Aussitôt passé le temps de l’émotion, après la désormais historique sortie de Patrice Talon, il est temps de nous intéresser à ses différentes propositions. Nous allons nous consacrer ici, aux cas spécifiques de la Cour constitutionnelle et de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac)…
Tel un clin d’œil de l’histoire, la sortie et surtout les propositions de Patrice Talon tombent en pleine polémique sur une décision de notre Cour constitutionnelle ; une décision qui, à coup sûr, entrera dans le Grand Bêtisier de cette institution. Tant elle nous a plongés dans les tréfonds de la bêtise humaine. On connaissait le calendrier grégorien ; il va falloir désormais compter avec le « calendrier Holo ». Un calendrier qui supprime les mois au profit des années, en ramenant le calcul de l’âge « révolu », à un simple calcul d’épicier, pour ne pas dire à une logique de gérant d’hôtel : « une année entamée est une année consommée » ! Même le professeur Maurice Ahanhanzo Glèlè, « père de notre Constitution » y a perdu son latin et… son « fon gbé » ! Ah nos « sages » de la Cour des miracles de Théodore Holo…Et c’est dans cette nuit noire dans laquelle nous a plongés la Cour, qu’est apparu un petit éclair à l’horizon de notre désarroi. Oui, la première « sortie politique » de Patrice Talon, a déjà le mérite de nous indiquer des pistes pouvant nous conduire à la lumière.
Thérapie de choc
L’homme a proposé de manière synthétique, quelques remèdes efficaces, contre les maux qui minent notre pays. Et il n’a pas hésité parfois à préconiser des thérapies de choc, du genre mandat unique et non renouvelable, pour le chef de l’Etat ! Nous y reviendrons. En attendant, intéressons-nous aux remèdes proposés pour nos deux institutions citées plus haut. La toute première réforme qu’il propose est le rééquilibrage « des pouvoirs entre les différentes institutions et au sein même de chacune d’elles, de sorte à réduire les pouvoirs individuels et personnels ». Patrice Talon propose la suppression pure et simple de « l’implication et de l’influence du président de la République, dans la composition et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, de la Cour suprême, de la Haac ainsi que du Conseil supérieur de la magistrature ». Dans sa logique, c’est la seule issue pour garantir l’indépendance des différents pouvoirs, tels que la justice et la presse vis-à-vis du pouvoir exécutif. Au fait, on sait très bien que le mal qui ronge ces deux institutions est intimement lié au mode de désignation de ses membres. Ainsi, la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 114 de la Constitution, est « la plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle ». Et grave, ses décisions sont sans recours. Elle est composée de sept membres dont trois sont nommés par le chef de l’Etat et quatre par le bureau de l’Assemblée nationale, pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Le hic est que tout président de la République se donne pour ambition d’avoir une majorité à l’Assemblée nationale. Ainsi, dès que le chef de l’Etat est majoritaire, il contrôle de fait le bureau de l’Assemblée nationale. C’est lui alors qui nomme par procuration quand ce n’est pas directement, les sept membres de la Cour constitutionnelle. Ce fût le cas durant la sixième législature présidée par Mathurin Nago. Les sept membres de la Cour constitutionnelle dirigée par Robert Dossou, ont été désignés par le chef de l’Etat, et ceci près de trois mois avant la fin de la mandature de la Cour alors en fonction. A quelques nuances près, ce schéma s’est reproduit dans le cas de la Cour Holo. Et cette fois-ci le chef de l’Etat est même allé plus loin. La loi dispose que la Cour constitutionnelle comprend trois magistrats ayant une expérience de quinze années au moins. On y a vu un magistrat ne remplissant pas ces conditions, et qui a pourtant été nommé par le chef de l’Etat. Il a fallu une décision de la Cour constitutionnelle pour dénoncer cette violation flagrante de la Constitution. La Constitution définit également le profil des citoyens pouvant siéger à la Cour à titre de « personnalité ». Il est question de « personnalité de grande réputation professionnelle ». Durant la toute première mandature de la Cour constitutionnelle, ce fut Hubert Maga, « père de l’indépendance nationale », qui a siégé à la Cour à ce titre. Depuis, on est tombé bien bas. Il suffit de vérifier le parcours professionnel de celle qui siège aujourd’hui à la Cour à ce titre. En vérité, malgré les précautions prises par les textes, la Cour constitutionnelle est devenue un nid pour courtisans et militants adeptes de la courbette. Evidemment, ils sont redevables au chef de l’Etat pour leur nomination. Ne leur parlez donc pas du devoir républicain d’ingratitude vis-à-vis de celui qui les a nommés. Conséquence, notre Cour aujourd’hui est devenue une simple chambre d’enregistrement, au service du pouvoir exécutif. Au regard de son rôle vital pour la survie de notre Etat qui se veut de droit, les reformes proposées par Patrice Talon sont indispensables.
Une Haac, otage des politiques
Il est temps de rendre véritablement indépendante notre Cour constitutionnelle, tout comme il urge ici et maintenant, de rendre la Haac aux professionnels des médias. Car, ici aussi, les mêmes causes produisent les mêmes effets, et parfois même en pire. En effet, au-delà des trois membres qu’il est appelé à nommer, c’est le chef de l’Etat qui désigne ici le président de l’institution. Et il choisit toujours, au nombre de ceux qu’il a préalablement désignés, pour siéger au sein de l’institution. Conséquence, nous avons des présidents de la Haac qui sont à la solde du chef de l’Etat, surtout lorsqu’ils manquent de personnalité. On a aussi de « hauts conseillers » nommés ou élus par leurs pairs, qui prennent carrément des instructions au Palais de la République. Autant de facteurs ayant affaibli cette institution, dont une des missions est non seulement de « garantir et d’assurer la liberté de presse et d’expression », mais aussi et surtout de « veiller à l’accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication ». Il en résulte de nos jours, que nous avons une télévision nationale devenue instrument de propagande, exclusivement au service du chef de l’Etat. Aucun opposant n’y a droit. Comment alors ne pas applaudir des « dix mains », la révolution annoncée par Patrice Talon dans ce secteur ? L’indépendance de la presse est vitale pour l’Etat de droit. Celle-ci passe par l’indépendance totale des organismes en charge de sa gestion. La Haac est aujourd’hui prise en otage, par les politiques. Et le mélange entre élus de la presse et politiciens désignés pour leurs accointances avec le pouvoir, est des plus détonants. Il nuit même gravement à la crédibilité de cette institution. Tout comme le tabac à la santé. Vivement donc les solutions Talon !
Michel Tchanou (Coll)