Alain Hounyo, chef service de l’information et de la communication de l’INFRE au sujet du chômage au Bénin : « Notre école est une école qui ne forme pas à l’emploi directement »
Publié le vendredi 30 aout 2013 | L`événement Précis
Alain Hounyo : C’est une situation déplorable. Je dis déplorable parce que les jeunes ont mis des années pour être formés avec tout ce que cela comporte comme difficultés et ils arrivent à obtenir les diplômes et qu’ils ne puissent pas exercer la formation pour laquelle ils se sont donné corps et âme. C’est vraiment déplorable ! Et c’est encore plus déplorable pour nous, les parents, qui avons soutenu les études de nos enfants depuis la base jusqu’au sommet. C’est une situation calamiteuse parce que cela fait que ces enfants nous reviennent à la maison après les études et nous continuons de soutenir leur vivre social sinon d’accompagner leurs besoins. (…) Nous sommes dérangés ; nous sommes embêtés. Ceci parce que les enfants ont l’âge de prendre une femme, l’âge de s’engager dans le développement de la nation. Mais, ils n’ont pas les moyens. Cela nous interpelle tous.
Qu’est-ce qui pourrait être, selon vous, à la base de ce fort taux de chômage dans le pays ?
Je crois que pour aborder cette question, il faut considérer un certain nombre de paramètres, notamment, les paramètres politiques et économiques. Dans la gestion de la cité, nous n’arrivons pas à avoir une vision claire de la société que nous gérons. Cette vision devait nous amener à comprendre que le fer de lance du développement d’une société est la jeunesse. Nous devons toujours leur préparer la place ; parce que nous, nous passons. C’est encore bien de comprendre que nous, nous devons partir. Mais tel que les choses se cuisinent, aujourd’hui, on veut nous accorder une prolongation de vie professionnelle. L’argument est trouvé car les gens estiment que nous n’avons pas suffisamment cotisé pour aller à la retraite, c’est-à-dire que la caisse du fonds des retraités est vide.
Ceci, pour la simple raison que pendant longtemps, on n’a plus recruté. Donc, on est resté à un nombre et c’est ce nombre qui cotise alors que les besoins s’accroissent de jour en jour. Normalement, c’est ceux qui sont en exercice qui cotisent pour ceux qui sont allées à la retraite. Comme pendant des années, l’Etat n’a plus recruté, cela a créé le vide que nous vivons actuellement.(…) On a ramené l’accès à la retraite jusqu’à 62 ans. C’est une situation qui fait qu’on ne libère plus les emplois pour les jeunes. Ils ont fini, et en principe, on devait leur passer le témoin.
Est-ce, la seule raison ?
L’autre chose qu’il faut comprendre, quand on vit dans l’approche de la France, par exemple, c’est qu’il n’y a pas cette culture de développement par soi-même. C’est-à-dire que tout ce qui est fait, tout ce qui est monté pour former le citoyen ne perçoit pas la nécessité de former à l’auto-emploi. Là, cela crée un gros handicap pour la génération montante. Notre école n’est pas une école qui forme à l’emploi directement.
On est beaucoup plus dans la théorie alors que c’est l’école qui devait former à l’emploi. Donc, il y a également la stratégie éducationnelle qui est à revoir. C’est vrai que depuis 2004, nous avons opté pour une nouvelle approche éducationnelle qui est l’approche par les compétences où en principe si on travaillait bien, même sorti après le CM2, le jeune citoyen devrait s’auto-employer. Je crois qu’on n’a pas pris conscience de la pertinence de la nouvelle approche par les compétences. Si on avait une conscience aigüe de cette nouvelle approche qui est une approche de développement, le problème ne devrait plus se poser. C’est-à-dire qu’avec cette approche, ce n’est plus seulement la théorie qu’on enseigne, mais il y a également la pratique.
Voudriez-vous dire que la mise en œuvre correcte de cette approche est une solution pour réduire le taux de chômage dans le pays ?
Tout à fait.
Qu’est-ce que vous proposez alors à l’Etat pour qu’elle soit sérieusement mise en pratique ?
Vous avez bien fait, M. le journaliste, d’ajouter le mot sérieusement. L’approche est pertinente. Je dirai même que l’approche est percutante. Mais malheureusement, jusqu’à l’heure où je vous parle, nous nous amusons. C’est à croire que nous n’avons pas compris que c’est une approche qui aide au développement de la nation au point où on est encore dans la politisation à outrance du placement des acteurs à divers niveaux.
Donc, le Bénin est en train de laisser une arme pour lutter efficacement contre le chômage ?
Je dis oui, car c’est une approche qui moule l’enfant dans la philosophie de l’acquisition de la pratique.
Si on vous nomme, aujourd’hui, à un poste où devez mener la lutte contre le chômage, quel serait votre première action ?
C’est d’abord une éducation à la conscience. Je dois amener les jeunes à comprendre que ce n’est pas que l’Etat qui donne l’emploi. On peut s’auto-employer à partir de la formation reçue. On a toujours rêvé d’obtenir un emploi dans une structure étatique. Mais, aujourd’hui, c’est dépassé. La nouvelle situation nous impose de nous prendre en charge. Je dois faire savoir aux jeunes que ce n’est pas forcément le métier pour lequel on a été formé qu’on doit tout de suite exercer. Quant aux autorités, elles doivent cesser de voler l’Etat. Nous devons nous battre pour qu’on passe de la théorie à la pratique. Les jeunes ont besoin d’emploi.
Vous avez certainement un appel à lancer.
J’exhorte les uns et les autres à prendre conscience de ce phénomène (le chômage) qui prend de l’ampleur chaque jour. Que les jeunes n’attendent pas tout de l’Etat et que les autorités laissent la politique de côté pour créer des emplois aux jeunes. C’est quand même mille milliards de francs Cfa qu’on vote chaque année !