Un fait majeur n’a pas échappé à la presse locale dans le cadre de la visite officielle du Président de la République française François Hollande : il a décliné l’offre d’assister à la cérémonie officielle de signature du contrat de concession d’exploitation et de construction du chemin de fer Parakou-Niamey entre, d’une part, le Président Boni Yayi du Bénin et le Président Mahamadou Issifou du Niger et, d’autre part, l’homme d’affaires français Vincent Bolloré.
Le Président de la République française François Hollande a, sans doute, jugé imprudent de cautionner par sa présence, la signature d’un tel accord qui en l’état d’un contentieux sérieux opposant l’entreprise de Vincent Bolloré aux groupes Africarail de Michel Bosio du Niger et Pétrolin du béninois Samuel Dossou.
Ce refus est d’autant plus significatif que le financement du projet devrait être assuré partiellement par l’Agence Française de Développement (AFD).
Mais au-delà des problèmes juridiques et financiers que ce dossier cristallise désormais, il est important de rappeler l’historique de ce projet et de relever des préoccupations techniques et stratégiques majeures :
En effet la réalisation de cette infrastructure dont le coût global est estimé à environ 800 milliards de F CFA, sera financée par les ressources nationales.
L’idée de dorsale africaine date des années coloniales. Le projet a subi diverses pérégrinations au gré des changements de régimes dans les états africains concernés et de la promotion des intérêts de la France. Il faut rappeler que dans les années 2000, le Président Mathieu Kérékou avait reçu en audience Monsieur Angel Rodriguez qui proposait d’offrir gracieusement au gouvernement béninois dans l’optique de la poursuite de la ligne ferroviaire, des rails à écartement métrique de 1 mètre qui ne sont plus utilisés dans l’Union européenne. Il avait précisé alors qu’un tel don avait été fait au gouvernement cubain. Le Gouvernement du Benin avait, à l’époque, décliné cette offre parce que l’installation de cette infrastructure ferroviaire ne correspondait plus aux normes internationales en vigueur. L’OCBN a continué de sombrer dans le mépris général.
L’exploitation de l’uranium au Niger et par le groupe AREVA, la mise en place du marché unique de l’UEMOA et la croissance économique au Nigeria ont redonné de l’intérêt à ce projet. Avec Messieurs Iréné KOUKPAKI et Samuel DOSSOU, le projet PIC a été conçu et mis sur orbite. Le renversement de situation est intervenu avec l’entrée en scène du groupe Bolloré qui stratégiquement après s’être assuré le contrôle de plusieurs terminaux portuaires en Afrique entend s’assurer la maitrise de l’exploitation de tout ou partie de la dorsale ferroviaire africaine.
C’est en ce sens qu’il faut également lire la volonté de ce groupe de construire aujourd’hui cette ligne ferroviaire avec le même écartement de rails qui avait déjà été rejeté par un autre Gouvernement de la République du Bénin.
En effet, le matériel qui sera utilisé par le groupe Bolloré pour la construction de cette voie est un matériel à écartement métrique datant de l’époque coloniale, en voie de disparition et non conforme aux normes Iso internationales d’1,435m.
Le Syntra OCBN avait tiré la sonnette d’alarme et appelé l’attention du gouvernement sur la question. De la lettre (N/Réf. :008/14/SYNTRA-OCBN/L du 06/08/14) que le syndicat avait adressée au gouvernement, il ressortait clairement que dans tous les pays africains en quête d’émergence, comme le Gabon ou le Maroc, les nouvelles installations ferroviaires sont conformes aux standards de 1,435 mètre. Ailleurs, la Tanzanie et le Kenya détruisent leurs voies ferrées de 1 mètre pour la construction de voies ferrées de 1,435 mètre.
De plus, plusieurs pays de l’espace CEDEAO comme le Nigeria et le Ghana ont déjà installé des chemins de fer à écartement de 1,435 mètre. Le Nigeria qui avait une voie de 1,07 mètre a modifié l’écartement de ses voies en le portant à 1,435 mètre, conformément à la norme ISO internationale. La question politique qui se pose dès lors est de savoir pourquoi le Benin, pays membre de la CEDEAO, appliquant la règle de la libre circulation des personnes et des biens, ne respecterait-il pas les normes ISO internationales conformément aux recommandations de l’Union Internationale des Chemins de Fer (UIC) pour construire la ligne Parakou-Niamey ?
Au-delà de cette question politique qui est restée sans réponse, se profile des intérêts cachés. L’écartement des voies à 1 mètre posera tout simplement un problème de connexion au niveau du réseau ferré béninois avec celui de la sous-région. Comment des trains en provenance du Nigeria, par exemple, pourraient circuler au Benin ? Cela obligerait à procéder à la manutention des marchandises et à la mise en place de plateformes payantes, ce qui constituerait un coût supplémentaire au niveau du transport, totalement inutile sans oublier un ralentissement considérable dans l’acheminement des marchandises. De telles infrastructures obligeraient également au débarquement des passagers aux frontières béninoises pour les rembarquer dans un autre train ce qui est source de tracasseries et de désintérêt.
Stratégiquement, l’exploitant du tronçon béninois se retrouverait dans une situation de quasi-monopole qui porterait directement atteinte à la libre concurrence dans le secteur. Cette situation de monopole se ressentirait sur les usagers de la ligne qui se trouveraient par ce monopole soumis aux volontés de l’exploitant. Et tout fait du prince en ce sens se ressentirait soit sur la durée de la concession soit sur le trésor public béninois.
Stratégiquement, cette infrastructure est de nature à isoler le Bénin des autres pays dans la mesure où la difficulté créée au plan national serait contournée en empruntant d’autres boucles. Ceci est de nature à faire échapper partie du transit au Bénin avec les gains qui pourraient en découler économiquement.
Stratégiquement cette difficulté volontairement mise en place aura un coût d’entretien anormal dans la mesure où le matériel neuf pour l’entretien de la voie ferroviaire n’existe plus en stock produits d’où les futures difficultés inévitables d’approvisionnement des pièces de rechange et la charge d’entretien très élevée. L’infrastructure aura également un coût de remplacement que le Bénin devra assumer dans les décennies à venir. Ce projet, tel qu’il est conçu, risque d’être un gouffre financier pour le Bénin car il faudra remplacer le système d’exploitation mis en place par le Groupe Bolloré par un système d’exploitation conforme aux normes internationales. Autrement dit, le contribuable béninois devra financer deux fois cette ligne de chemin de fer.
Stratégiquement, le désintérêt éventuel pour le tronçon béninois pourrait profiter à d’autres moyens de transport comme le transport aérien ou le quasi-monopole d’une certaine compagnie est déjà assuré.
Autrement dit, le Bénin se retrouve l’otage de cette infrastructure et par le lien juridique de la concession ou des mécanismes contractuels mis en place, de son exploitant le Groupe Bolloré. C’est un mariage léonin à vie qui est scellé. Il est sûr que ce qu’on nous vante comme du développement soit beaucoup plus économiquement une source de gabegie et de corruption.
On le voit ce choix est un non-sens économique qui freinerait le développement du Benin.
Il est encore temps pour les autorités béninoises de surseoir à la mise en œuvre d’un tel projet dans l’intérêt supérieur de la Nation. S’il est vrai que la construction d’une voie ferrée favorise le développement, il serait judicieux dans l’intérêt même de notre économie de construire une voie à écartement de 1,435 mètre conforme aux normes internationales en vigueur.
Ce projet ne doit pas être pensé et conçu à l’échelle du Benin mais bien à l’échelle de la sous -région.
Maître Jacques A. MIGAN
Ancien Bâtonnier