La plainte de Modeste Gbètowènonmon, mineur agissant par sa tutrice à la Cour constitutionnelle pour violation des articles 15 et 18 de la Constitution vient d’être analysée. La Haute juridiction par sa décision Dcc 13-077 du 09 août 2013 a condamné le Commissariat de Police de Bohicon pour interpellation arbitraire. Lire ci-dessous, l’intégralité de la décision.
Décision Dcc 13-077 du 09 août 2013
La Cour Constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 16 septembre 2012 enregistrée à son Secrétariat le 02 octobre 2012 sous le numéro 1738/143/REC, par laquelle Monsieur Modeste Gbètowenonmon, mineur de 10 ans et agissant par sa tutrice, dame Espérance Houangnannon Gbètowenonmon, porte plainte contre le Commissaire Central de Bohicon pour violation des articles 15 et 18 de la Constitution ;
Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ;
Vu la Loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour Constitutionnelle modifiée par la Loi du 31 mai 2001 ;
Vu le Règlement Intérieur de la Cour Constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Madame Lamatou Nassirou en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
Contenu du recours
Considérant que le requérant expose : « Au matin du 5 septembre 2012, une vive altercation a lieu entre frères de la famille Gbètowenonmon. En effet, après un partage successoral, le sieur Eugène Gbètowenonmon, dans un projet de construction, a empiété sur le domaine de ses cohéritiers.
Son frère Jacques s’y oppose et suggère d’informer les autres héritiers avant la poursuite des travaux entrepris par le sieur Eugène Gbètowenonmon.
En se rapprochant des ouvriers qui exécutaient les travaux de fouille pour le compte de son frère Eugène, celui-ci le surprend par derrière et le pousse dans le dos ; il tombe rudement.
Une fois relevé, il riposte et une bagarre s’ensuivit. Aussitôt, Monsieur Eugène fait appel à son fils Michael, un agent de la police nationale en poste dans la Commune de Ouèssè. Monsieur Michael débarque au domicile familial un véhicule du Commissariat Central de Bohicon qui comportait plusieurs de ses collègues policiers. Armes au point, ceux-ci rentrent dans la cour des Gbètowenonmon, brisent environ une dizaine de chaises plastiques ainsi que la lampe de la cour, pénètrent ensuite la chambre du sieur Jacques, renversent sa literie et tout, rentrent également dans la chambre de dame Aïwala, mère de Jacques, et brisent également tout ainsi que sa literie. Ces faits ont été constatés par acte d’Huissier …. » ;
Considérant qu’il poursuit : « Comme si tout cela ne suffisait pas, ils embarquent avec forte violence le fils de Jacques Gbètowenonmon Modeste, un mineur de dix ans.
Ils l’emportent et l’enferment au violon de 10 heures à 20 heures ensemble avec des délinquants majeurs et l’ont privé d’eau et d’aliment.
Relâché après 20 heures, le garçonnet très traumatisé, a perdu toute orientation et n’a été retrouvé que fortuitement par dame Gbètowenonmon Léontine, sa tante, qui le conduit à ma résidence conjugale de Bohicon.
Aussitôt conduit au centre de santé de Bohicon le lendemain, le docteur, très scandalisé sur l’état de santé du garçonnet, par téléphone et devant nous, appelle le commissaire et l’informe de sa désolation. Les examens cliniques ont révélé des douleurs dans l’abdomen, aux membres et ailleurs … Le médecin a conclu en exigeant la présentation du mineur à un psychiatre ou à un psychologue.
Les examens cliniques du psychiatre ont abouti à un état de stress aigu qui pourrait évoluer à un état de stress post traumatique. Il prescrit une ordonnance et renvoie le contrôle dans une semaine …. Toutefois, il refuse de délivrer un certificat médical et prétexte de ce que sa délivrance n’est possible que sur recommandation d’une autorité judiciaire. Il est dès lors évident que les requis ont violé les articles 18 et 19 de la Constitution…. » ;
Considérant qu’il affirme : « Ces faits dénotent des violences, voie de fait, coups et blessures volontaires avec préméditation sur un mineur de dix ans orchestrés par l’Agent de Police Gbètowenonmon Michael qui normalement se trouve en poste à OUESSE à plus de cent kilomètres de Bohicon. Il s’agit manifestement d’un abus d’autorité car ces agents de police, sans motif légitime, ont usé de violences envers un mineur, Modeste Gbètowenonmon. Ce garçonnet qui absolument n’a commis aucune faute pénale n’a subi que les représailles que le sieur Michael Gbètowenonmon aurait fait subir à son père qu’il n’a pu appréhender parce que hospitalisé. En tout état de cause, le mineur Modeste Gbètowenonmon a été violenté au domicile de son père et vous constaterez avec nous qu’il s’agit clairement d’une violation de domicile en violation fragrante de l’article 20 de la Constitution… Tous ces faits constituent des infractions prévues et punies aux articles 184, 186, 198 et 311 al 2 du code pénal en vigueur en République du Bénin.
Par ailleurs, la Constitution béninoise … affirme clairement au préambule ainsi que dans le fond l’attachement à la personne humaine.… » ; qu’il demande à la Cour de déclarer que la garde à vue du mineur Modeste Gbètowenonmon et les traitements inhumains et dégradants dont il a été victime sont contraires à la Constitution ;
Instruction du recours
Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction diligentée par la Cour, Monsieur César AGgbossaga, Commissaire Central de la ville de Bohicon déclare : « Le Mercredi 05 septembre 2012 vers 12 heures, le nommé Gbètowenonmon Dah Wangnannon, ensanglanté, accompagné de son fils Michael Gbètowenonmon, m’a été introduit par mon chef de poste après sa déclaration plainte dans le registre Main courante, qu’il venait d’être victime de coups et blessures volontaires de la part de son frère Jacques Gbètowenonmon à cause d’une affaire de parcelle. Il ajoute que le mis en cause, tout furieux, était encore sur place armé de coupe-coupe
Me trouvant dans un cadre de flagrant délit, j’ai instruit mon chef Police Judiciaire de dépêcher une équipe sur les lieux en vue d’interpeller le mis en cause. C’est ainsi que sous la conduite de Michael Gbètowenonmon, fils de la victime, une équipe de policiers s’est transportée au domicile du mis en cause sis à Bohicon au quartier Hèzonho maison Gbètowenonmon.
Où étant, en 1’absence de Jacques Gbètowenonmon , 1’auteur des faits qui avait déjà pris la fuite, les agents de Police et sur indication de Michael Gbètowenonmon, ont ramené le garçon du mis en cause pour contraindre Jacques Gbètowenonmon à se présenter. Une fois au Commissariat, le garçon a été placé sur le banc. Et lorsque le Chef PJ qui, entre temps, était sorti du Commissariat pour une mission, y est revenu et que l’équipe d’intervention lui a rendu compte de ce que Jacques Gbètowenonmon avait déjà fui et qu’ils ont ramené son enfant, il a aussitôt ordonné la relaxe du garçonnet Modeste Gbètowenonmon.
Je dois signaler que toute personne gardée à vue au Commissariat Central de Bohicon fait 1’objet de mention non seulement dans le registre main courante de l’Unité mais également dans celui d’écrou. Nulle part dans ces deux registres dont je donne photocopie des pages des 05 et 06 septembre 2012, ne figure le nom de Modeste Gbètowenonmon » ; qu’il poursuit : « depuis lors, le mis en cause Jacques Gbètowenonmon de son cachot, organise une distraction pour ne pas répondre des faits à lui reprochés. Après, il a contacté le Procureur de la République près le Tribunal de 1ère Instance d’Abomey qui m’a personnellement appelé au téléphone pour me dire qu’il a envoyé Jacques Gbètowenonmon recherché dans le dossier de Cbv, se présenter à moi pour être entendu. Nonobstant ces instructions du Parquet, jamais ce dernier ne s’est présenté à mon cabinet pour donner sa version des faits laissant ainsi le dossier en l’état.
Pour mieux éclairer la lanterne de la Cour sur les manœuvres dilatoires de ce fugitif, il convient de signaler également que j’ai été convoqué à l’Inspection Générale de la Police Nationale sise à la Dgpn suite à une plainte formulée par le même Jacques Gbètowenonmon où étant, muni de tous les documents y relatifs, il n’a pu se présenter au rendez-vous » ; qu’il conclut : « … la lettre plainte de Modeste Gbètowenonmon n’est qu’une pure allégation mensongère pour ne pas répondre des actes graves, de coups et blessures volontaires dont s’est rendu coupable Jacques Gbètowenonmon devant les juridictions compétentes. Sinon comment comprendre que la Police, garante de l’ordre et de la sécurité publique à l’occasion d’une intervention, se mettra à détruire les biens d’une personne mise en cause ? Pourquoi le sieur Jacques Gbètowenonmon ne s’est-il pas spontanément présenté à nous pour être entendu depuis son forfait malgré le soit transmis du Procureur de la République ?.... » ;
Analyse du recours
Considérant qu’aux termes de l’article 31 alinéa 2 du Règlement Intérieur de la Cour : « Pour être valable, la requête émanant d’une organisation non gouvernementale, d’une association ou d’un citoyen doit comporter ses nom, prénoms adresse précise et signature ou empreinte digitale » ; que par ailleurs, selon l’article 30 alinéa 1er du même Règlement Intérieur : « Les parties peuvent se faire assister de toute personne physique ou morale compétente. Celle-ci peut déposer des mémoires signés par des parties concernées. » ; qu’il résulte de cette dernière disposition qu’il est reconnu aux parties le droit de se faire assister ;
Considérant qu’en l’espèce, Monsieur Modeste Gbètowenonmon est un mineur de dix ans ; qu’il ne jouit pas de la capacité juridique pour signer une requête ; que cependant, la présente requête qui porte le nom de Modeste Gbètowenonmon et qui est revêtue de la signature de dame Espérance Houangnannon Gbètowenonmon, sa tutrice, est valable ; qu’elle doit en conséquence être déclarée recevable ;
Considérant que le requérant fait état d’arrestation, de garde à vue illégale et de traitements cruels, inhumains et dégradants ;
Considérant que selon l’article 6 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi, en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement » ; qu’en outre, la Constitution dispose en ses articles 18 alinéa 1 et 19 alinéa 1er : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants… » ;
« Tout individu, tout agent de l’Etat qui se rendrait coupable d’acte de torture, de sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi. » ;
Considérant qu’il ressort de la réponse du Commissaire principal de Police, César Agbossaga, chargé du Commissariat Central de la ville de Bohicon que, sur instruction du Chef police judiciaire, une équipe de policiers s’est transportée au domicile du mis en cause ; qu’en l’absence de Jacques Gbètowenonmon, l’auteur présumé des faits qui avait pris la fuite, les agents de police ont ramené le fils du mis en cause pour contraindre Jacques Gbètowenonmon à se présenter ; qu’il suit de ces déclarations que le jeune Modeste Gbètowenonmon, âgé de dix (10) ans, qui n’a commis aucune infraction pénale, a été interpellé en lieu et place de Monsieur Jacques Gbètowenonmon en méconnaissance des dispositions de l’article 6 précité de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ; qu’il échet de dire et juger que ladite interpellation de Modeste Gbètowenonmon est arbitraire ;
Considérant qu’en ce qui concerne les traitements inhumains allégués par le requérant, le certificat médical délivré le 11 septembre 2012 à l’intéressé fait état : « d’otalgie, de douleur de l’abdomen et de la jambe gauche.…. » ; qu’il découle de ces énonciations que des violences ont été exercées sur le requérant, lesquelles sont constitutives de sévices, traitements inhumains ou dégradants ; que dès lors, en agissant ainsi, l’équipe de police dont s’agit a violé les articles 18 alinéa 1er et 19 alinéa 1er précités de la Constitution et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens ;
Décide :
Article 1er.- L’interpellation de Monsieur Modeste Gbètowenonmon est arbitraire.
Article 2.- L’équipe de police dont il s’agit a violé la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera notifiée à Madame Espérance Houangnannon Gbètowenonmon, tutrice de Monsieur Modeste Gbètowenonmon, à Monsieur César AGbossaga, Commissaire Principal en charge du Commissariat Central de la ville de Bohicon et publiée au Journal Officiel.
Ont siégé à Cotonou, le neuf août deux mille treize