Les différentes crises qui secouent les peuples tant au niveau du continent africain, que partout ailleurs sont objets de nombreuses réflexions. Le père Israël Mensah qui a pris part au symposium international, tenu à Cotonou sur le dialogue interreligieux livre ici ses appréhensions sur le mal et montre la voie à suivre pour son éradication. Pour le prédicateur catholique seuls la tolérance et le dialogue peuvent conduire aujourd’hui à un meilleur vivre ensemble. Et, ‘’pour que l’Afrique puisse entrer en dialogue avec les autres continents, les nations entre elles, elle doit revisiter son histoire’’. Telle est la conviction du Père Israël Mensah.
Vous étiez à Cotonou dans le cadre du symposium organisé par le centre panafricain de prospectives sociales appuyé par le gouvernement pour la promotion de la paix et le dialogue interreligieux et interculturel. Expliquez-nous ce qui justifie votre présence à ce symposium ?
J’ai été sollicité par le Professeur Albert Tévoédjrè et invité par le Gouvernement pour participer à ce symposium parce que j’ai toujours été intéressé par la réflexion sur le dialogue interculturel qui est le point final du projet de l’association Mémoire d’Afrique que j’ai créée avec Monseigneur Isidore de Souza depuis 1998. J’ai été choisi d’autre part parce que ce travail de Mémoire d’Afrique a été perçu positivement en Europe. Ce qui vaut ma présence dans le Conseil exécutif du centre Nord-sud du conseil de l’Europe qui se trouve à Lisbonne. Et j’ai été sollicité par la conférence des Ong du conseil de l’Europe à prendre la vice-présidence de cette conférence pour pouvoir réfléchir sur la question épineuse du dialogue interculturel qui agite aussi l’Europe. Donc, la question de la compréhension mutuelle, c’est-à-dire le dialogue entre les peuples, est essentielle pour notre monde de demain, pour le village planétaire qui est en construction. Vous savez qu’en Europe, il y a ce problème de racisme et d’étrangers. On a beau parler de ceux qui meurent dans la méditerranée, d’autres ont envie de venir là-bas. Mais la peur de ceux qui sont là-bas, c’est que les étrangers s’intègrent dans leur système social. Et le regard que je porte sur cette question est de savoir comment nous pouvons intégrer au mieux tous les étrangers. Parce que quand on prend la France seule, on sait que c’est un peuple mélangé. Donc, leur préoccupation de résoudre au mieux la rencontre des peuples. Et le concept d’inter culturalité est un concept utilisé aujourd’hui par le Conseil de l’Europe comme la troisième voie pouvant permettre le vivre ensemble. Cette voie a été développée dans le livre blanc qui a été demandé par les ministres des affaires étrangères. Au conseil de l’Europe, aux fonctionnaires du Conseil de l’Europe de demander : Où en sommes-nous ? Quel est l’état des lieux au niveau de tous les pays européens sur la question du vivre ensemble ? Ceci par opposition à quoi ?
Premièrement par opposition à la notion d’assimilation. Aujourd’hui, il y en a beaucoup qui disent : Nous ne voulons pas nous assimiler, nous sommes nous-mêmes. On peut vivre ensemble sans que je ne devienne l’autre. Ce que Mémoire d’Afrique a toujours défendu. Je dis, mieux on se connaît, mieux on peut s’ouvrir à l’autre. Et quand nous avons lancé avec Monseigneur Isidore de Souza Mémoire d’Afrique pour permettre la sauvegarde de notre patrimoine matériel, ce n’est pas seulement pour constituer un musée, c’est pour que nous nous approprions notre patrimoine, non pas par opposition, par vindicte, par vengeance ou par affirmation identitaire, mais simplement parce que c’est un acte de fait. Donc, les européens, ayant voulu appliquer le système d’assimilation, se sont heurtés à certains peuples qui l’ont rejeté. Au lieu que ce soit un facteur de paix, c’est devenu facteur de déstabilisation de la cohésion sociale.
Deuxième voie qui a été la voie d’échec, c’est ce qu’on va appeler le multiculturalisme. Cela a été décrété par l’ancien ministre anglais Tony Blair et ensuite par Golden Brown, l’actuel, qui ont déclaré la mort du multiculturalisme. Autrement dit, l’Angleterre qui a utilisé pendant longtemps cette méthode pour faciliter le vivre-ensemble, s’est rendu compte que c’est un échec. Parce que, au lieu que le multiculturalisme soit source de paix, c’est devenu source de communautarisme. Donc, c’est face à deux formes de vivre ensemble que l’Europe a inventé le concept d’inter-culturalité. Mais bien avant cela, nous avons procédé à la collecte des fonds, parce que c’est la jeunesse qui nous intéresse. Quand on se réapproprie ces valeurs, et qu’on découvre l’autre, on peut dialoguer avec lui. Pour répondre à votre question, c’est que si j’ai été contacté par le Prof Albert Tévoédjrè pour participer à ce symposium, c’est à triple titre. D’abord, je suis prêtre et donc je suis dans le dialogue interreligieux, je suis aussi Président de Mémoire d’Afrique, et puis je suis présent au conseil de l’Europe en tant que représentant permanent adjoint de l’Office mondial de l’enseignement catholique. A ces trois niveaux, je suis celui qui a poussé le Prof Albert Tévoédjrè à me faire appel sachant que je me bats en France pour cette inter-culturalité en Afrique, précisément au Bénin.
Au cours des assises de ce symposium, vous avez donné une communication qui a été très appréciée. Quelle est la quintessence de cette communication ?
Ma communication a essentiellement porté sur le dialogue interreligieux et ensuite sur le dialogue interculturel. Avec l’observation des crises, des différentes formes d’intégrisme dans le monde aujourd’hui, qui font que nous pouvons avoir peur de l’avenir pour nos peuples, nous nous sommes demandé : D’où proviennent ces égarements ? D’où proviennent ces attitudes qui peuvent aller jusqu’à tuer l’autre au nom de la foi. Ici, l’église catholique avait fait cette expérience par le passé, puisque les gens lui rappellent cela de temps en temps, les croisades, les guerres de religion. Mais aujourd’hui, nous avançons. Nous n’allons pas recommencer les erreurs du passé. Au nom de cela, je pense que l’église catholique est très favorable à éviter des guerres de religion pour avoir fait l’expérience. Et d’autre part, si l’église peut le faire aujourd’hui, c’est parce que le Pape Jean-Paul II a fait toute une série de déclarations de repentance pour montrer que l’église, étant une structure humaine, peut avoir des limites , et ces limites peuvent être observées par le passé. D’où la repentance par rapport au procès Galilée, par rapport à sa visite à l’Ile de Gorée, à l’esclavage. Puisque les églises, les religieux ou les chrétiens de la monarchie européenne qui ont mis en place cette machine de vente d’êtres humains en cette période étaient pour la plupart des catholiques. On trouve des intellectuels africains aujourd’hui qui leur reprochent cela. Et l’église l’a intégré. Ce qui a fait qu’aujourd’hui, grâce aux séries de repentance du Pape Jean-Paul II, elle peut se positionner pour dire à l’autre frère religieux de ne plus prendre cette voie, car elle n’est pas une voie de paix.
C’est au nom de l’acceptation des faits du passé, et de notre conviction d’espérance humaine que l’église enseigne qu’on se dit qu’il y a un hiatus entre ce qui a été fait en cette période-là et ce qui doit être fait pour vivre véritablement l’enseignement du Christ. Donc, nous allons développer la notion de tolérance. C’est d’accepter que l’autre puisse aller dans une synagogue, dans une église, un temple vodou ou autre, de les accepter allant vers ces structures, tant que ces éléments sont facteurs de paix. J’ai alors fait l’expérience de ce que l’absence de tolérance peut provoquer. Le Prof. Albert Tévoédjrè, en observant ce qui se passe au Nigeria ou en Palestine, parce que tout ce qui se passe en Afrique aujourd’hui vient de la crise palestinienne et israélienne. Jérusalem est le lieu des grandes religions monothéistes, mais une ville complexe, avec des situations politico-religieuses tellement entremêlées. Ce qui fait qu’on se demande à quand la paix. Mais doit-on exporter les réalités de là-bas sur le sol africain ? A ce sujet, je disais à mes confrères que cette invitation faite par le Professeur nous pousse à devenir des acteurs de destruction des clichés qu’on peut avoir sur telle ou telle religion. Et le Bénin réserve une place très importante aux têtes couronnées. Ce sont des valeurs qui permettaient à nos parents de pouvoir vivre ensemble. Donc, la notion de tolérance est importante. Ensuite, la notion de dialogue. Ce qui veut dire échanger, se connaitre davantage, essayer de connaître la religion de l’autre. Sur ce plan, je pense qu’il est important qu’on donne des instructions sur les différentes religions dans nos écoles. Et cela se fait déjà en Europe. Et là-bas, ils sont déjà en avance. Mais ici, nous sommes à nos débuts. Les écoles chrétiennes invitent les Musulmans pour dire comment ils vivent leur foi, et vice-versa.
Il faut alors l’universalité des valeurs. Les valeurs de paix, d’amour, de construction de la société sont universelles. Et nous devons nous appuyer sur ces valeurs. Cela rejoint l’adage qui dit : renforçons tout ce qui nous unit que ce qui nous divise. Ensuite, vous avez aussi la notion du pardon. Cette demande de pardon officielle ouvre la porte au dialogue. Une fois que l’église a été sur l’île de Gorée et que les Africains ont vu le premier de tous les chrétiens du monde venir demander pardon. Ce n’est que des mots. C’est des signes très forts…cette notion de pardon est essentielle pour pouvoir cheminer vers la fin.
Le Bénin doit pouvoir offrir à l’Afrique un vivre ensemble entre toutes les religions. Et c’est en cela que je salue la tenue de ce symposium. En quoi le ‘’je suis Charlie’’ intéressait l’Africain ici pour qu’on tue et qu’on brûle les églises. Il ne s’agit pas d’identifier ou de condamner qui que ce soit. En observant simplement les faits, on peut dire d’arrêter, car ce n’est pas notre patrimoine. Pourquoi les religions dites importées viendront nous diviser davantage, alors qu’elles ont permis en Afrique d’arracher des forces vives pendant des siècles ? Et aujourd’hui, nous sommes dans un marasme économique dont on ne trouve pas encore l’issue, parce que nous avons perdu beaucoup de nos parents qui sont partis vendre leurs forces à d’autres nations.
Concernant la partie interculturelle, c’est toute la pensée de Mémoire d’Afrique qui est utilisée. Ceci se résume à : Mieux, on se connaît, mieux, on peut s’ouvrir à l’autre. Donc, pour que l’Afrique puisse entrer en dialogue avec les autres continents, les nations entre elles, elle doit revisiter son histoire. Donc, on aura besoin d’historiens pour que la jeunesse puisse savoir d’où elle vient.
Lorsque Sarkozy dit que l’Afrique n’a pas d’histoire, il nous stigmatise. Il met le doigt sur quelque chose qui est maladroit. Mais quelque part, il y a une réalité. Tout en lui faisant comprendre que l’Afrique est déjà dans l’histoire, nous pouvons nous poser la question de savoir ce qu’on peut faire davantage pour faire entrer l’Afrique dans l’histoire. Au lieu de se tourner vers les européens, les jeunes doivent s’intéresser à l’histoire de leur continent. Et puis, avec la présence des hommes politiques, ils mettent en valeur les richesses endogènes. Mais, il y a plus que l’apparence. C’est plutôt ce que nous pensons. C’est en cela qu’il faille reculer les stéréotypes qui font croire que ce sont les gens du nord qui sont dans l’armée et que les intellectuels sont du Sud. Ce sont des clichés qui peuvent être source de guerre. A titre d’exemple, l’histoire des Tutsi et des Wutu. Il s’agit donc de revisiter une histoire vraie qui ne nous plonge pas forcément dans la stratégie coloniale afin de tirer des leçons pour corriger les problèmes actuels.
L’inter culturalité est à deux niveaux. l’inter-culturalité ad intra et ad extra. Au premier volet, c’est que les Béninois aujourd’hui sont pluriels. Et l’effort fourni par Mémoire d’Afrique, c’est de nous unir. C’est de renforcer ou de participer à ce projet d’unité dont les autorités ont la première responsabilité. Mais tout citoyen a le devoir de contribuer à cette unité pour que ce que nous avons gagné à la suite de la conférence nationale puisse perdurer. Et Mémoire d’Afrique se rend compte qu’elle va permettre aux Béninois du Sud de découvrir ceux du Nord, et vice-versa.
Pour l’inter-culturalité ad extra, c’est que tous les Béninois ne sont plus noirs. Il y en a qui sont blancs. Il y a aujourd’hui des Libanais qui sont Béninois. Donc, ils ne sont plus dans le champ culturel purement béninois. Cette interculturalité, c’est comment nous pouvons nous intégrer dans leur culture, et eux dans la nôtre. Il importe de savoir comment ils se sentent au Bénin, tout en étant Libanais, Nigérians, Ivoiriens et autres. Comment vivent-ils cette nouvelle relation entre leurs propres cultures et celle béninoise.
Qu’est-ce que Mémoire d’Afrique tire de votre participation, après trois jours de rencontre ?
De ce débat, Mémoire d’Afrique sort convaincue du chemin qu’il a parcouru et consciente de tout ce qui reste à faire. Nous avons rencontré beaucoup de personnes qui font les mêmes choses que nous dans d’autres pays. Nous nous rapprochons, nous allons nous améliorer, nous enrichir. Nous allons peut-être mieux orienter notre philosophie et mettre en place une structure plus visible pour que tous ceux qui ont envie de participer puissent nous rejoindre. Car il s’agit de la paix. Ce n’est pas un truc conceptuel, mais c’est en se connaissant qu’on s’apprécie et qu’on peut vivre en paix. Donc, Mémoire d’Afrique a réalisé un document qu’on a appelé « Mémoire d’Afrique, contribution à l’inter culturalité », parce que les jeunes qui ont été auprès des anciens dans les villages pour collecter sont déjà dans l’éducation. Quand l’ancien lui enseigne, il l’éduque. Le thème retenu pour ce symposium, c’est « Education à la paix par le dialogue interreligieux et par le dialogue interculturel ». Autrement dit, Mémoire d’Afrique sort renforcée, dans ce souci d’éducation à l’inter culturalité ou l’éducation par le dialogue interculturel en vue de la paix.
Parlez-nous des chantiers et des perspectives de Mémoire d’Afrique
Actuellement, nous sommes en train de traduire en Anglais le premier livre de Mémoire d’Afrique sorti en 2005, pour que ce livre puisse passer au Nigeria, au Ghana etc… Ensuite, nous poursuivrons la nuit des contes. C’est le lieu où se vit la diversité des cultures. C’est autour des contes que les cultures se rassemblent dans la fraternité. La preuve, le Prof. Albert Tévoédjrè est appelé aujourd’hui Frère Melchior. Quels que soient ses titres académiques et administratifs, vers le soir de sa vie, il se donne le titre de Frère. C’est cette fraternité qui conduit à la construction de la paix de demain. Et Mémoire d’Afrique veut œuvrer à cela. Je veux impliquer Mémoire d’Afrique aux côtés des Organisateurs du symposium sur le dialogue interreligieux et nous allons y participer davantage pour renforcer le panafricanisme et notre vivre ensemble dans le respect des religions, des personnes et en vue de construire une Afrique qui ne donne pas que l’image de la guerre. C’est un défi que nous devons ensemble relever.
Mémoire d’Afrique veut saluer les organisateurs de ce symposium, l’initiateur, le Prof. Albert Tévoédjrè pour cette vision de sage qu’il a eue. Mémoire d’Afrique veut aussi saluer le Gouvernement qui a soutenu l’organisation de ce symposium. C’est une action très positive qui puisse nous permettre d’éviter qu’on se tape les uns sur les autres. Nous remercions aussi toutes les personnes qui ont œuvré aux niveaux intellectuel et matériel pour que ce symposium se passe dans de bonnes conditions. Et comme nous l’a proposé le Président Obassanjo, il faut que dans 2 ans, ce symposium puisse avoir lieu à Abuja au Nigeria.