l y a environ deux ans, les Béninois ont été diagnostiqués d’un mal-développement dont le remède serait une « PIKure » de « nouvelle conscience ». Le temps de se décider à accepter l’injection de la dose dite salvatrice, ils découvrent une seconde prescription, cette fois-ci d’un fils de médecin, fraichement débarqué dans l’arène, qui propose une autre conscience, celle qui cible les dirigeants plutôt que les peuples.
Décryptage. Le lexique politique béninois, fort heureusement nourri par les reliques du quartier latin, n’a pas fini de s’enrichir. Nous avons connu la béninoiserie, la bouffe à la cuillère ou à la louche, la transhumance politique, la biche et la rivière, le cheval et le c… du cheval, le tigre et la tigritude, etc. Et nous venons d’être embarqués dans une trilogie de consciences (ancienne conscience, nouvelle conscience et l’autre conscience), cette fois-ci comme piste de politique publique, comme lecture de notre mal collectif, et surtout comme mode d’emploi de la gouvernance de notre pays. Le débat suscité par cette trilogie de consciences a l’avantage d’être sérieux parce qu’animé par deux illustres fils du Bénin ayant l’étoffe d’homme d’Etat et qui vont certainement nous faire régaler des premiers vrais débats sur les choix à opérer pour réformer notre système éducatif, rendre notre administration performante, doper les investissements dans notre pays, créer des emplois, et tirer profit de notre position stratégique vis à vis des pays de l’hinterland et du Nigeria. Oui, Pascal Iréné Koukpaki (PIK) et Lionel Zinsou (LZ) viennent d’engager le premier vrai débat dans l’espace partisan du Bénin à l’approche des élections présidentielles. Il y a des raisons d’espérer que ça dure et que d’autres acteurs politiques qui en ont la capacité osent se lancer dans la réflexion et la contradiction constructive nécessaire à la vie de notre démocratie.
LES TENTACULES DE L’ANCIENNE CONSCIENCE
Les deux personnalités reconnaissent qu’il y a une certaine ancienne conscience qui a besoin d’être reformée. Cette ancienne conscience est une alchimie de mentalités, cultures et pratiques qui détruisent toute volonté de progrès sur fond de nivellement par le bas. Cette conscience, plus ancienne que la République du Bénin, a créé un océan d’anomalies sur lesquelles surfent les décideurs politiques pour s’affranchir des responsabilités qui sont les leurs. Résultats : le Bénin reste un des rares pays au monde où le Chef de l’Etat a le temps d’aller vérifier un petit creux sur la piste du seul aéroport international parce qu’il a peur d’être trompé pour une énième fois par des cadres corrompus ; c’est l’un des rares pays où à huit mois des élections présidentielles, personne ne peut identifier avec une relative assurance les favoris du scrutin ; un pays où plusieurs milliards destinés à l’eau s’évaporent dans les dédales de la corruption pendant que plus de 2 millions de Béninois n’ont pas accès à une source d’eau potable ; un pays où un ministre peut « bouffer » tranquillement parce qu’il sait que les institutions et mécanismes prévus pour le sanctionner ont été rouillées à dessein pour protéger les prédateurs. Cette ancienne conscience est aussi le principal facteur de l’absence d’un débat constructif dans l’espace public sur le devenir de la nation béninoise. Elle fonde les antagonismes politiques aux effets délétères auxquels nous avons assisté pendant les élections législatives de 2015.
LA NOUVELLE CONSCIENCE ET SES VARIANTES
Fort de sa dizaine d’années passées dans l’administration publique en Côte d’Ivoire et au Bénin, Pascal Iréné Koukpaki se positionne comme fin connaisseur du mal béninois et propose une « nouvelle conscience » dont le contenu reste incompris par ceux qui sont étonnés de le voir jeter la balle dans le camp d’un peuple générique et indéfini. Il propose un changement radical des comportements, des valeurs et des agissements caractéristiques de l’ancienne conscience. En tout, une reformation morale de tout le peuple Béninois dans toutes ses composantes. Par ce biais, croit-il, tout le peuple fera la révolution morale collective nécessaire à notre progrès. Plus nuancé, Lionel Zinsou, conforté par sa maîtrise des grands sujets et son parcours exemplaire dans la finance internationale, propose une autre conscience, celle qui consiste à reformer principalement les valeurs des dirigeants. L’autre conscience de Zinsou vient résonner comme la première vraie contre-proposition face à la « nouvelle conscience » de Koukpaki. Il n’y est pas allé par quatre chemins : « Ce n’est pas du tout de la réformation morale de nos concitoyens, c’est la reformation morale de ceux de nos dirigeants qui se sont éloignés du chemin, et qui ne sont pas la majorité de nos dirigeants », précise-t-il.
L’approche Zinsou a l’avantage d’indiquer la voie du pragmatisme et apporte une précision de taille : la nécessité de responsabiliser, d’abord et avant tout, les dirigeants sur le travail titanesque de la reformation morale. Si un Béninois peut implanter une scierie en pleine zone résidentielle et produire du brouhaha dans le quartier sans être inquiété, c’est que le ministre de l’intérieur, à travers la police environnementale, n’a pris aucune mesure effective pour protéger ceux qui subissent la pollution sonore. Si les enfants du Bénin rêvent pour la plupart de devenir douanier ou agent des impôts, c’est qu’il n’y a aucun mécanisme de coercition pour arrêter la saignée financière qui réduit l’assiette fiscale et rend l’État incapable de répondre aux besoins essentiels des communautés de base dans notre pays. Ce ne sont pas les paysans de l’Atacora ou les femmes du Couffo qui sont responsables de la disparition des fonds du PPEA2. Notre histoire récente nous a appris que pendant que les dirigeants du PRPB criaient à hue et à dia les slogans patriotiques et révolutionnaires face à un peuple médusé, ils se confortaient eux-mêmes dans les comportements qui ont fait le lit à la banqueroute financière d’alors et aux mauvaises habitudes des temps modernes. En conclusion, on pourrait donc se demander si, en avril 2016, les Béninois se plieront à la thérapie de la « nouvelle conscience du peuple» ou à celle de la « bonne conscience des dirigeants ».
La bonne nouvelle est qu’un consensus se construit sur la nécessité d’un débat sain sur les grandes problématiques de développement de notre pays.
La bonne nouvelle, c’est aussi que nous avons toutes les chances d’assister à un débat de qualité dans l’espace politique, comme celui qu’on a eu au début des années 90, et que nous avons perdu à travers la décadence de la classe politique au cours des 20 dernières années.
La bonne nouvelle enfin, c’est que l’amorce d’un débat de qualité attirera des candidats de meilleur calibre sur le landernau politique. Ceci permettra de faire le deuil définitif de la banalisation de la fonction présidentielle à laquelle aspirent malheureusement des personnes fourbes dont les âmes sont perturbées par des contradictions et qui veulent fabriquer un monde artificiel immonde dans lequel elles seules peuvent se complaire… au détriment d’une nation entière !
Damien Mama, citoyen béninois.