Dr Ahlonsou à propos du refus du Prd d’entrée au Gouvernement : « Yayi a proposé un poste ministériel, le Prd exige préalablement un dialogue inclusif»
Publié le mercredi 21 aout 2013 | La Presse du Jour
Quelle lecture faites-vous de la dissolution de l’ancien Gouvernement et la formation de la nouvelle équipe gouvernementale du Président Boni Yayi
Je crois que la dissolution du Gouvernement est une reconnaissance tacite que le Bénin est en crise politique. C’est une opportunité que le Chef de l’Etat devrait saisir pour se mettre au dessus de la mêlée et devenir un grand rassembleur de toutes les forces politiques. Mais je crois qu’on a raté cette opportunité, car ce qui est sorti comme Gouvernement est une déception. Ceci parce que ce n’est pas à ce Gouvernement qu’on doit s’attendre après cette dissolution inédite. On ne peut pas faire une dissolution du Gouvernement et après sortir ce que nous avons comme Gouvernement.
Si vous faites une vox populi, vous allez constater qu’il y a une déception et un doute au sein des populations dès que le Gouvernement a pris service ; et au premier conseil des ministres, vous avez constaté comme moi que le Chef de l’Etat a dit à ses ministres que le peuple doute de leurs compétences, donc c’est à eux de relever le défi. Moi je dois vous dire, en tant que citoyen et en tant que membre du PRD, que nous venons de rater une opportunité de rassembler et d’apaiser la tension politique nationale. C’est ça qui est le point de vue du parti après toutes les tractations et discussions que le Président de la République a eues avec le Président Adrien Houngbédji. Nous au PRD, nous avons eu trois grands rendez-vous, à savoir : l’université de vacances de septembre 2011, le congrès de février 2012 et l’université de vacances de 2012, suivis de séminaires sur la révision de la constitution et sur la Lépi qui ont permis au parti d’analyser la situation sociopolitique et économique du pays. Nous nous sommes dit que si nous sommes sollicités par le Chef de l’Etat, c’est une occasion pour lui de rassembler en une journée les FCBE, la RB, l’UN et le PRD au cours d’un forum où il prend la parole pour exposer les difficultés actuelles. Il s’agit d’une table ronde que le congrès du PRD en février 2012 a souhaitée à travers une résolution.
Est- ce à dire que le PRD doute aussi de la compétence des nouveaux ministres ?
Le problème n’est pas à ce niveau. Le PRD n’a pas analysé les compétences des nouveaux ministres. Je vous répète la position du parti à la veille de la formation du nouveau Gouvernement où il y a eu divergence entre le Chef de l’Etat et le Président Adrien Houngbédji lors de leurs échanges.
Pourquoi le PRD n’a pas fait son entrée au Gouver-nement comme annoncé?
Le PRD n’est pas allé au Gouvernement parce qu’il n’a pas voulu se retrouver dans une alliance isolée avec le Chef de l’Etat et les FCBE au sein du Gouvernement. Nous ne voyons pas la sortie de notre pays de ses difficultés dans cette manière de faire. Nous proposons comme préalable un dialogue inclusif où les forces politiques (FCBE, PRD, UN, RB…) voire la société civile et des personnalités béninoises d’institutions internationales qui cherchent d’opportunités pour participer au développement de leur nation, se retrouvent pour réfléchir sur le devenir de notre Nation. Ainsi, au terme de cette journée, il devrait y avoir un programme commun ou consensuel assorti de délai de réalisation sur lequel on peut s’entendre pour mettre en place un Gouvernement d’union nationale. Les FCBE peuvent avoir mille postes ministériels et les autres forces politiques un poste chacune. Ce n’est pas le nombre de postes qui importe, mais le consensus et la confiance retrouvés. On a dit que le PRD a exigé deux postes ; le problème n’est pas de deux postes. Dans les discussions, le problème de poste a été posé par le Chef de l’Etat. Il a au prime abord proposé un poste ministériel et ensuite deux ; et nous lui avons répondu que le problème n’est pas à ce niveau, mais il faut au préalable le dialogue politique inclusif…
Donc le PRD a eu effectivement la proposition de deux postes ?
Le PRD a eu la proposition d’un poste. Puis deux après, comme le PRD a marqué son refus en disant que ce n’est pas un problème de nombre de postes ministériels, mais qu’il y a des préalables à respecter. Il y a eu une autre proposition de deux postes, cependant nous avons tenu à respecter la résolution de notre congrès de février 2012 qui dispose qu’avant toute entrée au Gouvernement, il faut qu’il y ait un dialogue politique national inclusif qui n’exclut aucun parti politique.
Vous voulez que le Chef de l’Etat vienne devant un parterre de composantes de la Nation dire qu’il a échoué ?
Non pas du tout ! Ce n’est pas le problème ça. S’il a fait la dissolution de son Gouvernement, c’est qu’il reconnaît qu’il y a problème, qu’il y a des difficultés. Et cela ne date pas d’un an. Et quand il y a des difficultés, vous appelez même vos adversaires politiques à une discussion. C’est ce que le PRD a formulé dans sa résolution de février 2012. Nous, nous voyions déjà venir, depuis notre université de vacances en 2011, ce qui se passe aujourd’hui. Quand vous avez raison trop tôt, on ne vous croit pas. Nous, on ne veut pas montrer qu’on a raison, mais on veut que le pays sorte des difficultés ; si vous ne voulez pas dénommer cela crise, donnez le nom de baptême que vous voulez. Nous au PRD, nous sommes heureux aujourd’hui de constater que les forces de la société civile (la conférence épiscopale béninoise…) commencent à parler de dialogue.
Pourquoi cette hantise à travailler avec Boni Yayi ?
Non, ne nous traitez pas de parti qui n’est pas prêt à assister le pays. On ne va jamais nous accuser de non assistance à notre pays en difficulté. Nous sommes un parti responsable. Vous savez que le Président Adrien Houngbédji est un homme de droit, un homme responsable, un homme d’envergure que le Président de la République a qualifié d’homme d’Etat. A partir de ce moment, le point de vue d’un homme d’Etat s’étudie sous tous les angles. Nous sommes un parti d’opposition ; une opposition officiellement déclarée. Nous critiquons et nous faisons des propositions qui peuvent être rejetées par la mouvance présidentielle car c’est son droit. Ne nous dites pas que nous n’avions pas fait des propositions. Nous notre proposition est très simple : nous avons proposé que les filles et fils du pays se retrouvent autour d’une table ronde pour échanger sur les grands dossiers. Le début peut être difficile, mais à la longue on finira par s’entendre.
Les Béninois ne comprennent plus le PRD qui s’est dit parti de l’opposition mais qui fricote avec le pouvoir en place ?
Nous avons choisi la détente avec le Président Boni Yayi après notre déclaration officielle d’appartenance à l’opposition. Mais cela ne nous empêche pas de critiquer les actions gouvernementales et de faire des propositions comme par exemple lors de nos séminaires successifs organisés sur différents sujets d’intérêt national.
Pourquoi un tel choix, car beaucoup pensent que vous êtes assis sur deux chaises et dans un jeu flou?
En politique, il faut faire des analyses dynamiques et adopter des stratégies idoines. Si vous avez en face un Président et ses alliés politiques qui cherchent à conserver et à renforcer le pouvoir, vous devez développer des stratégies qui vous permettent de vous affirmer tel que vous êtes, mais aussi pour ne pas subir des hémorragies incontrôlées. La politique, c’est la mobilisation des ressources humaines d’abord, et le plus longtemps que possible. Vous savez très bien les stratégies des forces politiques de la mouvance en place par rapport aux forces de l’opposition. Je rappelle que nous avons été Président de la commission chargée des orientations politiques et stratégiques du PRD au dernier congrès. La première stratégie que nous avons adoptée, c’est de nous déclarer officiellement de l’opposition et de l’assumer.
Le va-et-vient de votre Président fait-il aussi partie de vos stratégies ?
Le Président Adrien Houngbédji est appelé et consulté. Il répond au Chef de l’Etat qui l’invite pour consultation en tant que son challenger de 2006 et de 2011. Le Président Ibrahim Boubakar Kéïta et son challenger Soumaïla Cissé au second tour au Mali nous confirment le bien-fondé de cette option. Malgré qu’IBK ait obtenu des voix qui vont au-delà de 70%, Soumaïla Cissé a trouvé les moyens d’aller le saluer et cela a permis la détente. Mais en même temps, il déclare qu’il est une force de l’opposition. C’est la loi des contraires qui fait l’équilibre de la nature. Même si la minorité est fragilisée, elle est à respecter par la majorité.
Ne pensez-vous pas que la détente est rompue avec la formation du nouveau Gouvernement et la nomination de Moukaram Badarou comme préfet des départements de l’Ouémé et du Plateau?
Vous ne pouvez pas parler de rupture de la détente tout de suite. Cela se décide au sein des instances du PRD. Il s’agit de la direction exécutive nationale et du bureau politique du parti qui seront consultés de même que l’université de vacances du parti de septembre 2013. Nous devons analyser toutes les actions posées par la majorité présidentielle. Vous avez le ministre Abiola François comme ministre d’Etat. Il n’est pas ministre d’Etat par hasard. Il est fils des départements de l’Ouémé/Plateau. Vous avez le ministre de l’intérieur François Houessou qui est de la vallée dans le département de l’Ouémé. Tous ceux que je cite sont originaires des fiefs naturels du PRD. Et Moukaram Badarou, ex Sg du PRD après avoir organisé la première université de vacances du parti à Lokossa, après avoir été responsable de l’image du candidat unique de l’UN, Me Adrien Houngbédji, et après avoir démissionné pour créer son parti, s’est fait nommer préfet des départements de l’Ouémé/Plateau.
Vous croyez que c’est un hasard ? Cela fait partie d’une stratégie bien murie. De même, regardez bien le parti du ministre d’Etat François Abiola installé dans le Plateau comme fief ; regardez bien le parti de l’honorable Agbodjèté de la vallée dont est issu le ministre François Houessou ; regardez bien Moukaram Badarou avec son parti à Porto-Novo et Cotonou. Vous verrez que tout cela n’est pas un fait du hasard. Nous au PRD, nous allons nous asseoir pour analyser la composition du gouvernement et y adapter nos stratégies. C’est cela la politique dans la sérénité et la vigilance.
Autrement, ces actes sont suffisamment provocateurs pour que le PRD révise sa position ?
La politique, c’est un art de provoquer, d’encaisser et de savoir réagir après avoir conçu des stratégies à mettre en œuvre pour l’atteinte de ses objectifs. Et en politique, il n’y a pas de cadeau.
Certains journaux ont mentionné que c’est plutôt parce que le PRD exigeait deux postes ministériels qu’il a rejeté les propositions du chef de l’Etat ?
Je vous fais une hypothèse. Si le PRD avait accepté entrer dans ce Gouvernement et que vous constatez la RB dehors de même que l’UN, vous serez les premiers à dénoncer une connivence entre le PRD et les FCBE. Vous allez dire que le PRD n’est plus un parti de l’opposition. Alors que si c’était un Gouvernement d’union nationale, on voit toutes les forces politiques de l’opposition avec celles de la mouvance dans un mouvement de consensus ; vous apprécierez l’apaisement sociopolitique national ainsi qu’une relance économique.
… le pays n’est pas en crise pour qu’on en arrive là ?
Le pays a besoin de la relance économique et de l’apaisement sociopolitique parce qu’on agite partout la révision de la constitution. Et ça, c’est une hypertension politique nationale.
Quelle est alors la mission du PRD ?
(…). Il faut des antihypertenseurs pour apaiser la Nation. Et notre proposition pour trouver des antihypertenseurs, c’est qu’il faut qu’on aille à un dialogue politique inclusif. Par rapport à la révision de la constitution, je vous renvoie simplement à notre séminaire sur la révision de la constitution. Nous en avons également discuté au cours de notre congrès. D’abord, la constitution a prévu le mode de sa révision. Et le mot clé incontournable, la condition préjudicielle pour cette révision, c’est le consensus. S’il y a consensus, tout est possible. Il exige une confiance en soi ; une confiance à l’autre ; une confiance mutuelle.
Pensez-vous que dans un pays sérieux, tout le monde peut avoir la même vision ?
Consensus ne veut pas dire unanimité. Si le pays est sorti en 1990 de la conférence nationale avec brio, c’est parce que nous avons trouvé dans le génie béninois le consensus. Et on sait trouver le consensus dans n’importe quelle situation. Le béninois n’est pas partisan de la violence.
Que pensez-vous de la révision de la constitution ?
Je ne me prononce pas parce que je vous ai renvoyé à notre résolution du congrès et au séminaire sur le sujet. Mais la direction exécutive nationale et le bureau politique se prononceront en son temps sur le sujet de façon ferme et claire.
Qu’est-ce que vous pensez de l’appel du Front Citoyen à l’endroit de votre leader ?
Le Front Citoyen lutte et se bat pour éviter une révision opportuniste de la constitution. Cela voudra dire qu’il n’est pas contre la révision de la constitution. Moi j’ai mon avis personnel. Où est l’urgence de réviser la constitution ? S’il n’y avait pas méfiance et qu’il y a confiance qui implique consensus et s’il y a consensus, c’est qu’il y a dialogue politique inclusif qui fait appel à tout le monde ; le pays pourrait dire la manière consensuelle de la révision. La nécessité de réviser est là, mais tout le monde dit que nous sommes méfiants parce que si on touche à une virgule de la constitution, on va trouver des constitutionnalistes internationaux pour dire que nous sommes dans une nouvelle République et le débat recommencera autour du premier mandat et non du troisième mandat. Moi je préférerais qu’on attende le deuxième semestre de 2016 après l’élection du nouveau Chef de l’Etat et qu’on s’entende pour dire qu’on révise de façon technique des points qui créent de difficultés dans leur exécution. Le PRD se prononcera en temps opportun.
Le PRD ne veut pas accompagner Boni Yayi dans son projet de révision ; le PRD refuse de travailler aux côtés de Boni Yayi, finalement que fera alors le PRD dans les prochains jours ?
Le PRD n’est pas un parti de guerre et vous connaissez le leader charismatique Adrien Houngbédji. Résultats 2006 et K.O de 2011, si Me Adrien Houngbédji était un partisan de la violence, on ne serait pas là en train de discuter. C’est un homme d’Etat ; c’est un homme à respecter parce qu’il a évité à ce pays un bain de sang inutile. Souvent des hommes de cette trempe-là, on leur reconnaît tout ce que je viens de citer après leur disparition. Nous, on souhaite qu’il reste le plus longtemps possible pour éclairer la Nation afin qu’on reste un pays de paix, un pays d’unité nationale. Nous ne sommes pas en guerre contre quelqu’un. Nous défendons notre vision et notre ligne politique.
Dites-nous la position du PRD par rapport à l’initiative ‘’Mercredi Rouge’’ ?
Ce qui est sûr, le sang est rouge. Que vous portiez du rouge ou pas, tout le monde est rouge à l’intérieur. Ce qui est important dans ces conditions-là, c’est que chacun exprime sa stratégie pour dire Non à une révision opportuniste de notre constitution. C’est leur stratégie et nous devons leur concéder cela. Nous aussi, nous avons notre stratégie que nous développons et que nous mettons en œuvre d’une manière ou d’une autre. Mais comme la plupart des gens aiment beaucoup de tapages, beaucoup de bruits, beaucoup de visibilités, nous, nous avons choisi d’évoluer en exhortant les uns et les autres à l’apaisement. Et je vous dis que la vision du PRD finira par triompher. Quand les Béninois se mangent le nez, ils finissent toujours par s’asseoir autour d’une table pour discuter.
Le PRD invite toutes les forces sociopolitiques à un dialogue, à une discussion, à un forum de concertation nationale afin qu’on puisse retenir l’essentiel pour sortir des difficultés politiques et socio-économiques actuelles.
Vu la situation actuelle, le PRD continuera-t-il de s’acoquiner le Gouvernement ?
Le PRD ne s’acoquinait pas le Gouvernement. C’est vous qui voyez la consultation, la concertation ou l’invite du Chef de l’Etat à notre Président Adrien Houngbédji comme du copinage. Mais un chef de l’opposition responsable est quelqu’un qu’on consulte sur les grands sujets et qui donne son avis consultatif. C’est même une reconnaissance tacite du Président Adrien Houngbédji comme chef de file de l’opposition. C’est aussi clair que de l’eau de roche.
Propos recueillis par Tobi P Ahlonsou