A l’affiche de son rôle, vendredi 14 août dernier, la Cour d’assises de la Cour d’appel de Cotonou avait sur sa table, un dossier d’empoisonnement en examen. Wassiou Adeni avait à répondre des faits y relatifs dont il était présumé auteur. La composition commise pour en conna^pitre était présidée par Thierry Damase Ogoubi assisté de Michel Romaric Azalou et Rogatien Glagladji. Dans le fauteuil du ministère public, était installé Christian Atayi. Pour tenir la mémoire de l’audience, il y avait Victoire Oladikpo. Léon Tchincoun, Jean Couao-Zotti, Sylvie Hazoumè, Abraham Santos Fakambi, Ambroisine Agbossaga ont formé le jury criminel.
L’accusé Wassiou Adeni à la barre n’a pas reconnu les faits. Il ne se sent nullement coupable et responsable de ce qui s’est passé et pense qu’un montage avait été concocté par ses hôtes pour le plonger. Mais le résumé des faits tel que présenté par Thierry Damase Ogoubi, le président de la Cour semblait l’accabler. Ainsi, les nommés Mathieu Baoungboyé et Wassiou Adeni tous deux du même village, sont amis depuis plusieurs années. Wassiou Adeni a l’habitude de rendre visite à Mathieu Baoungboyé qui l’a toujours reçu à son domicile à Tankpè (Abomey-Calavi) et auprès de qui il a fini par s’installer depuis le 17 mai 2007. Le 23 mai 2007, alors que Mathieu Baoungboyé et son épouse Evelyne Houndédako étaient allés vaquer à leurs occupations, l’inculpé Wassiou Adeni a profité de leur absence pour verser une substance dans la sauce que dame Evelyne Houndédako avait préalablement chauffée. A son retour, cette dernière s’est servie la sauce avec la pâte et à la première bouchée, elle a senti une saveur inhabituelle et a craché aussitôt tout ce qu’elle avait dans la bouche. Voulant ensuite boire la sauce, elle a senti une brûlure dans la bouche. Quelques instants après, les volailles qui ont picoré la bouchée (pâte) crachée, ont été retrouvées mortes. Wassiou Adeni soupçonné et interrogé a reconnu les faits.
Le bulletin n°1 de son casier judiciaire ne porte mention d’aucune condamnation antérieure. L’enquête de moralité lui est favorable. Le rapport médico-psychiatrique et psychologique révèle que l’accusé était en bon état de santé mentale au moment des faits.
Mais il faut rappeler qu’avant l’ouverture des débats, Me Désiré Aïhou commis pour la défense de l’accusé avait vivement souhaité que la partie poursuivante fasse les diligences requises pour que comparaisse l’unique témoin, qui n’est que le mari de dame Evelyne Houndédako, propriétairelocataire de la maison qu’habitait le couple, hôte de l’inculpé. Une suspension de l’audience vendredi dernier avait finalement permis d’accéder à sa requête. Une démarche qui a été déterminante et qui aurait permis de clarifier tant soit peu ce qui s’était à peu près réellement produit ce 23 mai 2007.
Témoignage capital
Daniel Gnonhouin, propriétaire de la maison, déposant explique que l’accusé a refusé de boire la sauce que le CB d’Abomey-Calavi lui a présentée. C’était un produit liquide qui ressemblait à de l’insecticide pris à Massi, rapporte le témoin. C’est en somme, au bout du cinquième jour de la visite rendue à son frère ami, qu’il a opéré. La victime, épouse de son locataire qui a goûté à la sauce, vend à Tokpa pendant que le mari lui, mène ses activités en ville. C’est avec le reste de la sauce et le poulet mort qu’on lui a demandé de poser pour faire la photo, explique Daniel Gnonhouin. Sur interrogation-réponse du ministère public, le témoin a confirmé que le produit objet de la tentative d'empoisonnement était de l’insecticide qui sert à traiter le coton.
Les multiples questions de la défense visaient à amener le témoin à expliquer en tant que mécanicien, l’expertise qui lui permet de déceler l’odeur de l’insecticide servant à traiter le coton.
A la confrontation à la barre, vendredi 14 août dernier, entre le témoin et l’accusé, ce dernier a persisté à dire qu’on a mis le poulet mort et la marmite de sauce entre ses mains comme si c’était un montage par rapport auquel il ne se sentait nullement responsable.
L’assistance s’est interrogée sur le lieu où les photos avaient été prises. Est-ce dans la maison où ils habitaient, à la gendarmerie ou ailleurs ?
A la vérification de la défense, s’il y avaient un examen toxicologique de la sauce empoisonnée au dossier, le président de la Cour a répondu par la négative. Expliquant qu’il y avait simplement la mention de scellés mais qui matériellement n’étaient ni disponibles au parquet d’instance, pas plus qu’au parquet général. La lecture de certaines pièces a ouvert la voie aux réquisitions du ministère public.
Dans le cadre de ses observations, Christian Atayi a jugé étrange l’attitude de l’accusé à la barre. «Il n'a pas voulu coopérer à l’œuvre de justice mais messieurs et mesdames de la Cour, la vérité est apparue ; j’aurais pu vous demander de vous contenter de la déposition du témoin. La vérité comme le dit Victor Hugo, est comme le soleil», a-t-il décrit.
La plus grande ambition, poursuit-il, par ailleurs, la seule qui compte, c’est de faire du bien. «Doit-on toujours faire le bien si la récompense est le mal ?», s’est-il interrogé ? Il procède au rappel des faits et affirme que le 17 mai 2007, l’accusé a rendu visite à ses hôtes, son frère et ami et à la femme de ce dernier. Mais le 23 mai suivant, la femme était, rapporte-t-il, en mangeant la pâte avec la sauce de gombo préparée et chauffée le matin, surprise par le goût piquant du mets. Pour lui, l’accusé a reconnu les faits à l’enquête préliminaire avec des variations tendant à expliquer les mobiles à la base de son indélicatesse.
«A la barre, les déclarations qui pourtant lui étaient auparavant attribuées, sont devenues mensongères», s’est étonné Christian Atayi. Ce dernier a invité tous les membres de la Cour à ne pas se méprendre sur cette volte-face et cette stratégie de défense de l’accusé. Il est bien coupable d’empoisonnement prévu par les articles 301 et 302 du Code pénal : en somme une infraction sévèrement punie.
La mort instantanée des volailles
Selon Christian Atayi, aux termes de l’article 301 du Code pénal, l’empoisonnement est tout attentat à la vie par l’effet d’une substance. Il nécessite l’existence d’un élément matériel, l’emploi d’une substance et qu’importe la nature mortifère ou non dudit produit. Ensuite, il faut l’élément moral qui correspond à l’intention de donner la mort : l’animus necandi.
« Toute administration de produit par voie digestive, respiratoire », indique le représentant du ministère public qui poursuit que l’accusé en dépit de ses dénégations, a reconnu avoir introduit la substance mortifère dans la sauce.
Quelle est la nature de ce produit mélangé au gombo ?, s’est-il interrogé.
Pour lui, il avait déclaré au juge d’instruction que c’est un produit qui sert à tuer les insectes qui attaquent le coton. Déclarations corroborées, a dit le ministère public, par le témoin ; la mort instantanée des volailles prouve même en l’absence d’examen toxicologique, qu’il s’agit d’un empoisonnement. Peu importe que la victime ne décède pas. Citant une abondante jurisprudence et doctrine, le ministère public a été ferme en retenant que l’accusé est coupable des faits mis à sa charge.
L’accusé n’ignorait pas que le produit mélangé à la sauce était mortifère ; il est aisé de constater qu’il existait une volonté manifeste d’attenter à la vie de ses hôtes.
Est-il accessible à la sanction pénale ?, questionne Christian Atayi qui répond qu’il ne présentait aucun trouble mental au moment des faits. Pour lui, puisqu’il n’a pas agi au sens de l’article 64 du Code pénal. L’enquête de moralité lui est favorable. Mais poursuit-il, il n’y a pas de circonstances atténuantes pour lui.
L’empoisonnement est puni par l’article 302 de la peine de mort mais le Bénin ayant ratifié le Protocole relatif à l’abolition de la peine de mort depuis 2012, le représentant du ministère public a souhaité de se conformer à cela. «Vous devez montrer à cet accusé qu’on n’a pas tort de faire du bien en lui accordant l’hospitalité ; il faut une réponse exemplaire en protégeant la société», affirme-t-il. Puis, spécialement aux jurés, il a expliqué de répondre aux questions lors du délibéré, par l’affirmative, si l’accusé était coupable d’avoir attenté à la vie et de le condamner à la peine de travaux forcés à perpétuité.
En réponse, Me Désiré Aïhoua suggère d’écarter toutes les considérations doctrinales et jurisprudentielles qui éloignent de la réalité du dossier. «Vous allez décider du sort d’un homme ; on vous a dit et conseillé la perpétuité. La perpétuité, c’est la condamnation à mort des civilisés. Je suis constitué pour vous apporter la vérité autrement ; mon client a tenté d’empoisonner dame Evelyne Houndédako le 23 mai 2007. La problématique du dossier se trouve dans les circonstances des faits présentés et instruits à votre barre», expose Me Désiré Aïhou qui s’est interrogé sur ce qui s’est effectivement passé. Ce n’est pas une aventure doctrinaire ou jurisprudentielle comme nous y a engagé le ministère public. Il a rappelé les faits en les sériant en trois feuilletons. Il s’est ensuite offusqué et étonné qu’on n’ait pas ordonné une expertise toxicologique; c’est la preuve de la banalisation de notre justice.
Perpétuité égale peine de mort déguisée
Pour la défense, en matière pénale et surtout criminelle ou la vie d’un homme, un père de famille est en jeu, il faut être sûr de ce qu’on retient car la perpétuité est comme la peine de mort. On est dans l’obscurité totale, c’est un monde à part . D’où les dispositions de l’article 301 ne s’appliquent pas, selon lui, à son client, car explique-t-il, celui qui témoigne ne connait pas l’insecticide, le produit qui traite le coton puisqu’il n’en a jamais cultivé, pas plus qu’il n’en a presque jamais manipulé.
«En matière de crime impossible, il n’y a point de sanction, au-delà de l’impossibilité du crime, il y a un fort doute», martèle la défense. Pour lui, il est possible que quelqu’un d’autre soit passé là entre temps, après le départ de Wassiou Adeni de la maison. Dès lors que c’était une entrée coucher, tout le monde, c’est-à-dire toute personne qui rentre dans la chambre pouvait accéder à la sauce, démontre-t-il. L’accusé ayant remis la clé à un autre, bien des manipulations auraient pu avoir été commises, sans que ce soit lui. Sur cette base, il demande lui de relaxer en l’acquittant purement et simplement.
Telle n’était pas la conviction de la Cour qui dans son délibéré, a reconnu Wassiou Adeni coupable des faits mis à sa charge et l’a condamné à 8 ans de travaux forcés. Il a pratiquement fait plus de huit ans de détention préventive. Il devrait retourner chez lui.