Depuis quelque temps, la rumeur se répand comme une traînée de poudre dans le microcosme politique béninois: Patrice Talon, ex-homme lige de Yayi Boni tombé en disgrâce et réhabilité, tour à tour par les justices béninoise et française, puis par le président béninois lui-même, le brasseur d’oseille devenu faiseur de rois, souhaiterait se lancer dans l’aventure présidentielle de 2016. Mais quelles chances Patrice Talon aurait-il d’être élu président de la République?
L’information a été donnée par le quotidien béninois La Nouvelle Tribune, citant des sources proches du milliardaire.
Le quotidien lève aussi un coin de voile sur ce qu’il présente comme des réformes phares du candidat présumé: en cas d’élection, Patrice Talon envisagerait de limiter le nombre de mandats présidentiels à un quinquennat unique – au lieu de deux actuellement -, en appliquant la mesure de manière rétroactive; il envisagerait également de revisiter le mode de désignation des membres des institutions de contre-pouvoir, notamment ceux de la Cour constitutionnelle, dans le but de renforcer leur indépendance.
De l’avis de tous les spécialistes consultés, si ces informations sont vérifiées, il s’agirait d’un événement important, voire d’un tournant, dans la vie politique béninoise.
Car dire de Patrice Talon qu’il est un homme puissant s’apparente à un euphémisme, dans le contexte béninois.
Cet homme discret par nature est un fin calculateur, qui a su jouer de ses relations pour constituer un redoutable empire financier dans son pays.
Le magnat béninois du coton contrôle aussi des pans entiers de la vie publique de son pays, à commencer par la presse.
Sa proximité avec Charles Toko, le bouillant PDG du groupe de presse Le Matinal, est un secret de polichinelle. Les deux hommes se rencontrent régulièrement à Paris et échangent sur la vie politique nationale.
Outre Charles Toko, le plus célèbre exilé béninois s’est créé un réseau qu’un journaliste de la presse béninoise qualifie de "galaxie Talon", autour duquel orbitent une pléiade de journalistes, dont Malick Gomina, de la chaîne Canal 3.
L’homme sait rémunérer ceux qui lui sont fidèles et ces derniers, micro et plume en joue, se révèlent comme de redoutables porte-flingue, prêts à dégainer pour protéger l’image de leur champion.
"Talon est imprenable, insaisissable, mais tellement présent dans toutes les rédactions", s’amuse un journaliste du quotidien "La Nation."
Sur le plan politique, c’est une véritable tour de contrôle du microcosme politique béninois, à quelques rares exceptions près.
Il semble que dans son pays, nul ne peut prétendre sérieusement à la fonction présidentielle, sans passer par la case Talon.
Ainsi, députés, maires, voire ministres, du pouvoir comme de l’opposition, ne gagnent pas leur brevet de respectabilité, sans avoir fait l’incontournable pèlerinage à Paris.
Le dernier gros bras de la politique béninoise à avoir rencontré Patrice Talon n’est autre que le président de l’Assemblée Nationale du Bénin, Mathurin Nago et le rendez-vous a eu lieu en octobre, au domicile parisien de Claudine Prudencio, députée de l’Union pour le Développement du Bénin Nouveau (UDBN).
A Cotonou, les services de renseignement de la présidence ont dû détacher une annexe à Paris, pour surveiller les activités de tous les hommes politiques locaux.
Les plus téméraires, tels Rachidi Gbadamassi, sulfureux député proche du pouvoir, qui n’hésite pas à revendiquer en public sa proximité avec Patrice Talon, tout en se faisant le champion de la politique de Yayi Boni, prennent le départ à bord du vol quotidien AF 805 Cotonou-Paris, pour rencontrer, au grand jour, le prince d’Abomey.
D’autres encore, essaient de détourner la vigilance des services de renseignements, qui en empruntant des routes tortueuses, via Lagos, Lomé ou Abuja, qui en suivant Talon dans ses déplacements hors de Paris…
Selon un fin connaisseur des mœurs politiques, locales, "au Bénin, le concept de majorité est une illusion d’optique. Les conclusions des réunions politiques où chacun croit défendre les intérêts d’une formation politique ou d’une idéologie n’engagent que ceux qui y croient. Une chose est de s’entendre sur des décisions; une autre est d’en assurer "le suivi gombo" – terme technique pour souligner le besoin de s’assurer de mettre les participants suffisamment à l’aise, pour éviter la tentation d’Achille – surnom donné, dans les milieux initiés, à Patrice Talon, en référence à Achille Talon, héros de la bande dessinée éponyme de Michel Louis Albert Regnier.
Le nom de Talon revient dans toutes les tractations politiques dans le pays. Il était l’homme de l’élection de Yayi Boni, en 2006, puis, l’artisan de sa réélection, en 2011.
Mais Talon n’est pas que l’argentier du système. "C’était aussi un redoutable stratège, qui sait mettre ses intérêts en avant", explique un responsable des FCBE, principale composante de la coalition qui soutient le pouvoir.
"Il n’hésite pas à décaisser de l’argent pour positionner ses hommes de confiance à des postes stratégiques dans l’appareil d’Etat, même s’ils doivent y être en minorité, comme c’est le cas à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC)."
Le magnat du pétrole aurait ainsi investi pas moins de 50.000.000 Francs CFA, pour soutenir par personnes interposées, un candidat un temps pressenti comme vice-président de l’institution.
Ainsi, le pouvoir béninois l’accuse ouvertement d’avoir dévoyé la justice, dans l’affaire de tentative d’empoisonnement de Yayi Boni, en corrompant à tour de bras.
Dans la ligne de mire du camp présidentiel: le juge Angelo Houssou, qui confiait naguère à Afrika 7, au sujet des accusations de corruption le visant: "Demandez à M. Patrice Talon s’il me connait. Et puis, cela n’engage que ceux qui le disent et ceux qui y croient. Une affirmation telle que celle-là mérite d’être prouvée. Je crois que le gouvernement a les moyens d’investigation, les moyens de savoir si oui ou non j’ai été acheté par la partie gagnante. C’est un peu comme si on disait que même les juges de la cour d’appel, ainsi que les juges français, ont été achetés. Je crois que c’est suffisamment sérieux pour qu’on cesse d’infantiliser les gens et qu’on tire toutes les conséquences." (Lire l’interview intégrale sur afrika7.com.)
Fait notable, pourtant: le juge, exilé depuis aux Etats-Unis, a fait savoir qu’il serait, lui aussi, candidat à l’élection présidentielle de 2016.
Duel
Autre candidat déclaré: Me Joseph Djogbénou, avocat de Patrice Talon, dans l’affaire de tentative d’empoisonnement du président Yayi Boni.
Certes, la multiplication des candidatures dans l’environnement objectif ou subjectif du magnat béninois du coton est de nature à susciter des questionnements quant à ses propres intentions présidentielles.
Mais pour qui connait les mœurs politiques dans ce pays, il n’est pas difficile d’envisager l’hypothèse de petites candidatures satellites, dans l’éventualité d’un report massif de voix au second tour de la présidentielle de 2016, au cas où Patrice Talon serait candidat et… se retrouverait au second tour.
Dans cette partie d’échecs qui se joue sous nos yeux, chaque camp se veut très concentré.
Dans le camp Yayi, les plus radicaux reviennent à la charge, demandant au président de faire un passage en force pour lui permettre de rempiler en 2016, si la candidature de Patrice Talon se confirmait.
A l’appui de leur thèse: l’éventualité de l’élection de Patrice Talon n’est pas à prendre à la légère. Et si elle se confirmait, il n’est pas exclu que Talon fasse payer à Yayi les avanies que le président lui a fait subir au cours de ces dernières années, d’autant que Patrice Talon détiendrait sur lui des "dossiers" que les moyens présidentiels lui permettraient de transformer en bombes politiques.
La plupart des hommes politiques consultés par Afrika 7 ne souhaitent pas s’exprimer publiquement sur le sujet, invoquant un argument-clé: "Talon n’a pas encore annoncé sa candidature. Quand il le fera, nous aviserons."
Mais, en privé, ils se montrent un peu plus diserts:
Pour le camp Yayi Boni, l’équation est simple: ou barrer la route, par tous les moyens, à une éventuelle candidature de Patrice Talon, en encourageant une candidature sérieuse dans le camp présidentiel, ou pousser le président à se porter candidat lui-même, en repassant par la case "révision constitutionnelle."
Dans le camp des autres partis politiques, le mot d’ordre est on ne peut plus clair: "il n’est pas question de laisser ces deux-là prendre de nouveau en otage les Béninois."
C’est le leitmotiv des partisans de l’Union fait la Nation, qui assurent avoir un plan de déstabilisation à double impact…
Qui ne dit rien consent
Au Bénin, plus que la pertinence des idées, l’élection se joue en grande partie sur la capacité des candidats à sortir de l’oseille.
Sur ce terrain, Patrice Talon semble avoir une longueur d’avance sur la plupart des candidats, déclarés ou potentiels.
Pour ce qui est de ses capacités intellectuelles, même s’il est généralement très discret, l’homme a déjà eu l’occasion de démontrer, dans plusieurs interviews, la pertinence, la cohérence et l’intelligence de ses arguments.
Il reste à convaincre ses compatriotes que sa candidature, si elle se confirme, n’est pas une simple aventure anti-Yayi, mais une entreprise visant à contribuer effectivement à réveiller les potentialités du pays, en matière de développement.
Son expérience en tant qu’homme d’affaires pourrait lui être d’une grande utilité.
Mais elle pourrait également être perçue comme un boulet dans son œuvre de conquête du pouvoir.
Cela s’entend déjà du reste, dans certains milieux, sous la forme de boutade: "Il veut s’en mettre encore plus dans la poche."
A contrario, il y a aussi ceux qui estiment qu’une éventuelle candidature de Patrice Talon serait la résultante d’une convergence d’intérêts avec… Yayi Boni.
A l’appui de ce raisonnement: le président aurait acquis la conviction que le prochain président ne peut être issu du personnel politique actuel, d’où cette volonté de rapprochement avec l’ennemi d’hier, au cas où...
Dans les milieux de la presse, nombreux sont les observateurs qui considèrent que si l’éventualité d’une candidature de Patrice Talon n’est pas de piètre enjeu, loin s’en faut, on en est encore à l’étape de l’évaluation.
Pour ceux-là, il s’agirait, en tous cas pour l’heure, d’un ballon d’essai pour mesurer la réaction du public.
Dans cette hypothèse, l’opération de communication semble avoir réussi, puisque la presse semble s’être emparée du sujet.
Reste que le principal concerné, fidèle à ses habitudes, n’a pas fait le moindre commentaire sur la question.
Qui ne dit rien consent?