Les propos tenus par le premier ministre à sa nomination au sujet des réformes à mettre en œuvre à 9 mois de la fin du mandat du président de la République ont sorti le professeur Joël Aïvo de son gong. Dans une interview accordée à la radio des défis, Océan Fm, l’agrégé en droit suppose qu’il y a sans doute un malentendu entre Lionel Zinsou et le chef de l’Exécutif béninois.
Océan Fm : Le premier ministre Lionel Zinsou a dit que pour le nombre de mois qui reste pour le gouvernement de Yayi Boni, ils vont essayer d’adopter un certain nombre de réformes irréversibles au point où le régime qui viendra ne pourra pas remettre en cause ces réformes. Quelle est votre appréciation à propos de cette façon de voir de Lionel Zinsou ?
Joël Aïvo : Je trouve que l’ambition qui est celle du premier ministre d’instaurer, dans les dix mois qui restent au président de la République, une gouvernance de qualité, d’essayer d’assainir la gestion du pays, je trouve que tout cela est noble mais, il m’a semblé quelque part, qu’il y a un malentendu entre le premier ministre et peut-être le chef de l’Etat qui l’a appelé à ses côtés, qui a souhaité qu’il l’aide à engager certaines réformes. Il y a un malentendu non seulement entre le premier ministre et le chef de l’Etat, mais aussi entre le premier ministre et, peut-être, le peuple béninois. Je considère, en lisant un peu les déclarations du premier ministre et ses intentions, qu’il a dit qu’il était venu pour assainir la gouvernance du pays et surtout pour engager un certain nombre de réformes qu’il considère comme irréversibles et qui s’imposeraient au prochain chef de l’Etat. De mon point de vue, je pense que le premier ministre n’est pas de son mandat et ne peut, de son mandat, engager des reformes qui soient irréversibles et qui s’imposeraient au prochain chef de l’Etat. Toutes les réformes qui peuvent être engagées doivent être engagées. Je suis d’accord que le président Yayi Boni gouverne jusqu’à la fin de son mandat. Mais, aucune réforme ne doit être imposée au peuple béninois. Aucune réforme ne peut être imposée au prochain chef de l’Etat qui, lui, lorsqu’il sera élu aura son contrat, un nouveau contrat avec le peuple béninois. C’est au le peuple béninois qu’il revient de voir, dans les engagements qui ont été pris par le président actuel, par les réformes qui auront été engagés, celles qui sont compatibles avec les intérêts économiques de notre pays et les réformes qui méritent d’être amplifiées, d’être consolidées et, s’il y a , des réformes qui ont été faites ou s’il y a des politiques qui ont été initiées, s’il y a des engagements qui ont été pris par le président Yayi Boni, il est possible que des engagements soient démantelés, que des réformes soient déconstruites. Je voudrais donc dire au premier ministre, qu’aucune réforme de celles qu’ils auront à engager en dix mois, ne peut être irréversible. Aucune réforme ne peut s’imposer au chef de l’Etat. Moi, à titre personnel, je les soutiens. Je leur demande d’engager, de continuer à moderniser le pays mais, seulement dans le temps du mandat qui leur reste. Aucune réforme ne peut être imposée au peuple béninois encore moins au nouveau chef d’Etat qui sera oint de la légitimité populaire et qui ne sera engagé à l’égard des Béninois que par les engagements que lui-même a pris.
On dit que Lionel Zinsou est venu pour sauver Yayi Boni, pour que ce dernier puisse bien terminer son mandat. On dit de Lionel Zinsou qu’il est assez compétent. On suppose alors que les réformes qu’il aura à engager seront de bonnes réformes pour le pays, n’est-ce pas ?
Ah non ! Pas du tout ! On ne peut pas donner un blanc seing à Lionel Zinsou. Ce n’est pas le meilleur d’entre nous. C’est un des meilleures parmi nous. C’est quelqu’un dont on parle de la compétence, de la crédibilité au plan international mais ce qui ne lui donne aucun mandat absolu, aucun blanc seing. Il n’y a pas de présomption que Lionel Zinsou ferait exactement comme Dieu, que tout ce qu’il fera sera économiquement ou politiquement dans l’intérêt de notre pays. Je pense que le prochain chef de l’Etat, le prochain mandat qui va s’ouvrir doit regarder au peigne fin les engagements qui ont été pris, les politiques qui ont été menées y compris par Lionel Zinsou. Et donc, je dis qu’aucune réforme ne sera irréversible. Le premier ministre le sait très bien. Il n’est que premier ministre c’est-à-dire délégataire des pouvoirs que le président Yayi Boni lui accorde et, lui-même, le président de la République qui a été élu par le peuple béninois ne peut imposer à son successeur aucune réforme.
Mais, on dit qu’il est candidat de la France. Est-ce que vous craignez que les réformes qu’il va mettre en œuvre puissent arranger la France et, si ces réformes qui sont irréversibles seront un mal pour le Bénin ?
Je ne veux pas faire de procès d’intention au moment où nous parlons. Je n’ai entendu nulle part le premier ministre dire qu’il est candidat à quoi que ce soit. Je ne veux pas faire de procès d’intention. Je ne veux pas rentrer dans une politique fiction. La seule chose qui m’intéresse dans ce qu’il a dit est le mandat que lui-même se donne et qui me semble être un mandat exagéré et qui n’est pas un mandat compatible avec notre régime politique. Il ne revient pas à un premier ministre qui, au fond, constitutionnellement ne l’ai pas, qui n’a pas d’attribution constitutionnelle propre, quelque soit son génie, d’engager des réformes qui soient irréversibles. Le terme me paraît trop fort, inaccessible et inapproprié. Il ne peut pas rendre des réformes irréversibles, surtout à un chef d’Etat qui est élu. Tout sera regardé au peigne fin et, seules les réformes qui seront compatibles avec les intérêts économiques de notre pays pourraient être continuées, consolidées. Et pour celles qui ne le seront pas, je pense qu’il est du devoir du prochain chef de l’Etat de les démanteler.
Propos recueillis par Réliou Koubakin
Transcription Léonce Adjévi