Depuis quelques années, le niveau des apprenants béninois chute et les taux de réussite aux différents examens de fin d’année diminuent. Pour justifier cet état de choses, plusieurs facteurs sont évoqués par les acteurs du système éducatif dont l’approche par compétence (Apc).
Adrianne, une jeune fille de 12 ans en classe de 6ème peine à lire un texte au tableau et fait appel à un camarade pour y arriver. Tout comme elle, nombreux sont les jeunes élèves qui ont des difficultés à faire une bonne lecture ou à parler correctement la langue de Molière. Et pour cause, l’inexistence de bibliothèques dans certains collèges, et le manque de lecture. « Malheureusement, vous constatez que ces derniers n’ont plus le goût de la lecture comme auparavant, ils préfèrent les jeux vidéo, les portables et les téléfilms. Aussi, la vulgarisation des réseaux sociaux les éloigne de la lecture », explique Jacques, un parent d’élève. À Cotonou comme dans les autres villes du Bénin, le niveau des élèves a chuté.
Même si le taux d’admission reste élevé pour le certificat d’études primaires (Cep), ce n’est pas le cas pour le brevet d’études du premier cycle (Bepc) et le baccalauréat (Bac) où on enregistre de plus en plus d’échecs. Selon Jacques, cet état de choses est imputable non seulement au manque d’enseignants qualifiés, mais aussi aux effectifs pléthoriques auxquels font face les enseignants dans les classes. « L’enseignement est médiocre et les résultats ne peuvent qu’être médiocres », déplore-t-il. Poursuivant dans le même sens, Noël Chadaré, Sg de la Cosi-Bénin, pense que les enseignants qui appliquent l’Approche par compétence (Apc) ne sont pas formés pour ce système éducatif. « C’est un système qui demande beaucoup de travail de la part de l’enseignant parce qu’il doit mettre en pratique l’art dans sa classe », mentionne-t-il.
Un système qui divise
L’approche par compétence ne fait pas l’unanimité pour des raisons diverses au sein des enseignants qui sont chargés de la mettre en pratique. Effectif pléthorique, manque de matériels didactiques et d’enseignants qualifiés sont entres autres les raisons évoquées. A en croire Noël Chadaré, les enseignants qui parlent mal de l’Apc ne connaissent pas grand-chose du système. Ainsi, les échecs constatés ne sont pas dus à l’Apc, mais aussi bien au manque de matériels qu’au retard des subventions de l’Etat. « Le niveau actuel des élèves est bas et il faut s’asseoir pour revoir tout le système », suggère-t-il.
Contrairement à Noël Chadaré, Siméon Pépin, Directeur du Ceg Gbégamey, pense que le système actuel permet non seulement au professeur de ne plus faire des cours dogmatiques mieux, il permet à l’élève de se cultiver. « Ceux qui disent non à ce système aujourd’hui, finiront par l’accepter un jour. Le monde évolue et il n’est pas bien de rester en arrière », dit-il. A l’entendre, le Bénin dispose des matériels pour l’enseignement de l’Apc car, les responsables du système éducatif sont conscients de la réalité. « À la veille de chaque rentrée, il y a des conseillers pédagogiques encadrés par des inspecteurs, qui organisent des séances de formation dans les collèges pour relever les failles et les corriger », explique-t-il.
Retour aux langues nationales…
Au fil des années, d’aucuns se préoccupent de la qualité de l’enseignement au Bénin. Pour certains, l’enseignement béninois se vide de son contenu d’année en année. Cela se remarque à travers les résultats enregistrés aux différents examens de fin d’année. Selon Noël Chadaré, Secrétaire général de la Cosi-Bénin, les raisons de cet échec sont profondes. A l’en croire, les recommandations issues des deux Forums nationaux sur l’éducation n’ont pas été mises en œuvre. Ce qui laisse croire que le gouvernement béninois a fait assez de bruits pour rien. « Les résultats des forums sur l’éducation n’ont jamais été pris en compte. Moi, je ne suis pas allé au 2nd forum parce qu’il n’y a pas eu l’évaluation du premier pour voir ce qu’il fallait faire. Ce qui a été décidé au forum de 2007 est que nous ne devons plus avoir trois ministères pour l’enseignement, mais un seul ministère de l’éducation pour réduire les dépenses, mais c’est le contraire que nous constatons », explique-t-il.
Quant à Paul Essè Iko, Secrétaire général de la Cstb, les raisons de cette situation sont à chercher ailleurs. « La cause fondamentale des échecs, c’est l’utilisation des langues étrangères pour enseigner à des Béninois qui sont ancrés dans leur culture ». Il faut donc insérer les langues nationales dans le système éducatif formel. De plus, il n’a pas occulté le problème de l’Approche par compétence (Apc) et le Système Lmd. « Nous avons besoin de nous instruire, de nous former pour développer nos richesses intellectuelles et morales. Et tout cela se trouve dans nos langues maternelles. Aucun gouvernement n’a jamais voulu l’expérimenter ainsi … Les programmes d’Apc et de Lmd sont inadaptés et ne tiennent pas compte des problèmes du pays. Du point de vue scientifique, nous avons besoin d’avoir des remèdes aux maux de notre pays, et du coup, faire des recherches dans le domaine de la ‘’médecine traditionnelle’’. Mais il ne faut pas le faire en français », révèle-t-il.
Doter le secteur de personnel qualifié
L’autre cause des échecs dans le système éducatif béninois, selon le Sg-Cosi-Bénin, Noël Chadaré, c’est le manque criant de personnel enseignant qualifié. « …L’enseignement secondaire aujourd’hui a besoin d’environ 16.000 enseignants qui doivent être qualifiés », clarifie-t-il. « N’est pas enseignant qui le veut, et l’approche par compétence à des exigences… », explique Dieudonné Lokossou, Secrétaire général de la Csa-Bénin. Pour Noël Chadaré, la situation précaire des enseignants vacataires est préoccupante, pourtant, ils sont les piliers de l’enseignement. « La majorité des enseignants que nous avons sont des vacataires et c’est eux qui tiennent la maison debout, et il faut les féliciter. S’ils n’étaient pas là, l’enseignement serait déjà tombé », fait-il remarquer.
Il a également évoqué le ratio maître-élèves qui n’est pas respecté.
Une autre chose qui contribue aux échecs scolaires, d’après le Sg Dieudonné Lokossou, c’est la démotivation des enseignants qui n’ont pas eu les 25% d’amélioration de leur indice de traitement alors que les autres fonctionnaires de l’Etat l’ont eus. Il a aussi évoqué la politisation des nominations dans l’enseignement secondaire, qui ne respectent aucun critère. Il préconise à cet effet la sédentarisation des vacataires tout en leur donnant une formation sur l’Apc qui est un système très exigeant.
Face à la situation, des initiatives sont prises par les parents d’élèves, mais aussi, on assiste à la création et l’équipement des bibliothèques par certains chefs d’établissements. « L’école devrait être un endroit où la lecture doit être un moyen d’information pour l’élève. Elle est aussi le seul moyen qui lui permet à la fois de se distraire et de se cultiver », souligne Henriette, étudiante en 3ème année de lettres modernes à l’université d’Abomey-Calavi. Selon elle, habituer l’élève à la lecture serait un premier pas vers la réussite car, signale-t-elle, la lecture est à l’origine du savoir.
Patrice SOKEGBE & Sandric DIKPE