Elle fait débat et continuera de faire débat. La limitation du mandat présidentiel en Afrique et plus précisément en Afrique de l’ouest a fait l’objet d’une étude du politologue béninois Mathias Hounkpè. Une étude qui permet de cerner les nuances de cette limitation selon les pays et de comprendre son importance. Lisez plutôt.
La limitation des mandats présidentiels : pourquoi peut-elle encore faire débat ?
Nombre de pays vivant l’expérience démocratique en Afrique sub-saharienne offrent le théâtre de débats soutenus sur la nécessité de limiter ou non le nombre de mandats présidentiels, souvent sur fond de violences conduisant parfois à des pertes en vies humaines. Ce débat a cours actuellement avec virulence au Burundi et au Congo-Kinshasa ; il couve encore au Congo-Brazzaville et au Rwanda, pour ne citer que ces cas-là. Ailleurs, j’ai pris position en faveur de la limitation des mandats et recherché s’il y avait un lien entre la non limitation des mandats et le bien-être des citoyens. Ici, je vous propose de voir ce que nous apprend la réalité/pratique au sujet de la limitation des mandats présidentiels dans les pays en processus de démocratisation en Afrique de l’Ouest.
De fait, en ce qui concerne la limitation des mandats présidentiels, la pratique dans les différents pays de même que la perception des citoyens constituent un excellent guide pour les réformes en la matière, et ceci est d’ailleurs pris très au sérieux par les Chefs d’Etat de la région. Dans le communiqué final de la 46e session ordinaire de la Cedeao, les Chefs d’Etat ont convenu de la "nécessité de la révision des textes juridiques en vigueur … afin de refléter les meilleures pratiques en ce qui concerne les mandats présidentiels". Ils ont, en outre, dans le même communiqué final, clairement réaffirmé leur "engagement total pour (…) le respect des Principes de Convergence constitutionnelle, tels que contenus dans le Protocole de la Cedeao sur la
Démocratie et la Bonne Gouvernance".
Dans la suite de ce qui précède, la Conférence, après avoir examiné les projets d’actes modifiant les textes juridiques en vigueur lors de sa 47e session ordinaire, "instruit le Conseil des Ministres de procéder aux amendements décidés et de les lui soumettre pour signature à sa prochaine session"[2]. En temps normal, ce report ne devrait pas inquiéter, mais le fait qu’il soit suivi d’une rumeur insistante selon laquelle le report serait, entre autres, dû aux désaccords entre les membres de la Conférence sur les dispositions relatives à la limitation du nombre de mandats présidentiels [3] change tout. Il devient alors nécessaire voire urgent de voir où nous en sommes dans la région en matière de pratique de la limitation des mandats présidentiels.
Limitation du nombre des mandats : la pratique en Afrique de l’Ouest
Contrairement à ce qu’on peut penser, la limitation des mandats présidentiels en Afrique de l’Ouest n’a rien d’exceptionnel. En effet, elle est prévue par la quasi-totalité des constitutions des pays sous expérience démocratique de la région. A l’exception du Togo et de la Gambie, les Constitutions de tous les autres Etats membres de la Cedeao, soit 13 pays sur 15, prévoient la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. Quelques pays sont même allés un peu plus loin que de simplement limiter le nombre de mandats présidentiels à 2. Au Niger par exemple, les dispositions relatives à la limitation des mandats présidentiels ne sont pas susceptibles de révision. En Guinée, il est clairement dit que « nul ne peut exercer plus de 2 mandats présidentiels, consécutifs ou non » alors qu’au Bénin il est dit dans la Constitution que "nul n’est éligible s’il est âgé de plus de 70 ans…" et qu’"En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels."
La limitation des mandats n’est pas que prévue par les Constitutions des pays tantôt évoqués. Elle est également respectée par les dirigeants politiques de la majorité des pays membres de la Cedeao. L’on peut citer des pays tels que le Cap-Vert, le Bénin, le Mali, le Ghana, le Nigeria et la Sierra Léone qui ont jusque-là respecté strictement la règle de la limitation des mandats, i.e. où il n’y a pas eu de tentatives réussies de contournement, d’aucune sorte. Mais il y a également des pays où grâce au peuple, comme au Sénégal, et d’autres où grâce à la fois au peuple et à l’intervention des militaires, comme au Niger, la limitation des mandats a été respectée. En d’autres termes, au moins 8 pays de la région (sur les 13 évoqués ci-dessus) pratiquent déjà effectivement la limitation des mandats présidentiels. Les cinq autres – i.e. le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Guinée Bissau et le Libéria – n’ont pas encore eu l’occasion de montrer leur disposition à respecter la limitation des mandats ou non.
Autres raisons en faveur de la limitation des mandats
Au-delà des raisons évoquées ci-dessus, les citoyens de la région semblent, dans une large majorité, favorables à la limitation des mandats présidentiels. Une publication du Groupe Afrobaromètre – tirée des données du 5e round (2011-2013) de son sondage périodique des opinions sur la démocratie, la gouvernance, les conditions économiques … – est édifiante sur la question. Comme le montre le graphique ci-dessous, les populations des pays de la région qui ont été sondées répondent massivement oui à la question de savoir s’il faut limiter le nombre de mandats présidentiels à 2.
Selon cette publication de Afrobaromètre, dans un pays comme le Togo, 83% des citoyens sont en faveur de la limitation des mandats présidentiels à 2, en Côte d’Ivoire ils sont 86% et au Sénégal, 77%. Comment pouvait-on être surpris de la réaction des citoyens Sénégalais en juin 2011 quand l’ex Président Wade tentait une interprétation de la Constitution lui permettant de faire un 3e mandat ? Comment a-t-on pu être surpris au Burkina Faso, où 64% des citoyens sont en faveur de la limitation des mandats, par la révolte des populations contre la tentative d’extension du mandat présidentiel en octobre 2014 ? Comment pourrait-on être surpris si demain, les Togolais (avec plus de 80% d’entre eux en faveur de la limitation des mandats) se mettaient dans les rues pour exprimer leur désapprobation de ce que ceci n’est ni prévu dans leur constitution ni respecté par leur leadership politique ?
Pour finir, alors que les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Cedeao semblent encore hésiter sur la question, il est bon de rappeler que l’Union Africaine, dont ils sont tous membres, a déjà inclut dans sa Charte sur la Démocratie, les Elections et la Gouvernance que (art. 23) "tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique" fait partie des moyens anticonstitutionnels de se maintenir au pouvoir. Il est utile de rappeler qu’à ce jour, des 23 pays (sur les 46 pays signataires) qui ont ratifié cette Charte et qui ont déposé les instruments de ratification au niveau de l’Union Africaine, 11 sont membres de la Cedeao. Pourquoi devrions-nous encore montrer de la frilosité vis-à-vis de cette question dans notre région. De toutes les manières, les peuples finissent toujours par avoir le dernier mot.
Mathias HOUNKPE
Politologue
La rédaction