Après le verdict au pénal sur l’affaire relative à l'assassinat du juge Sévérin Coovi la veille, l’audience s’est poursuivie vendredi 24 juillet dernier. La Cour devrait statuer sur les intérêts de la partie civile représentée par Me Hugues Pognon. Mais elle a renvoyé la cause sine die, pour complément d’informations.
Statuant sur les intérêts de la partie civile dans le dossier assassinat du juge Sévérin Coovi, la Cour sans l’assistance du jury, après en avoir délibéré conformément à la loi, fait observer qu’elle ne dispose pas de toutes les pièces pouvant lui permettre d’apprécier les préjudices des ayants-droits, donne acte à Me Hugues Pognon de sa constitution partie civile, renvoie la cause à une session ultérieure, réserve les dépens. A l’entame de la séance vendredi dernier, l’avocat Me Hugues Pognon a confirmé sa constitution partie civile en faveur des héritiers de feu Sévérin Coovi. Dans ses observations avant le prononcé du verdict au pénal jeudi dernier, il réclamait 50 millions F CFA aux accusés s’ils sont retenus coupables de l’infraction.
Vendredi dernier, il a fait observer qu’il manque quelques pièces au dossier pour permettre à la Cour de mieux apprécier ce qui fonde le calcul des préjudices subis. Il évoque notamment le procès, verbal du conseil de famille qui désigne la veuve Anastasie Coovi comme administratrice des biens et sa fille aînée, son adjointe, les certificats de scolarité des cinq orphelins laissés à la charge de leur seule mère et autres. Pour cela, Me Hugues Pognon sollicite un délai pour y pourvoir. Le ministère public représenté par Delphin Chibozo, ne trouve aucune objection à cette doléance et requiert qu’il plaise à la Cour de renvoyer la cause à une prochaine session.
Me Sylvestre Agbo, commis d’office pour défendre les intérêts de Clément Adétona, seul condamné (à perpétuité) et aux dépens dans cette affaire, s’oppose à ce renvoi. «Je ne suis pas d’avis. Des pièces existent au dossier. Celles qui manquent, sont accessoires et ne peuvent pas arrêter la procédure», estime l’avocat de la défense qui confie, par ailleurs, qu’il va formuler un recours de pourvoir en cassation contre la décision de la Cour du jeudi 23 juillet dernier.
La réaction de Me Hugues Pognon ne s’est pas fait attendre. « Les pièces sont le fondement de la demande», souligne-t-il en évoquant l’article 10 du Code de procédure civile puis l’article 366 du Code de procédure pénale.
Ils ont dit...
Entre soulagement mitigé pour une certaine défense et goût d’inachevé et d’amertume pour la partie civile, le verdict pénal du procès de l’affaire relative à l'assassinat du juge Sévérin Coovi, précédemment premier président de la Cour d’appel de Parakou, est diversément apprécié des acteurs ayant pris part au procès. Voici ce qu’ils en disent au terme de l’audience consacrée au dossier.
Propos recueillis par Claude Urbain PLAGBETO A/R Borgou-Alibori
Delphin Chibozo, représentant du ministère public :«Un dossier qui nous interpelle»
«Au-delà des jugements des différents dossiers, les acteurs de la session de la Cour d’assises devront tirer des leçons et des enseignements de chaque dossier, notamment du dernier relatif à l’affaire assassinat du juge Sévérin Codjo Coovi qui fait couler beaucoup d’encre et de salive. Ce dossier à lui seul nous a interpellés et nous interpelle à plus d’un titre sur notre participation à l’œuvre de la justice et également sur notre responsabilité. Ce dossier nous met face à nous-mêmes. A travers ce dossier, nous devons revoir nos copies».
Me Hugues Pognon, avocat de la partie civile : «Un goût d’inachevé et d’amertume »
«Mes sentiments sont des sentiments de tristesse, d’injustice parce que le procès a laissé comme un goût d’inachevé, un goût de non élucidé. Ce dossier est un cas exemplaire de dysfonctionnement absolu de notre système judiciaire. Dans des affaires, il peut avoir un maillon faible : il peut s’agir d’un expert défaillant, d’un faux témoin, d’un gendarme ou d’un policier malhonnête, d’un avocat ou d’un juge illuminé. Mais dans le cas du dossier Coovi, dans chaque compartiment de la procédure, il y a une incompétence notoire, il y a un scandale écœurant.. Dans ce dossier en tant que partie civile, je n’ai pas le sentiment d’avoir été satisfait moralement par le jugement rendu. Celui qui est condamné, l’est pour complicité d’assassinat ; ça veut dire que ceux qui sont auteurs, ne figurent pas au dossier. Je n’ai pas le sentiment non plus que les réparations qui constituent l’intérêt matériel pour moi, puissent prospérer».
Me Laurent Mafon, conseil de l’accusé Ramane Amadou : «Des sentiments de satisfaction, en dépit des lacunes»
«Ce sont des sentiments de satisfaction qui m’animent après l’acquittement au bénéfice du doute de mon client. On aurait pu avoir mieux à savoir un acquittement pur et simple, en raison des faits et des circonstances dans lesquelles, mon client a été impliqué dans ce dossier. Un acquittement pur et simple aurait été la meilleure des choses. Néanmoins, mon client a été libéré et c’est le plus important, après près de huit de détention. C’est un drame que mon client a vécu. Au début, ça lui paraissait un rêve mais la réalité s’est imposée : huit ans ont été arrachés à sa vie. Je ne sais pas s’il pourra retrouver l’emploi qu’il a laissé à l’IGN et les dossiers pour lesquels il avait été retenu au niveau de la commune de Djakotomey. J’espère que la justice qui a fait preuve de beaucoup de lacunes dans ce dossier, va se remettre en cause et améliorer ses performances à l’avenir pour le bonheur des justiciables».
Me Igor Cécil Sacramento, avocat de l’accusé Moussé Raïmi : «Notre justice est malade de ses hommes»
«Le droit a enfin été dit et j’ai un double sentiment après cette décision. D’abord, c’est un sentiment d’inquiétude, de préoccupation pour l’avenir de la justice, en raison de ce que ce dossier a révélé les tares de notre justice, les difficultés de notre justice ont montré qu’elle est malade de ses hommes, de ses acteurs. Parce qu’il est difficile de comprendre que pour un dossier d’assassinat, on ait mis autant de temps et qu’il y ait eu en tout cinq juges d’instruction qui ont connu de ce dossier, qu’il y ait eu des rebondissements à n’en point finir et que les éléments essentiels du dossier aient été effacés, qu’il y ait eu entrave à la manifestation de la vérité. C’est écœurant, c’est révoltant surtout lorsque ça concerne l’assassinat d’un magistrat...Mais au-delà de ce sentiment d’inquiétude, je dois reconnaître quand-même qu’il y a une satisfaction parce que le droit a été dit... Je pense que l’âme de feu président Coovi va commencer à reposer en paix, parce que les personnes impliquées innocemment et indûment dans cette affaire, ont été blanchies et retrouvent leur liberté. C’est vrai que ce n’est pas totalement, c’est au bénéfice du doute. Nous aurions aimé, nous aurions préféré que ce soit un acquittement pur et simple. Je ne suis pas totalement content mais je suis un peu content quand-même ».
Me Raphiou Paraïzo, avocat de l’accusé Moussé Raïmi :
«La lumière a jailli en partie»
«La lumière a jailli mais sur un seul pan, le pan de la non implication de Ramane Amadou et Raïmi Moussé, arbitrairement détenus dans les maisons d’arrêt depuis bientôt huit ans pour l’un et dix ans pour l’autre. Il reste que ceux qui sont les vrais auteurs, qui continuent de courir, puissent être rattrapés parce que ce n’est qu’un début. C’est un soulagement parce qu’on a pu, à travers les recherches que nous avions faites, à travers les plaidoiries que nous avons dites, éclairer la Cour que Ramane et Moussé ne pouvaient pas être les auteurs de ce crime crapuleux. Je reste convaincu que la marche se poursuivra parce qu’un tel crime ne peut pas rester impuni. C’est aussi un sentiment de satisfaction pour l’avocat que je suis, qui a le sentiment d’un devoir accompli et qui pense avoir apporté des éléments à la manifestation de la vérité pour permettre à la justice de dire le droit ».
Me Sylvestre Agbo, conseil de Clément Adétona : « Je vais pourvoir en cassation de la décision de la Cour »
«Le client que je défends dans ce dossier est accusé et non inculpé. J’ai pris le dossier à la suite d’un autre avocat qui l’avait déjà défendu, en la personne de Me Cosme Amoussou qui pour des raisons de santé, a dû se retirer avec l’autorisation du bâtonnier. Dans l’ensemble, j’ai assuré pleinement mon ministère, j’ai assumé le serment que j’ai prêté devant la Cour d’assises de la Cour d’appel de Parakou. Contrairement aux autres avocats de la défense, j’ai un autre sentiment qui est que je ne suis pas entièrement satisfait de la sentence pénale de la Cour ; parce que j’ai compris que l’enquête et l’instruction ont suffisamment apporté des éléments de preuve qui doivent aller normalement en décharge de mon client Clément Adétona. Je ne vais pas m’arrêter à ce stade de la procédure, à ce stade du procès. Je dois accomplir les formalités de pourvoir devant le greffe de la Cour d’appel de Parakou pour permettre à la juridiction de droit, la Cour suprême dans sa chambre judiciaire de revoir, de réexaminer le dossier. Mon client ne peut pas avoir une peine de réclusion à perpétuité, bien qu’ayant un passé carcéral un peu déplorable. Tout le long de l’instruction, il a été montré qu’il n’a pas tué feu président Sévérin Coovi, mais peut-être qu’il a été utilisé... Nous allons continuer à suivre ce dossier de bout en bout...».