIK s’est refusé de caresser les populations dans le sens du poil. Pour l’ancien Premier Ministre, la condescendance est un instrument de domination dont le seul bénéficiaire est au final le dominant lui-même qui voit fructifier son capital sympathique. On ne prend pas en pitié un peuple en souffrance. On lui donne la clé des mécanismes qui fonde sa méconnaissance des hommes de pouvoir et des grands enjeux sociétaux. Ce faisant, on le rend libre : libre de comprendre, libre de décider, libre d’agir. PIK n’est pas un politique asservi à l’électoralisme. C’est un homme populaire qui ne craint pas de cesser de l’être. Admirateur de Saint-Augustin, il sait que « la crainte de perdre ce que l’on a empêche d’atteindre ce que l’on est ». Avec sa pédagogie et son grand sens d’illustration, l’ancien Premier Ministre démontre aux populations que si la vie peut les mettre à genou, elles sont seules à pouvoir accepter ou refuser de se remettre debout. Il les écoute, les comprend, recueille leurs doléances, mais ne manque pas de leur rappeler que le sucre ne sert à rien quand c’est le sel qui nous manque. En un mot, nous avons une seule solution pour tous nos problèmes, c’est la Nouvelle Conscience.
La méthode PIK est aussi une méthode décontractée. Cet homme doté d’une autorité charismatique naturelle n’aime pourtant pas rester derrière un pupitre comme aiment tant le faire nos chefs. Micro en main, il descend dans l’arène, remplit l’espace, déroge aux règles protocolaires en désignant et en invitant lui-même directement ses interlocuteurs sur la scène du débat. Il les taquine et se laisse taquiner. Il refuse de faire filtrer les questions qui lui sont posées. Il réussi avec une efficacité linguistique insoupçonnée chez lui, à convertir les subtilités de sa pensée en adages et proverbes de sa langue originelle. Le paradoxe de PIK est d’être un homme de qualité qui ne fait rien pour le faire savoir. Il préfère à la scène médiatique, le contact direct avec les populations. Il a l’air heureux lorsqu’il se retrouve en immersion dans le Bénin profond dont la matrice culturelle a profondément enrichi depuis quelques années sa vision du monde.
La structuration de la pensée de PIK
La complexité de sa pensée se trouve dans la symbiose qu’il a su opérer entre société traditionnelle et société moderne. Ce technocrate raffiné et rationnel n’a eu aucun mal à dire oui aux divinités de ses ancêtres dont il est, depuis peu, l’un des porte-paroles légitimes. PIK est un homme moderne profondément trempé dans la tradition. Pour l’ancien Premier Ministre, l’irrationnel n’est pas le non-rationnel, l’illogisme n’est pas la non-logique. La vraie souveraineté a une généalogie endogène. Il faut le comprendre ainsi pour retrouver une identité propre au cœur de la mondialisation. Il est convaincu que pour voir loin en avant, il faut d’abord voir loin en arrière. Aussi, répète-t-il inlassablement aux populations visitées que le Bénin ira mieux le jour où le respect de nos institutions et de notre devise, Fraternité-Justice-Travail, sera à la mesure de celui que nous accordons à nos valeurs traditionnelles. Comme Michel Maffesoli dans Apocalypse, PIK reste convaincu que « Le trésor culturel est à la fois, le fond, les fonds assurant, stricto sensu la vie sociale, permettant que perdure, au-delà ou en deçà des vicissitudes de l’existence, l’être ensemble fondamental ». Autrement dit, lorsqu’une société n’a plus conscience de ce qui l’unit, elle n’a plus confiance dans les valeurs qui assuraient la solidité du lien social.
De son intelligence généreuse, il va souvent puiser les références qui nous font défaut dans notre rapport à la République. Ainsi, face aux populations, il rappelle l’évidence amoureuse qui guide nos relations familiales ou amicales et nous invite à nous en inspirer pour refonder notre amour du Bénin. Dès lors, nous cesserons d’être les habitants du Bénin pour devenir des béninois, c'est-à-dire de dignes filles et fils du Bénin dont les pensées et les pratiques seront toujours tournées vers la Nation, laquelle reste in fine, selon la formule de Jean Jaurès, le seul bien de ceux qui n’en ont pas.
Mais celui qui sait lire l’oracle, qui sait le traduire à ses frères, peut-il encore refuser de présider la cérémonie sacrificielle ? La décision de PIK sera celle des dieux.