Le pape n’a eu de cesse de réconcilier l’Église actuelle, moderne, avec la tradition chrétienne de deux millénaires. Benoît XVI a gagné des combats, mais il en a perdu d’autres. Celui qui va lui succéder hérite d’une situation en partie assainie, mais beaucoup reste à faire. Ce qui va délimiter une série d’urgences pour le futur pape, mais aussi des défis à plus long terme. Parmi les combats gagnés de Benoît XVI, il y a celui de la liberté face une charge qui paraît ingérable. Ce pourrait être une leçon de management pour cadres de haut niveau, mais la démission de Benoît XVI sonne paradoxalement comme une victoire face à une curie romaine très formaliste où l’audace est toujours crainte.
Ce gouvernement bimillénaire et mondial en a vu d’autres, mais l’effacement de ce pape signifie aussi que la liberté d’un homme, sa conscience surtout, a toujours le dernier mot sur la raison d’État et la nécessité du rang. Voilà la grande leçon de ce vieux pape qui ne voulait pas être élu, qui est allé jusqu’au bout de son devoir, mais qui sait s’arrêter à temps. L’Église catholique du troisième millénaire n’a pas fini d’intégrer le sens et la portée de ce geste. Alors que la curie semblait l’avoir vaincu, anéanti, ce pape, par cette apparente défaite, administre à tous une leçon suprême. Sa décision donne, toujours de façon paradoxale, un coup de jeune et ouvre tous les possibles: alors que tout semblait converger vers une longue aphasie, un vent de liberté souffle soudain.
La seconde victoire de Benoît XVI porte sur le fond de l’identité même de l’Église catholique. Il avait prévenu dans son discours programme de décembre 2005 qu’il entendait réconcilier l’Église avec elle-même en mettant un terme à un passif qui la paralysait depuis la fin des années 1970, donc depuis presque un demi-siècle. Alors que l’Église catholique avait cherché à se redéfinir lors du concile Vatican II, elle avait perdu une certaine substance, en se coupant de ses racines patrimoniales les plus anciennes. Très conscient des conséquences de ce problème, Benoît XVI n’a eu de cesse de réconcilier l’Église actuelle, moderne, avec la tradition chrétienne de deux millénaires.
Encore un paradoxe, cette quête d’identité et de paix intérieure l’a fait souvent passer pour un «traditionaliste» ne pensant qu’à une restauration, mais il a plutôt cherché la réconciliation. Si cette dernière n’est pas totale, le chemin intellectuel que ce pape a fait accomplir à l’Église en moins de huit ans est considérable. L’Église catholique est sortie d’une certaine errance, elle sait mieux désormais qui elle est et où se trouve sa source. C’est un acquis très solide, car il est culturel. Le Pape a imprimé une marque indélébile sans aucun effet de mode ou de style mais par un enseignement constant sur la nature de l’identité chrétienne.
Deux combats perdus
Il y aura eu, en revanche, deux combats perdus sur des dossiers que Benoît XVI avait pourtant très à cœur. Le premier porte sur les lefebvristes, ces catholiques qui refusent l’évolution de l’Église depuis le concile Vatican II. Comme personne, Benoît XVI aura tout fait dès 2005 pour trouver une solution. Il aura accédé à leur demande: reconnaissance de la messe, dite en latin, selon l’ancien rituel, comme rite admis à titre extraordinaire et non plus marginalisé ; levée des excommunications qui frappaient les quatre évêques que Mgr Lefebvre avait ordonnés contre l’avis du Pape, au prix d’une honte mondiale subie par Benoît XVI quand les propos négationnistes sur la Shoah de l’un d’entre eux, Mgr Williamson, ont été révélés. Bref, les négociations très difficiles sur le concile Vatican II n’auront pas permis de trouver un accord à temps, et aucun des futurs candidats potentiels à la succession de ce pape ne présente une telle bienveillance.
L’autre dossier est d’ordre géopolitique. Benoît XVI rêvait de réconcilier les deux Églises catholiques présentes en Chine. L’une, des catacombes, fidèle à Rome, l’autre, officielle, contrôlée par le régime. Là encore, il aura tout fait pour que les catholiques de ce pays prometteur puissent parler et prier d’une seule voix, mais ce rêve aura tourné court, tant la méfiance réciproque et l’influence du Parti communiste auront empêché ce dessein.
Pour l’avenir, il semble qu’une urgence et un défi majeur se dessinent. L’urgence est le gouvernement de la curie romaine. Les années Benoît XVI auront peut-être permis de solder un certain nombre de scandales, comme celui des prêtres pédophiles, celui des finances du Vatican, mais l’Église, indiquent un certain nombre de cardinaux, aura manqué à Rome d’un pape plus impliqué dans le gouvernement concret des affaires temporelles.
Quant au défi, c’est celui des vocations sacerdotales. De ce point de vue, le pontificat de Benoît XVI aura été moins brillant que celui de Jean-Paul II, qui a davantage attiré. L’augmentation du nombre de prêtres en absolu dans le monde est due à l’Afrique et à l’Asie, qui compensent la chute drastique des vocations dans les pays de vieille chrétienté. Certains pourront critiquer le cléricalisme d’une telle vision, mais c’est celle de l’Église catholique, qui sait que sans prêtre elle n’a pas d’avenir.
Des Béninois apprécient la décision du pape
Félix Avlessi, Sg du Synareb, «La démission du Pape est un acte à saluer» : « La démission du souverain pontife, Pape Benoît XVI a surpris plus d’un. A mon humble avis, cette démission est logique. Et dans la vie, il faut être direct. Quand à un moment donné, vous n’êtes plus en mesure d’assumer une responsabilité pour des raisons de santé, il faut simplement démissionner. Je crois que cet acte confirme que le Pape Benoît est un homme franc et sincère. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec la manière dont cette démission a été annoncée au monde. L’Eglise catholique est quand même une Eglise bien structurée. Elle pouvait gérer la situation autrement. »
L’Imam Moutawakil de Médine II de Calavi «Cet acte du Pape cache beaucoup de choses» : « Le Pape est un héritier du prophète. Un dignitaire ne démissionne pas. Un héritier du prophète qui démissionne n’est pas un vrai dignitaire. Je dis et je répète que cette démission nous cache beaucoup de choses. Il y a anguille sous roche. Moi j’ai l’impression que le souverain pontife est fatigué de l’Eglise Catholique et qu’il veut virer ailleurs. Je dis que les gens nous cachent beaucoup de choses dans cette affaire. On nous a avancé la dégradation de son état de santé. Même s’il est malade, le Pape ne travaille pas seul. Ce Pape en peu de temps a eu à visiter le monde et plusieurs confessions religieuses. Peut-être que ces visites ont impacté son engagement à servir l’Eglise Catholique. Le Pape Benoît XVI travaille avec toute une équipe bien structurée. S’il n’est plus en mesure de faire certaines choses, il pouvait transférer une partie de son pouvoir à ses collaborateurs. J’ai l’impression que l’homme est fatigué et déçu de certaines pratiques de l’Eglise. Je demande aux dirigeants de nous dire la vérité. »
Père Ponce Akenonne, Curé de la Paroisse Saint Louis de Gbèdégbé : «Cette démission interpelle sur le rapport des dirigeants au pouvoir»: Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’Eglise catholique que l’on assiste à la démission d’un Pape. Au 13è ou 16è siècle déjà, il y avait eu plusieurs démissions du genre. J’estime donc que ce n’est pas une décision qui devrait normalement susciter des interrogations ou de la stupéfaction. En ce sens, je juge que c’est une décision courageuse que le Pape Benoît XVI a prise face aux grands défis de ce monde. En effet, le Pape a compris qu’il n’avait plus les forces intellectuelles et physiques adéquates pour relever ces incommensurables défis. De ce fait, il a jugé opportun qu’il fallait laisser du »sang neuf » ayant toute la vigueur nécessaire, faire face aux importants défis du monde actuel. A cet égard, l’on ne peut que saluer cette décision qui, en réalité, fait ressortir la question du pouvoir dans le monde en général et en Afrique en particulier. Une analyse personnelle sur cette démission me fait dire que celle-ci interpelle tous les grands dirigeants politico-religieux du monde en général, et ceux Africains en particulier, sur leur rapport avec le pouvoir. Cela m’amène à demander à ces dirigeants, au cas où ils deviendraient impopulaires ou seraient en fin de mandat, s’ils sont, à l’instar du Pape, en mesure de laisser volontairement le pouvoir sans qu’il n’y ait des pressions extérieures à leur endroit? Sont-ils donc capables de laisser spontanément la gestion du pouvoir sans y être contraints ? C’est à cette réflexion que tout un chacun est à mon avis invité à travers l’actuelle démission du Pape.
Sœur Juliette Gbeha, Religieuse sur la Paroisse Saint Louis de Gbèdégbé : «C’est une décision sage et courageuse» : Le Pape Benoît XVI a été très courageux de dire au monde entier et en particulier aux chrétiens que ses capacités physiques ne lui permettent plus de mener à bien la mission qui est la sienne à la tête de l’Eglise Catholique. J’estime donc qu’il s’agit d’une sage et courageuse décision qui est louable. Car, supposons qu’il entame l’exécution d’un projet donné en dépit du fait que ses forces soient en train de le lâcher, pourra t-il réellement au vu de cela, achever ce projet ? Je pense que non. Il est donc à féliciter pour cette décision qui dénote de son esprit d’ouverture face au monde. A cet égard, la principale chose à laquelle j’exhorte tout un chacun et surtout les chrétiens, c’est de prier sans cesse pour lui, afin qu’il puisse bien finir le reste de sa vie sur terre.
Sga/Cstb Paul Essè Iko : «L’incapacité d’agir ou d’assumer une fonction doit nous donner droit à la démission»: » L’échec, l’incapacité d’agir ou d’assumer une fonction doit nous donner droit à la démission. Cette démission est un principe érigé. La pression sociale et la pression moderne font ouvrir une nouvelle morale d’autant plus exigeante. Effectivement, il faut rendre compte à ceux qui vous ont élu. Et si vous êtes incapable d’assumer les charges qu’ils vous donnent, il faut tirer les leçons et partir. Un responsable politique de notre pays en l’occurrence Pascal Fantondji a dit : « lorsqu’on a échoué, il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de le reconnaître et le courage de partir. »
Une commerçante : «Cette démission peut bouleverser notre foi chrétienne» : » C’est une démission qui me surprend et je me pose la question de savoir pourquoi le Pape Jean Paul II qui a été plus âgé que lui est resté Pontife jusqu’ à sa mort. Je l’invite à revoir sa copie. La démission du Pape Benoit XVI peut bouleverser notre foi chrétienne. Donc j’invite mes frères et sœurs à garder leur foi et beaucoup prier pour l’Eglise et ses pasteurs »
Un conducteur de taxi-moto : » Une fois que le Pape Benoît XVI a pris l’engagement de servir le monde, il est tout à fait normal qu’il garde cela jusqu’à sa mort. Donc, que personne ne le remplace tant qu’il est vivant. »
Propos recueillis par Victorin Fassinou, Monaliza Hounnou (Stg) et Boniface Kabla (Stg)