L’Affaire PPEA II est encore là. La visite effectuée par Son Excellence Mme Lilianne Ploumen, Ministre du Commerce Extérieur et de la Coopération au Développement des Pays-Bas le 9 juillet 2015 l’a ramené au devant de la scène. Contrairement à ce que pensent ceux qui sont concernés par le dossier, les Pays-Bas ne sont pas prêt à démordre. Ils exigent du Bénin la clarification de ce «Watergate» à la béninoise.
Selon le communiqué rendu public par l’Ambassade royal des Pays-Bas près le Bénin (Voir ci-dessous), Mme Lilianne Ploumen, Ministre du Commerce Extérieur et de la Coopération au Développement des Pays-Bas a, au cours de sa visite du 9 juillet 2015, eu des échanges avec le Président Boni Yayi. Ces échanges ont, entre autres, porté sur les enjeux et les défis actuels de la coopération Bénino-Néerlandaise, notamment la fraude dans le programme PPEA-II qui avait conduit les Pays-Bas à suspendre sa coopération bilatérale directe avec le Bénin le 06 mai 2015, à l’exception de l’aide fournie par l’intermédiaire des organisations multilatérales et des Ong.
Contrairement à ce que beaucoup attendaient, Mme Ploumen n’a pas levé la mesure de suspension qui frappe le Bénin. « C’est une décision douloureuse et même dommageable pour les populations béninoises qui n’y sont pour rien, mais nous avons été obligés de la prendre…Je suis navrée de constater que ceux qui doivent bénéficier du programme n’en bénéficient pas vraiment », a déclaré à la presse Mme Ploumen pour qui, « l’argent des contribuables Néerlandais n’est pas utilisé à bon escient ». Elle a par ailleurs juste pris bonne note des actions déjà entreprises par le gouvernement du Bénin en vue de la satisfaction des mesures mentionnées dans la décision de suspension de la coopération. Elle a aussi encouragé le gouvernement à poursuivre ses efforts afin de garantir la reprise de la coopération bilatérale directe entre les deux pays en faveur des populations Béninoises les plus nécessiteuses.
C’est donc désormais clair que si le Bénin ne poursuit pas ses efforts pour mettre hors d’état de nuire tous ceux qui sont concernés par ce dossier, la coopération entre le Bénin et les Pays-Bas (le plus généreux depuis une dizaine d’années) restera toujours suspendue.
Retour sur ce «Watergate» béninois
Le 6 mai 2015, le peuple béninois a été réveillé par une information brutale, étrange et pénible. En effet, Radio française internationale (Rfi) dans l’une de ses éditions a relayé une information publiée dans un Quotidien français bien connu, le « Figaro ». La nouvelle s’est rapidement répandue dans le pays comme un tremblement de terre. Le choc est d’autant plus fort que l’information intervient en pleine campagne électorale. L’Ambassade des Pays-Bas suspend toutes relations avec le Bénin pour cause de détournement de trois milliards de F Cfa de l’aide néerlandaise destinée à l’eau et à l’assainissement au Bénin.
Après la torpeur, des voix s’élèvent pour exiger des explications, des sanctions. Les commentaires sont allés bon train. Le Gouvernement du Bénin a fini par faire une déclaration parfaitement embrouillée à travers une sortie médiatique du Ministre des Finances. La Société civile et les syndicats ont donné de la voix. Le Président de la République, lui-même a dû faire, non pas des déclarations, mais des allusions à peine compréhensibles de la situation réelle.
Les recherches que nous avons menées font apparaître l’affaire PPEA II comme un véritable scandale politico économique avec des ramifications insoupçonnées, exactement comme le « Watergate », cette affaire qui a emporté le Président américain Richard Nixon. PPEA II, tout comme Watergate a eu un retentissement mondial.
Des irrégularités monstres, des sanctions hardies
Tout est parti ce 6 mai 2015 par cette correspondance très diplomatique (fac similé N°1) adressée au Président de la République du Bénin par l’Ambassadeur des Pays-Bas près le Bénin. Dans cette correspondance, le diplomate Néerlandais avait fait part au Chef de l’Etat béninois des irrégularités qui ont été constatées dans la gestion des fonds alloués par les Pays-Bas pour la mise en œuvre de la phase II du Programme pluriannuel d’appui à l’eau et à l’assainissement au Bénin (PPEA II).
Par convention COT0116321 du 11 décembre 2012, le Royaume des Pays-Bas finance conjointement avec l’Union Européenne le PPEA II pour un montant de 40,524 milliards de f Cfa sur la période 2013-2015. Le PPEA II est un programme aligné sur les procédures et stratégies nationales et mis en œuvre sous l’entière responsabilité du gouvernement du Bénin. Dans ce cadre, il est prévu un audit annuel des opérations du PPEA II exécutées à tous les niveaux (central, déconcentré, et communal). Les résultats définitifs de l’audit annuel de la gestion 2014 ont révélé de graves irrégularités qualifiées par les autorités néerlandaises de fraudes portant sur 2,6 milliards de F Cfa au ministère de l’eau. Au nombre de ces irrégularités révélées par l’audit, figurent : d’importantes déviations du plan de travail approuvé et accordé en comité de pilotage avec le gouvernement du Bénin ; de nombreux cas de fractionnement illégal de marchés portant sur des achats de biens de même nature dans la même période et impliquant parfois des entreprises nouvellement créées sans aucune expériences/référence pertinente ; des quantités exagérées hors plan de travail, de fournitures de bureau, de matériels informatiques, de pneus et batteries qui ont ainsi été acquises ; des cas de surfacturation notoire dans les acquisitions de biens d’équipements ; des frais de missions et autres dépenses de suivi/fonctionnement indûment perçus….
Compte tenu de la gravité de ces irrégularités, le ministère néerlandais du commerce extérieur et de la coopération au développement a décidé de mettre fin à tout paiement au titre du PPEA II conformément à l’article 22 de la convention qui lie le Bénin au Pays-Bas. Le plus grave dans cette affaire est que le gouvernement des Pays-Bas a également décidé de suspendre son appui aux autres programmes bilatéraux directement exécutés par le gouvernement du Bénin. Il s’agit du projet AEP de Parakou avec la Soneb en cours d’appréciation pour être partiellement financé par les Pays-Bas à travers Orio, un instrument du gouvernement Néerlandais ; le programme «Pistes rurales» avec le ministère des travaux publics et des transports ; le financement du Plan stratégique annuel du ministère de la santé relatif à la stratégie de reproduction des adolescents et jeunes (Saraj), le projet d’achat de contraceptifs au ministère de la santé dans le cadre de la gratuité du planning familial par les jeunes ; le projet de consolidation des acquis et des actions de sécurisation foncière avec l’Unité de coordination de la formulation du 2è compact du Millenium Challenge Account. Cette décision de suspension vaut pour toutes les autres activités nouvelles en cours de préparation avec le gouvernement du Bénin.
Le rendez-vous du 1er août 2015 ???
En prenant cette mesure de suspension, le Gouvernement des Pays-Bas a laissé une ouverture aux autorités béninoises. « Le gouvernement des Pays-Bas sera prêt à considérer une reprise de notre coopération dans le secteur eau et assainissement, si les actions et mesures ci-après mentionnées seront mises en œuvre à notre satisfaction, par le gouvernement du Bénin au plus tard le 1er août 2015 », a écrit SEM Jos Van Aggelen, Ambassadeur des Pays-Bas près le Bénin dans sa lettre du 6 mai 2015 au Président Boni Yayi. Pour le diplomate néerlandais, il est en effet clair que « les responsabilités politiques pour les actions de malversations devront être assumées ». L’autre condition posée par les Néerlandais est qu’un audit d’investigation sur les faits graves révélés devra être exécuté par un cabinet spécialisé de réputation internationale dans l’immédiat. Les termes de référence et la sélection de ce cabinet seront soumis à l’appréciation du gouvernement des Pays-Bas qui demande aussi à être associé à toutes les étapes de l’audit. Avant le 1er août 2015, il est aussi demandé au gouvernement du Bénin la situation des responsabilités légales à tous les niveaux et la prise des mesures appropriées y compris juridiques et des garanties en vue d’éviter que de telles situations ne se reproduisent.
A un peu plus d’un mois de cette échéance du 1er août, des efforts ont été certes faits. Mais malheureusement, ils sont loin de satisfaire les Néerlandais. Le «Watergate» béninois est bien loin de livrer ses derniers développements.