Depuis la mise en place de la Haute Cour de justice (HCJ) conformément à la loi n°93-013 DU 10 Août 1999 qui lui a donné corps, cette cour n’a jamais rendu une décision définitive de condamnation ou d’acquittement. Pourquoi ?
La Haute Cour de Justice est hautement politique et est incapable d’accomplir sa mission.
La Haute Cour de Justice est hautement politique
En effet, en vertu de l’article 136 al1 de la constitution du 11 décembre 1990, la mission de la Haute Cour de Justice (HCJ) est de juger le Président de la République et les membres du gouvernement, mais les conditions de la saisine de la Haute Cour de Justice et sa composition montrent bien combien cette cour là est hautement politique et impuissante à réussir sa mission dans le contexte socio politique et culturel du Bénin.
Voyons, avant d’être jugé par la Haute Cour de Justice (HCJ), le Président de la République et les membres du gouvernement doivent d’abord faire l’objet de poursuite et de mise en accusation ; or suivant l’article 15.1 de la loi n°93-013 du 10 août 1993, portant loi organique de la Haute Cour de Justice, «la décision de poursuite du Président de la République et des membres du gouvernement est votée à la majorité des 2/3 des députés composant l’Assemblée Nationale …».
Cette majorité qualifiée bien difficile à réunir constitue déjà un handicap sérieux à la poursuite des justiciables de la Haute Cour de Justice (HCJ).
Mais ce n’est pas fini, car si la décision de la poursuite est prise par l’Assemblée Nationale, elle aura seulement pour effet d’ouvrir l’étape de l’instruction du dossier qui est menée par la chambre d’accusation de la Cour d’Appel ayant juridiction sur le lieu du siège de l’Assemblée nationale (cf. art. 15.2) de la loi organique n°93-013 du 10 août 1999 visée ci-dessus ; il s’agit concrètement ici de la chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Cotonou qui, à la fin de la procédure de l’instruction, soumet un rapport à l’Assemblée Nationale qui décidera s’il y a lieu à mise en accusation (cf. l’art. 15.8) de la même loi organique sus-visée.
En clair, bien que l’article 15.3 de la loi n°93-013 du 10 août 1999 dispose que « la procédure devant la chambre d’instruction de la Haute Cour de Justice est celle suivie devant la chambre d’accusation de la Cour d’Appel », la chambre d’accusation ne peut pas prendre un arrêt de mise en accusation qui devait normalement saisir directement la Haute Cour de Justice ; mais elle soumet seulement un simple rapport à l’Assemblée Nationale, qui, elle n’étant pas une juridiction judiciaire, décidera quand même en lieu et place des juges professionnels plus qualifiés de la chambre d’accusation, s’il y a lieu à mise en accusation ou non.
Cela veut dire qu’en plus du travail technique, professionnel et indépendant des magistrats de la chambre d’accusation, qu’il faudra nécessairement une appréciation politique de l’Assemblée Nationale, là où le rapport des forces politiques dictera finalement, s’il faut mettre en accusation ou non le Président de la République et les membres du gouvernement.
Il en résulte indiscutablement que la décision de mise en accusation est plus une décision politique que technique. C’est donc par une décision fondamentalement politique que la deuxième condition avant la saisine de la Haute Cour de Justice se réalise suivant l’article 16.1 de la loi précitée qui dispose que « la décision de mise en accusation du Président de la République et des membres du gouvernement est votée à la majorité des 2/3 des députés composant l’Assemblée Nationale ». C’est dire que cette deuxième étape avant la saisine de la Haute Cour de Justice constitue sans embage une nouvelle étape de marchandage politique avant l’étape proprement dite de jugement.
Lorsqu’on sait que la majorité au sein de notre Assemblée Nationale est une majorité à « géométrie variable », on peut conclure sans crainte de se tromper que la saisine de la Haute Cour de Justice est au gré de cette majorité variante et variable et que par conséquent, ce qui est vrai aujourd’hui peut être faux demain et que ce qui est faux hier peut devenir vrai demain.
Mais mieux encore, outre les conditions de saisine de la Haute Cour de Justice qui lui confèrent une nature hautement politique, il y a la composition de la Haute Cour de Justice elle-même qui achève d’éclairer sur le fondement hautement politique de cette Cour : la Haute Cour de Justice.
En vertu de l’article 7 de la loi n°93-013 du 10 août 1999 « la Haute Cour de Justice est composée des membres de la Cour Constitutionnelle à l’exception de son Président, de six (06) députés élus par l’Assemblée Nationale et du Président de la Cour Suprême ;
D’abord, notons que le Président de la Cour Suprême est nommé par le Président de la République suivant l’article 133 de la Constitution du 11 décembre 1990.
Devenu membre de la Haute Cour de Justice, il est humainement et politiquement redevable du Président de la République et / ou de ses Ministres selon le cas.
Ensuite, sur les sept membres de la Cour Constitutionnelle, trois sont nommés pour le Président de la République selon l’article 115 de la Constitution du 11 décembre 1990 et à l’heure du jugement du Président, ils seront pour les mêmes raisons évoquées précédemment plus enclin à lui renvoyer l’ascenseur.
Enfin, des six députés élus par l’Assemblée Nationale pour siéger à la Haute Cour de Justice, il y en a forcément qui sont de la sensibilité politique du Président mis en accusation.
En définitive donc, les membres de la Haute Cour de Justice sont en principe majoritairement favorable au Président mis en accusation surtout si celui-ci est toujours aux affaires.
Mieux encore, les membres de la Haute Cour de Justice sont des hommes et des femmes éminemment politiques, même s’ils y sont arrivés en fonction de leur qualification professionnelle.
Dans ces conditions, il est incontestablement évident que la Haute Cour de Justice (HCJ) dans son fondement est hautement politique et que dans la jungle politique seul le peuple est le perdant car une telle Cour est visiblement incapable de réussir sa mission.
La Haute Cour de Justice est incapable de réussir sa mission.
L’actualité brulante autorise à risquer l’analyse suivante sur laquelle on peut prendre date et parier.
A la lumière des étapes sus indiquées à franchir avant d’envoyer le Président de la République et les membres du gouvernement devant la Haute Cour de Justice, on peut aisément constater que la procédure de poursuite, de mise en accusation et de jugement du Président de la République et des membres du gouvernement devant la Haute Cour de Justice est longue et semée d’obstacles et peut durer des années en raison des considérations aussi bien techniques, financières que politiques et même socio culturelles. Mais voici qu’à quelques mois, six (06) environ des élections présidentielles, des menaces de poursuite devant la Haute Cour de Justice, planent sur des ministres du gouvernement.
Logiquement, la question que tout béninois ou observateur peut se poser est si ces menaces sont sérieuses et si les procédures iront au bout avant la fin des prochaines élections, sinon qu’est ce qui peut se passer après les élections.
Pour ma part, ce qui me parait évident est que ces procédures ne peuvent pas aller au bout avant les élections présidentielles en vue, même si les menaces ont l’air d’être sérieuses.
Mais alors, qu’est ce qui peut se passer ?
Il faut d’abord observer qu’à la veille des élections présidentielles et législatives de 2011, de telles menacent avaient pesé sur des membres du gouvernement (les ministres Armand ZINZINDOHOUE, Kamarou FASSASSI et Souley Mana LAWANI) et même sur le Chef du gouvernement, Président de la République. La suite, chacun le sait. La Haute Cour de Justice n’a jamais statué jusqu’à ce jour. J’affirme donc que les menaces actuelles sont sans lendemain, sauf extraordinaire.
Il apparait au regard de ces quelques éléments d’analyses que la Haute Cour de Justice n’est pas à même de réussir sa mission.
En tout cas, la mentalité, l’état psychologique de notre peuple qui n’est pas encore prêt à ce que le Président de la République, ancien ou nouveau soit jugé comme un simple citoyen devant une Cour hautement politique sans qu’il y ait quelques risques sérieux pour la stabilité du pays. Il en est ainsi des ministres, car poursuivre, accuser et juger un membre du gouvernement, c’est poursuivre, accuser et juger le chef de ce gouvernement qui est en même temps, le Chef de l’Etat, le Président de la République selon la période concernée.
En effet au terme de l’article 54 de la constitution du 11 décembre 1990, le « Président de la République est le détenteur du pouvoir exécutif. Il est le chef du gouvernement à ce titre, il détermine et conduit la politique de la Nation. Il exerce le pouvoir règlementaire. Il nomme les membres du gouvernement, il fixe leurs attributions et met fin à leurs fonctions. Les membres du gouvernement sont responsables devant lui ».
Mieux encore, l’article 55 de la même constitution précise que : « le Président de la République préside le conseil des Ministres qui délibère obligatoirement sur :
- Les décisions déterminant la politique générale de l’Etat.
- Les projets de loi ;
- Les ordonnances et les décrets réglementaires ;
Ce qui veut dire qu’aucun ministre ne peut être poursuivi sans que le Chef du gouvernement qui l’a nommé ne soit également interpellé pour les mêmes faits, sauf à établir formellement que le ministre a agit rigoureusement en hors la loi, auquel cas, sa responsabilité est strictement personnelle.
En clair, la Haute Cour de Justice, telle qu’elle est organisée aujourd’hui, est incapable de réussir sa mission, celle de sanctionner l’impunité au sommet de l’Etat, en guise de lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance.
En réalité, si nous voulons vraiment assainir les mœurs politiques et assurer la bonne gouvernance, la prospérité et la stabilité, nous devons donner au pouvoir judiciaire tous ses droits et moyens et faire confiance à nos juridictions de droit commun et à leurs juges pour statuer sur les infractions à nos lois conformément à l’article 125 de notre constitution du 11 décembre 1990.
Seul un Président de la République, ancien ou nouveau, peut être traduit en cas de besoin devant une juridiction ad’ hoc pour ce qu’il a incarné ou incarne encore.
La Haute Cour de Justice est en tout cas inefficace et n’est pas nécessaire compte tenu de la longueur et de la lourdeur de la procédure ainsi que de notre environnement socio politico culturel et de notre idée du chef. Cependant, malgré les faiblesses relevées quant à l’efficacité des procédures initiées pour voir la Haute Cour de Justice juger le Président de la République et les membres du gouvernement, je souhaite être démenti par des arrêts de condamnation ou d’acquittement de la Haute Cour de Justice dans des délais raisonnables pour l’avancée de l’Etat de droit et la démocratie et le bonheur de notre peuple.
Maître Luc-Martin HOUNKANRIN