Au moment où l’Afrique entamait son émergence économique, la France s’est déconnectée de la réalité économique africaine naissante. Le rapport Védrine-Zinsou présente "un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France" et propose d’inverser la tendance, avec des initiatives nouvelles et... décomplexées.
Le continent africain, qui entame son émergence économique, est le lieu d’une compétition mondiale croissante où la France perd des parts de marché. Il est possible de renverser la tendance. Les atouts de l’Hexagone sont nombreux. Ce que la France peut apporter au continent est considérable. Ce qu’elle peut en retirer l’est tout autant.
C’est dans les grandes lignes la conviction qui sous-tend « Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France », le rapport rédigé par le diplomate français Hubert Védrine, le financier franco-béninois Lionel Zinsou, l’économiste Hakim el-Karoui, l’ancien patron de l’AFD (Agence française de développement) Jean-Michel Severino et l’assureur ivoirien Tidjane Thiam.
Les 15 propositions du rapport Védrine-Zinsou :
1 – poursuivre et amplifier les mesures révisant la politique française de visas économiques afin de faciliter la circulation des acteurs économiques entre la France et l’Afrique ;
2 – relancer la formation du capital humain, la coopération universitaire et de recherche, les échanges intellectuels et les orienter vers le développement ;
3 – soutenir le FINANCEMENT des infrastructures en Afrique ;
4 – réduire le coût de mobilisation des capitaux privés et des primes de risques appliquées à l’Afrique ;
5 – contribuer au renforcement des capacités de FINANCEMENT de l’économie africaine ;
6 – augmenter les capacités d’intervention de l’union européenne en faveur de l’Afrique ;
7 – susciter des alliances industrielles franco-africaines dans des secteurs clés pour les économies française et africaine ;
8 – promouvoir l’économie responsable et l’engagement sociétal des entreprises ;
9 – accompagner l’intégration régionale de l’Afrique ;
10 – renforcer l’influence de la France en Afrique ;
11 – réinvestir au plus vite la présence économique extérieure française en Afrique ;
12 – intensifier le dialogue économique entre l’Afrique et la France ;
13 – favoriser l’investissement des entreprises françaises en Afrique ;
14 – faire de la France un espace d’accueil favorable aux INVESTISSEMENTSfinanciers, industriels, commerciaux et culturels africains ;
15 – créer une fondation publique-privée franco-africaine qui sera le catalyseur du renouveau de la relation économique entre la France et l’Afrique.
Réalisé à la demande du ministre de l’Economie et des FINANCES français, Pierre Moscovici, ce rapport est rendu public le mercredi 4 décembre 2013, dans le cadre de la conférence pour un nouveau modèle de partenariat économique entre l’Afrique et la France, organisée en marge du Sommet de l’Élysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique.
Réciprocité et remobilisation
Les 15 propositions avancées dans ce rapport s’ancrent, selon les auteurs, « dans un changement de perception et d’attitude de la France à l’égard de l’Afrique, des Africains et des Franco-Africains » et « s’appuient sur la promotion d’intérêts économiques réciproques ».
Elles se répartissent en deux ensembles : un premier groupe de neuf propositions visant l’établissement d’un « agenda économique partagé au service d’une croissance africaine et française » et un second groupe de recommandations destinées à remobiliser « la France aux côtés d’une Afrique subsaharienne en marche », en activant l’ensemble des leviers politiques, financiers et économiques dont dispose l’Hexagone.
Les contributions les plus originales contenues dans ce premier groupe de recommandations concernent quatre défis importants auxquels les pays africains sont confrontés aujourd’hui : le FINANCEMENT des infrastructures, l’inadéquate évaluation du risque, l’accès au crédit pour les opérateurs économiques et la mobilisation de l’épargne, ainsi que l’intégration régionale.
Le rapport recommande d’apporter l’expertise française au Fonds Africa50 de la BAD et de créer un véhicule significatif de FINANCEMENT des infrastructures en Afrique « ayant un pouvoir d’entraînement sur les autres opérateurs économiques », à travers le rapprochement de la Caisse des dépôts et consignations et l’AFD.
Evaluation du risque
En ce qui concerne l’évaluation des risques en Afrique, le rapport préconise l’introduction, par la France, au niveau de l’OCDE, d’une proposition de « réexamen technique du modèle d’évaluation des risques financiers africains ».
Au niveau des institutions françaises, les auteurs proposent d’ouvrir le guichet ARIZ (fonds d’assurance pour le risque de FINANCEMENT de l’investissement privé en zone d’intervention) de l’AFD aux fonds propres, de manière à couvrir également les prises de participations en plus des prêts et de cofinancer la notation d’une quinzaine d’entreprises africaines pour « amorcer l’objectivation de la réalité du risque africain ».
Afin d’améliorer la mobilisation de l’épargne en Afrique et son orientation vers le FINANCEMENT de l’économie, le rapport propose d’encourager le développement de l’assurance-vie et de l’assurance-retraite sur le continent à travers, notamment, un appui à la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (CIMA) et le développement de partenariats avec les bourses africaines les plus demandeuses pour soutenir le développement local (marchés d’actions…).
Elargir la « zone CFA »
L’une des ruptures les plus claires qu’introduit ce rapport concerne l’intégration régionale en Afrique. Il recommande ainsi l’élargissement géographique de l’OHADA, en priorité vers les pays lusophones, mais aussi : l’expansion de la « zone CFA » aux pays limitrophes, notamment le Ghana, le Libéria et la Sierra Leone.
Cette intégration devrait permettre à la zone de devenir « un bloc économique régional renforcé et une enceinte de dialogue panafricain », à même de dialoguer plus facilement avec le géant nigérian. Signe du caractère très sensible du sujet, le rapport évoque « symboliquement », un abandon du nom de « Zone franc » et la possibilité d’un accord de stabilité monétaire en cas de difficulté de balance des paiements tout en laissant flotter la monnaie par rapport à l’euro.
Le spectre de Pékin
Les cinq propositions de ce rapport traitant de la remobilisation et de l’activation des atouts de la France aux côtés de l’Afrique subsaharienne prennent acte de la réussite des stratégies plus agressives et plus « intégrées » adoptées par les pays émergents en Afrique. Au premier rang de ceux-là, la Chine qui a vu sa part de marché en Afrique passer de moins de 2% en 1990 à 16% en 2011, alors qu’entre 2000 et 2011, « la part de marché de la France au sud du Sahara a décliné de 10,1% à 4,7% ».
Le rapport Zinsou-Védrine envisage l’abandon du nom « zone franc » et l’établissement d’un régime flottant vis-à-vis de l’euro
L’une des clés du succès de ces pays émergents selon les auteurs du rapport tient en une idée force : « Les pays qui INVESTISSENT aujourd’hui en Afrique s’appuient sur une stratégie de puissance portée par les États. »
En conséquence, le rapport propose trois axes majeurs de développement. Il s’agit premièrement de faciliter l’investissement des entreprises françaises en Afrique subsaharienne via l’appui du fonds d’investissement et de soutien aux entreprises en Afrique (FISEA) de l’AFD à travers des partenariats entre Proparco/FISEA et les entreprises françaises en vue d’investir.
En parallèle, la Coface pourrait accorder une garantie publique pour la couverture du risque politique aux INVESTISSEMENTS EN CAPITAL.
La seconde recommandation est que la France pèse davantage sur les choix d’emploi des ressources des bailleurs multilatéraux, en exerçant notamment une influence en amont sur la rédaction des appels d’offre des banques multilatérales de développement, de façon à « favoriser utilement les sociétés françaises ». De même, il est préconisé que la France, à l’image de la stratégie adoptée par la Chine, « ajoute l’offre financière à l’offre technique (…) pour emporter les marchés dans la compétition internationale actuelle ».