Le président béninois Thomas Boni Yayi a sorti jeudi soir 18 juin une surprise de son chapeau. A la tête de son nouveau gouvernement figurera le banquier franco-béninois Lionel Zinsou, 60 ans, ancienne plume de Laurent Fabius et ancien professeur d’économie à l’ENA. M. Zinsou dirige depuis 2008 un des plus importants fonds d’investissement français, PAI Partners, et préside depuis le début 2015 la Fondation Africa France voulue par François Hollande pour rénover les liens entre la France et le continent.
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« Passée la surprise, notre réaction est une joie mêlée d’appréhension, estime à Cotonou un proche de Lionel Zinsou, sous couvert de l’anonymat. C’est évidemment un homme brillant, qui sait exactement ce qu’il faut faire pour redresser le pays. Mais aura-t-il les coudées franches ? Que sait-il de la politique locale qui est un véritable panier de crabes ? Réussira-t-il à agir dans les neuf mois qui restent d’ici la présidentielle ? »
Critiqué pour sa concentration excessive du pouvoir, ses humeurs et son maigre bilan, le président Thomas Boni Yayi, qui effectue son second et dernier mandat, a vu le parlement basculer dans l’opposition après les législatives d’avril 2015 et ses conseillers l’abandonner les uns après les autres ; tous ses conseillers sauf… Lionel Zinsou qui tenait début juin à Cotonou des propos plutôt amènes à son égard. Il déclarait au Monde :
« Le président est un homme qui a voulu bien faire mais il a buté sur une administration à la fois formaliste et indolente. »
Les téléspectateurs béninois ont ainsi découvert fin avril 2015 que leur président avait dû se rendre en personne à l’aéroport de Cotonou pour obtenir que soient bouchés les trous de la piste d’atterrissage, Air France refusant désormais de s’y poser. « Si la piste n’est pas réparée d’ici demain midi, je vous balaie tous ! », tonne le président dans une séquence disponible sur YouTube. Et les responsables de l’aéroport de bredouiller, pour des nids-de-poule apparus des mois plus tôt, qu’un bon de commande n’était pas arrivé, qu’une notification était attendue et qu’un appel d’offres avait été lancé.
Un tremplin pour d’autres fonctions
Quelques jours plus tard, le 6 mai 2015, les Pays-Bas annonçaient la suspension de leur aide au développement pour le Bénin, après avoir découvert que quatre millions d’euros versés pour des projets d’accès à l’eau potable s’étaient évaporés. Ce scandale a provoqué la démission du ministre de l’énergie et de l’eau, Barthélemy Kassa, lequel, élu entre-temps au parlement, jouit ainsi de l’immunité parlementaire.
« Prendre la tête du gouvernement dans ces conditions est un sacré défi pour Lionel Zinsou, poursuit son proche. Nous nous demandons ce qu’il est venu faire dans cette galère. Mais s’il réussit à faire la différence, alors cela pourrait être un tremplin pour d’autres fonctions ».
C’est d’une candidature à la présidentielle de février 2016 dont il est question. Selon le média béninois La Nouvelle Tribune, le président Boni Yayi a évoqué Lionel Zinsou comme étant « son dauphin » le 9 juin dernier lors d’un entretien à l’Elysée avec François Hollande. Un président français qui fera d’ailleurs escale le 2 juillet à Cotonou lors de sa prochaine tournée africaine.
Ennemi de l’afro-pessimisme
Lionel Zinsou, né en France d’un père béninois, médecin de son état, et d’une mère franco-suisse, infirmière des hôpitaux de Paris, a peu vécu au Bénin. « Cela ne fait qu’une quinzaine d’années que je viens régulièrement à Cotonou », a-t-il déclaré début juin. Pour autant, son nom est loin d’y être inconnu. Son oncle, Emile-Derlin Zinsou, qui l’a en partie élevé, a été de juillet 1968 à décembre 1969 président du pays qui s’appelait encore le Dahomey.
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Par ailleurs, une Fondation Zinsou a vu le jour à Cotonou en 2005, présidée par Marie-Cécile Zinsou, la fille de Lionel. Elle est réputée pour ses collections et ses expositions d’art contemporain africain, son travail visant à la conservation du patrimoine artistique béninois et ses succès à rendre l’art accessible à des milliers d’enfants béninois et même nigérians.
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Deux courants de pensée agacent profondément Lionel Zinsou : l’afro-pessimisme et ce qu’il appelle le « french-bashing étendu à la francophonie », c’est-à-dire l’idée que les pays anglophones d’Afrique se portent bien mieux que les anciennes colonies françaises. « Chaque fois qu’on révise les comptes nationaux, on s’aperçoit que la croissance de l’Afrique a été très proche de celle de l’Asie sur les vingt dernières années », a-t-il déclaré à Bercy le 6 février dernier devant un parterre de responsables politiques et économiques franco-africains.
Il reconnaît que les pays anglophones d’Afrique sont davantage « business friendly » mais y décèle aussi des « inégalités incontrôlables ». Sa doctrine économique est en effet loin du libéralisme débridé : « Les politiques publiques sont légitimes à condition qu’elles ne fassent pas ce que le privé fait mieux, déclarait-il début juin à Cotonou. Je ne pense pas que le marché produira les biens publics dont l’Afrique a besoin : l’éducation, la santé, l’accès à l’eau et à l’électricité. »
« Je ne pense pas que le marché produira les biens publics dont l’Afrique a besoin : l’éducation, la santé, l’accès à l’eau et à l’électricité. » Lionel Zinsou
En ce qui concerne plus précisément le Bénin, dont le destin repose désormais en partie sur ses épaules, Lionel Zinsou ne connaît que trop bien la liste des priorités : chômage des jeunes dont la formation est inadaptée et les professeurs en grève, manque d’eau potable et d’électricité, axes routiers en déréliction, inondations récurrentes et de plus en plus dangereuses, enrichissement illicite de certains responsables politiques. Difficile de compter sur l’extérieur : « Nous n’utilisons en moyenne que 20 % de l’aide que nous recevons en raison des difficultés à la gérer », dit-il.
Lionel Zinsou était à Paris jeudi 18 juin au moment de l’annonce de la composition de « son » nouveau gouvernement. Va-t-il s’installer à Cotonou ? « Oui, dès demain matin » (vendredi), a affirmé sa fille Marie-Cécile.
Par Serge Michel (Niamey, envoyé spécial)