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Lionel Zinsou, à nous deux Cotonou !
Publié le dimanche 5 juillet 2015  |  LeMonde.fr
Le
© AFP par Charles Placide Tossou
Le Premier ministre Lionel Zinsou du Bénin
Lundi 22 juin 2015.




C’est un guide idéal, qui donne à voir et à comprendre. « Regardez cet aéroport, dit Lionel Zinsou en traversant Cotonou. Il est en plein centre-ville ! » Sa longue silhouette se déploie sur le siège passager du 4 x 4, légèrement secouée par les nids-de-poule des rues de la capitale économique du Bénin.
« Cent cinquante mille habitants à l’indépendance [en 1960], 3 millions aujourd’hui. Quelle ville en Europe a multiplié sa population par vingt en cinquante ans ? » Nous sommes le 7 juin. Lionel Zinsou, 60 ans, est alors homme d’affaires, pas encore homme d’Etat. Il est franco-béninois, pas encore bénino-français.
Le président du plus gros fonds d’investissement français, PAI Partners, sait-il qu’il sera, onze jours plus tard, nommé premier ministre de son pays d’origine ? Il n’en laisse rien paraître. Et pourtant chaque carrefour, chaque bâtiment lui inspire des commentaires qui ressemblent à un plan d’action.
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Il faut déplacer l’aéroport et récupérer ses 300 hectares pour du développement urbain. « C’est comme si les avions se posaient sur les Champs-Elysées. » Récupérer aussi les 100 hectares d’une centrale électrique qui stocke des produits dangereux. « Vous imaginez une centrale place de l’Opéra ? »
Le ciel est lourd. Les pluies de la veille ont trempé les avenues. Le 4 x 4 fait jaillir des gerbes d’eau. Lionel Zinsou parle de cette ville constamment victime d’inondations parce qu’elle est au-dessous du niveau de la mer et posée sur une mince couche de sable.
Il fulmine contre des ministres béninois indélicats qui ont volé 4 millions d’euros à la coopération néerlandaise. En mai, les Pays-Bas, écœurés, ont mis fin à leurs programmes. « C’est criminel d’avoir ponctionné l’aide d’un pays qui maîtrise la technique des digues et des polders et qui pouvait éviter à notre ville d’être envahie par les eaux. »
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Il parle aussi des routes, dont le bitume a été avalé par les camions trop chargés et que les entreprises chinoises tardent à réparer, provoquant la colère des Béninois. Il montre les dizaines de réverbères solaires offerts par le rappeur Akon et désigne les essaims de taxis-motos sur la voie d’en face. « Cotonou doit être une des seules villes au monde sans transports publics. »
Il y a une nonchalance Zinsou. Ou plutôt une aisance à parler de tout et à convoquer sans difficulté les chiffres et les solutions. C’est le professeur d’économie qui s’exprime, formé à l’Ecole normale supérieure, à Sciences Po et à la London School of Economics. Mais c’est aussi l’investisseur, le banquier d’affaires et le conseiller politique, très écouté à gauche tout en étant proche d’Alain Juppé et se félicitant de l’évolution du discours sur l’Afrique de Nicolas Sarkozy, avec qui il a déjeuné récemment.
La veille, Lionel Zinsou est venu à Cotonou célébrer le dixième anniversaire de la fondation qui porte son nom et que préside sa fille, Marie-Cécile Zinsou. Une fondation qui a organisé vingt-deux expositions en dix ans et permis à des centaines de milliers d’écoliers de découvrir l’art contemporain africain. Devant un parterre d’artistes, de mécènes, de politiques et de diplomates, ce « seigneur du capitalisme français », comme le qualifient ses amis, a cité Malraux et Senghor, mêlant anecdotes personnelles et grands défis du continent.
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Et, ce dimanche matin, il roule vers Ouidah, 42 km à l’ouest, la ville d’où est originaire sa famille, ancien centre de la traite négrière en passe d’être classé par l’Unesco et où sommeillent quelques merveilles en ruine de l’architecture afro-brésilienne. Sa fondation y a ouvert un musée. Cotonou défile, puis s’éloigne. Un étrange panneau officiel annonce : « Attention, travaux sur 1 875 km ».
Tout, dans les propos de Lionel Zinsou, le long de la route transformée en piste, indique qu’il a envie de mettre la main à la pâte. Main française ou béninoise ? Il se dit pleinement l’un et l’autre, mais son destin est sur le point de basculer en direction du Bénin. Deux jours plus tard, le 9 juin, le président du pays, Thomas Boni Yayi, en visite à Paris, aurait évoqué devant François Hollande, qui lui rendra la pareille le 2 juillet, son intention de faire de Lionel Zinsou son dauphin. Le lendemain, le 10 juin, sur RFI, Boni Yayi confirme qu’il ne se représentera pas pour un troisième mandat – du reste la Constitution le lui interdit.
Elu en 2006 sur une « présomption de compétence » (la formule est de Zinsou, qui a été son conseiller) pour transformer son pays, réélu en 2011, le président connaît une fin de règne difficile. Lâché par une partie de ses alliés, abandonné par nombre de ses conseillers, le président a vu son parti perdre, en mai, à une voix près, la majorité à l’assemblée. La transformation tant espérée du pays n’a pas eu lieu et il ne reste que neuf mois avant la présidentielle de février 2016.
« J’habite déjà ici ! »

Le président doit néanmoins former un nouveau gouvernement, car plusieurs de ses ministres ont été élus à l’Assemblée, y compris ceux qui sont soupçonnés d’avoir détourné l’aide néerlandaise. L’annonce est faite jeudi 18 juin au soir et surprend tout le monde : le nouveau gouvernement sera dirigé par Lionel Zinsou. Lequel est entre-temps rentré à Paris. Il prend le lendemain le premier vol pour Cotonou. Les douaniers le reconnaissent et s’étonnent qu’il n’ait pas de bagages. « Je n’en ai pas besoin, j’habite déjà ici », répond-il en souriant. Le samedi 20 juin, il tient son premier conseil des ministres.
La surprise est aussi parisienne. « C’est un citoyen engagé, mais je ne l’imaginais pas dans le monde politique », lâche Jean-Michel Severino, ex-directeur de l’Agence française de développement, aujourd’hui à la tête d’un fonds d’investissement pour les PME africaines. Franck Riboud, président de Danone, entreprise où Lionel Zinsou, de 1986 à 1997, a dirigé des filiales ou le département des fusions acquisitions, avait senti chez son ami une envie de retour au Bénin. « Mais premier ministre, ça, non, je ne l’avais pas imaginé ! », dit-il avant d’ajouter : « C’est quelqu’un d’extrêmement apprécié chez Danone. »
Même Laurent Fabius, dont Lionel Zinsou a été la plume à Matignon de 1984 à 1986, s’avoue surpris. « Il a toujours eu le sens de l’intérêt général, mais je le voyais rester dans les affaires. » À Cotonou, la rumeur veut que le ministre français des affaires étrangères ait participé à convaincre Lionel Zinsou d’accepter son nouveau poste, ce qu’il dément : « Si je m’en suis entretenu avec Lionel Zinsou ? Ça, c’est une affaire privée. Cette nomination est une décision du président Boni Yayi, une bonne décision dont nous l’avons félicité. »
Un groupe de mercenaires

Hakim El Karoui, associé chez Roland Berger, que Lionel Zinsou a appelé en 2005 à ses côtés à la banque Rothschild, pense que « c’était écrit ». « PAI Partners a peu d’activités africaines, alors que Lionel parlait de plus en plus d’Afrique. Ces vies parallèles, ce n’était plus possible », dit-il avant d’admettre qu’il y a chez les Zinsou un traumatisme politique. « Pour Lionel, la politique, c’est la violence. »
Allusion au destin de l’oncle paternel, Emile Derlin Zinsou, qui fut président de la République du Dahomey pendant dix-sept mois avant d’être renversé par un putsch en décembre 1969. Trois ans plus tard, le major Mathieu Kérékou prend le pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat. Il change le nom du Dahomey en Bénin, impose un régime répressif d’obédience marxiste-léniniste et persécute l’oncle Zinsou, devenu son principal opposant.
En janvier 1977, un groupe de mercenaires emmenés par Bob Denard tente de renverser le régime Kérékou. L’opération Crevette va échouer. Dans ses mémoires, le mercenaire français affirmera qu’il avait pour mission de réinstaller Zinsou à la tête du pays, et que ce dernier était avec lui dans l’avion. Ce que l’intéressé a toujours nié.
Emile Derlin Zinsou, 97 ans et toute sa tête

Durant ces années difficiles, Lionel, né à Paris, fréquente les lycées Buffon puis Louis-le-Grand. Son père est à Dakar, médecin attitré du président poète sénégalais Léopold Sédar Senghor. Sa mère, française et suisse, est infirmière des Hôpitaux de Paris. Et, quand il va au Bénin, il voit son oncle, dont il dit qu’il l’a en partie élevé. Il le voit toujours, car Emile Derlin Zinsou, 97 ans, a toute sa tête.
Empêché jusqu’en 1990 de retourner au pays pour ces raisons politiques, Lionel Zinsou se décrit à l’époque comme un « Béninois virtuel ». Ce qui ne l’empêche pas d’être un Français couvert d’éloges. Laurent Fabius : « D’une grande rectitude, pense juste et écrit très bien. » Franck Riboud : « Chaque fois que je partais en voyage avec lui, je revenais plus intelligent. » Hakim El Karoui : « Un seigneur. » Jean-Michel Severino : « Un très grand du monde français des affaires. » Tous soulignent à quel point Lionel Zinsou a réussi à être à la fois un intellectuel qui a façonné le regard français sur l’Afrique par d’innombrables conférences, publications, think tanks, et un acteur économique très opérationel, connaissant les deals dans le détail, les faisant aboutir.
Dans les archives du Monde, deux occurrences font sourire. En octobre 1996, un chroniqueur gastronomique critique le cassoulet en boîte William Saurin. Lionel Zinsou, alors président de Panzani-William Saurin, filiale de Danone, se fend d’un droit de réponse dans lequel il annonce que la nouvelle recette de ce cassoulet, dont il produit 25 millions de kilos par an, surpasse, en test aveugle, tous les concurrents, et en propose une boîte au journaliste.
Son « afro-optimisme »

Quatre ans plus tôt, en février 1992, un chroniqueur économique évoque Fer de lance, un livre du « regretté » Lionel Zinsou qui défend les nationalisations socialistes des années 1980. « Ma première réaction de lecteur respectueux a été de penser que vous aviez sûrement raison [d’écrire que j’étais décédé] mais que je l’ignorais encore, parce que Le Monde est daté du lendemain… », répond l’intéressé.
Difficile de lui trouver des ennemis. Même les syndicalistes de Libération, dont Lionel Zinsou a été administrateur, ont salué son sens du dialogue. Il y a bien des collègues chez Rothschild qui l’ont traité de dilettante. « Il a toujours fait très bien plusieurs choses à la fois, suscitant la jalousie de banquiers qui avaient de la peine à en faire une seule », balaie Hakim El Karoui. Les anciens dirigeants de PAI Partners, écartés par Lionel Zinsou à son arrivée en 2009, lui en veulent encore.
Il y a enfin quelques députés français, emmenés par le Républicain Pierre Lellouche, qui fustigent son « afro-optimisme », convaincus que l’Afrique, surtout francophone, s’enfonce dans la pauvreté et l’instabilité. Leur rapport, présenté le 15 avril 2015 à la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée par Philippe Baumel (PS) et Jean-Claude Guibal (Républicains) a cependant été rétoqué par la présidente Elisabeth Guigou qui a demandé qu’il soit « enrichi et précisé » avant publication par l’Assemblée nationale.
Surnommé « le proconsul »

Au Bénin, les éloges et les critiques sont plus vifs. Le Parti communiste et ses alliés ont estimé que Lionel Zinsou « ne connaît pas le Bénin » et qu’il a été nommé « pour parachever la vente du pays à l’impérialisme français ». L’ancien garde des sceaux Victor Prudent Topanou prédit son échec. Un chroniqueur l’a surnommé « le proconsul », façon de dire qu’il n’est pas béninois.
Lui vit bien sa double identité, y ajoutant même une dimension anglo-saxonne : « Hier soir, je me baladais [dans Cotonou] avec mon chapeau yoruba [ethnie d’Afrique de l’Ouest]. Rien ne me sépare d’un Yoruba de Lagos. J’ai étudié en France mais aussi en Grande-Bretagne, dirigé des entreprises françaises mais aussi britanniques, mon gendre est anglais, mes petits-enfants sont franco-anglais et nigériano-béninois. Il faut oublier ces fausses divisions. »
À Cotonou, on est convaincu qu’il a accepté le poste de premier ministre pour se présenter en 2016 à la présidentielle. Réponse habile de l’intéressé dans un entretien au Monde Afrique : « Si l’on montre en dix mois que l’on peut faire progresser l’accès à l’électricité, à l’eau, aux soins, à l’éducation (…), alors les gens demanderont que l’expérience continue et s’amplifie. Avec moi ou avec d’autres. Je vois nombre de bons présidentiables qui pourront poursuivre. Je n’ai pas d’amour-propre de candidat, je n’ai pas d’ego de président. »
Le pouvoir ? Zinsou a laissé entendre qu’un patron d’une multinationale en a bien davantage qu’un chef d’Etat africain. Mais le défi le fascine. « Aucun continent, aucun pays, même la Chine, n’a installé un milliard d’urbains en une génération comme l’Afrique va devoir le faire. Et, dans le reste du monde, quand on s’urbanise, on vide l’espace rural. Alors qu’en Afrique, la démographie est tellement forte que les campagnes progressent aussi en population. »
Les interlocuteurs parisiens, avant de raccrocher, ont presque tous eu cette phrase : « On lui souhaite bonne chance. »

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