Les députés de la 7ème législature se sont penchés, lors de la séance plénière du jeudi 20 août 2015, sur la levée d’immunité de Barthélémy Kassa, reconnu comme premier responsable dans l’affaire PPEA II. La session a été marquée par le rejet de la demande formulée par le président Boni Yayi par 45 voix contre 38. Quelques députés se sont prononcés avant et après le vote. Voici leurs propos.
Augustin Ahouanvoébla, député PRD : « Le groupe parlementaire PRD votera pour la levée de l’immunité parlementaire »
« Ce n’est pas à un ministre de la République d’aller voir un petit projet jusqu’à à la base. C’est à croire un instant qu’on ne comprend pas le fonctionnement administratif en république du Bénin. Il doit dire sa part de vérité sur la question. Monsieur le président, lorsque nous finissons de faire ce que nous faisons, je crois que le dossier reviendra. C’est pour cela, je le dis ici et maintenant, mon groupe parlementaire PRD, constitué de 10 députés, votera pour la levée de l’immunité parlementaire du collègue Barthélémy Kassa et va s’assurer que les choses se passent comme il le souhaite ».
Mathurin Nago, député FDU : « Il doit prendre l’immixtion de se faire écouter »
« C’est un dossier assez important pour la nation béninoise. C’est pour cela que je voudrais appeler votre indulgence pour que nous puissions en débattre le plus largement possible. Je voudrais d’abord rappeler que c’est le chef de l’Etat, le président Boni Yayi qui a sollicité la levée de l’immunité parlementaire de Barthélémy Kassa. Il l’a sollicité, suite à un conseil des ministres. A sa suite, le procureur général près la Cour d’appel de Cotonou nous a écrit toujours pour le même objectif. Le ministre de la Justice l’a également fait. Je dirai que c’est tout l’exécutif qui souhaite vivement cette levée d’immunité parlementaire. Par conséquent, en raison des éléments qui ont été évoqués dans toutes ces correspondances, il revient à l’institution parlementaire de jouer sa partition. Je voudrais dire à ce niveau qu’il ne nous est pas demandé de juger notre collègue. Il y a séparation des pouvoirs. Il y a l’instance judiciaire qui a le pouvoir d’auditionner, d’examiner les faits, d’accuser et de sanctionner. Jusqu’à nouvel ordre, notre collègue n’est pas accusé. Il n’est même pas poursuivi. Il est suspecté en raison d’un certain nombre de faits, comme d’autres cadres, et écouté par l’instance judiciaire. Le fait d’être suspecté amène l’instance parlementaire à lever l’immunité parce que c’est ce qui est exigé par les dispositions légales. Quand je me réfère de façon spécifique à certaines correspondances, il y a suspicion mais pas accusation. Notre collègue demeure présumé innocent. Il nous est demandé d’autoriser que le collègue soit écouté. Je souhaite vivement qu’il soit écouté, non pas nécessairement pour être accusé mais qu’il comprenne que c’est dans son intérêt qu’il doit être écouté. Il doit prendre l’initiative de se faire écouter puisque cette affaire a traversé les frontières. Il est important qu’il aille sauver son honneur et retrouver sa crédibilité. Cette affaire concerne aussi l’avenir de la coopération entre le Bénin et les Pays Bas. Nous devons donner une suite favorable à ce dossier pour sauver l’image de notre parlement ».
Rachidi Gbadamassi, député FCBE : « N’encourageons pas l’insertion de l’exécutif dans le judiciaire »
« Lever l’immunité d’un collègue ne pose aucun problème. En réalité, ce sont les questions qui soulèvent la procédure, qui devraient interpeler la conscience et l’intelligence de chaque député. Il se fait que, pour satisfaire des désirs inavouables, on veut violer les textes de notre constitution. A la suite de la déclaration des droits de l’homme et des citoyens de 1789 dans son article 16, je voudrais préciser que ce n’est pas à nous de décider de la culpabilité d’un collègue. Ce n’est pas notre rôle. N’oubliez pas que dans ce dossier, certaines personnes sont écrouées. Qui a pris la décision de les mettre en détention provisoire ? C’est bien le travail d’un juge d’instruction. A-t-il manifesté le besoin d’écouter le député Kassa ? C’est vous dire toute l’ambigüité que le Gouvernement entretient autour de cette affaire. Sur la base d’un prétendu rapport d’un cabinet d’audit qui n’est pas une instance judiciaire, on demande aux députés de lever l’immunité d’un collègue. L’affaire pendante, le juge d’instruction n’a pas fini et le Gouvernement a décidé d’influencer la décision d’un juge d’instruction. Au nom du principe de séparation des pouvoirs, nous ne devons pas accepter ça. Le rapport de ce cabinet est extrajudiciaire. Ce rapport est en contradiction avec la décision du conseil des ministres. N’encouragez pas l’immixtion de l’exécutif dans le judiciaire et dans le législatif. Tant que le juge d’instruction ne manifestera pas le désir d’écouter notre collègue, nous aurons violé le principe de séparation des pouvoirs en levant cette immunité ».
Idji Kolawolé, député UN : « Si vous empêchez l‘intéressé de s’expliquer, c’est l’instance parlementaire que vous rabaissez »
« Le respect des textes est la clé du développement de toute nation. L’opposition est consciente que nous, au niveau de l’Union fait la nation, nous avons toujours proposé aux FCBE que le non respect des textes est le rabaissement de l’institution. Il faut mettre fin à cela. Pour que la levée d’immunité soit réglée, nous devons nous demander, dans le cas précis, s’il s’agit d’une mesquinerie politicienne ou d’un harcèlement. Ce qui nous est demandé ici n’a pas pour fin d’empêcher le libre exercice du mandat que le peuple béninois a accordé à l’honorable Kassa. Nous devons dire non à cette gestion parce que nous connaissons tous le ministre Kassa. Nous savons que c’est l’un des fidèles parmi les fidèles du président Boni Yayi, et qu’il ne peut pas y avoir de mesquinerie à ce niveau. Ce n’est pas possible. Il ne s’agit pas de la levée d’immunité de l’honorable Candide Azannaï. Si c’était le cas, on se poserait des questions parce qu’on connait les différends entre ces deux responsables. En écartant cette idée de mesquinerie politicienne, on se demande ce qu’il y a lieu de faire. Je suis un ami personnel de Kassa. Je suis peiné pour lui, car je crois fermement qu’il est innocent. Si quelqu’un veut démontrer qu’il ne l’est pas, il faut qu’il en apporte les preuves. La présomption d’innocence est une chose absolument incontournable. Je suis convaincu que le ministre Kassa est innocent. Donnez-lui la possibilité de s’expliquer et de se dédouaner. Il y a déjà des cadres qui sont devant la justice et le ministre Kassa a des choses à dire au peuple. Permettez-lui de s’expliquer. L’opinion publique dit qu’il y a 8 milliards qui sont dilapidés au détriment du peuple béninois. Si vous empêchez l‘intéressé de s’expliquer, non seulement ce sont les députés qui seront rabaissés devant l’opinion publique mais aussi l’instance parlementaire, elle-même, et ce serait tragique pour notre institution. Permettons au ministre Kassa Barthélémy de s’expliquer. Nous n’avons aucune raison de penser que le président de la République veut livrer celui qui l’a servi aussi loyalement. Donnons-lui l’occasion d’être lavé de tout soupçon en le conduisant à la Haute cour de justice. La levée d’immunité ne lui interdira pas l’entrée à l’Assemblée nationale ».
Adam Bagoudou, député FCBE : « Mon groupe parlementaire demande le rejet »
« Nous savons que les états les plus transparents sont les plus fragiles. Nous sommes face à un état où tous luttent pour la bonne gouvernance. Le Gouvernement a joué sa partition dans cette affaire et nous sommes appelés, en toute indépendance, à jouer la nôtre. Le parlement devrait s’arrêter pour chercher de quoi il s’agit dans cette affaire. Nous avons tous les moyens de faire nos propres investigations d’autant que le Gouvernement actuel est en train de poursuivre les investigations à travers une descente sur le terrain pour voir ce que le cabinet Kroll n’a pas pu détecter. Ça veut dire qu’il y a encore beaucoup à faire pour conclure sur la levée d’immunité d’un parlementaire. Pour éviter la précipitation, nous devons rejeter d’abord cette demande. Mon groupe parlementaire va voter contre et demander à l’institution de s’organiser pour aller sur le terrain pour plus d’informations. Que le collègue Kassa qu’on veut bien voir aller dire sa part de vérité, elle sera dite, mais sous ordre. Je crois qu’on a tous les moyens pour agir, pour démontrer que le parlement béninois a pris sur lui la responsabilité de trouver des informations parallèles et contradictoires. Mon groupe parlementaire demande le rejet afin de mieux huiler notre argumentaire ».
Wallis Zoumarou, député ABT : « L’Assemblée ne doit pas être un frein pour la vérité »
« Il faut qu’on sache quelle doit être notre comportement par rapport à ce genre de chose. J’ai suivi ce dossier de bout en bout et je suis heureux qu’aujourd’hui on nous dise qu’on n’a pas traité le dossier selon les normes légales. Je ne m’associerai jamais à tout comportement qui frise l’irresponsabilité et qui disculpe les gens. Je crois qu’on ne vise pas à entraver la carrière de notre collègue. Nous devons faire en sorte que la vérité éclate. Le rapport est là et c’est de ça que s’est saisi le procureur pour mener ses démarches. C’est la justice qui est habilitée à dire si c’est bon ou pas. Celui qui est capable de faire la lumière sur l‘affaire est la justice et l’Assemblée nationale ne doit pas être un frein pour la vérité. Soyons responsables. Notre collègue va là bas pour être écouté. Il passera 48 heures puis 72 heures une autre fois mais il est toujours député. Pourquoi ne va-t-il pas le faire pour son honorabilité ? S’il ne va pas, on dira que ce sont les députés qui l’ont protégé. Moi, je ne veux pas être le dindon de la farce. Je veux que Kassa aille à la justice, qu’il soit blanchi et qu’il revienne parmi nous ».
Yaya Garba, député FCBE : « Ne mettons pas de la banalité dans ce que nous devons faire »
« Le dossier est vide, monsieur le président. Vous ne pouvez pas permettre que nous prenions des décisions sur la base des rumeurs. C’est sur des rumeurs que nous fonctionnons aujourd’hui, étant donné que l’institution n’a pas encore donné son mot. Les rapports obtenus sont tous contradictoires. Lorsqu’on apporte un cadavre et que les gens pleurent, ce n’est pas à cause du cadavre mais leur sort. Il est facile aujourd’hui de dire que Kassa va répondre et qu’il sera blanchi, mais à la place de Kassa, ils vont se défendre pour ne jamais aller là bas. Nous ne sommes pas des députés qui protégeons nos collègues. Ne permettons pas que la levée d’immunité soit aussi simple parce que demain, on reviendra sur d’autres aspects. Ne mettons pas de la banalité dans ce que nous devons faire ».
Abdoulaye Gounou, député FCBE : « Nous devons, entre nous, rejeter à l’unanimité cette demande»
« Regardons les choses avec la tête froide. L’immunité parlementaire est un moyen juridique pour assurer sa liberté dans l’exercice de ses droits. Si l’immunité est perçue comme un instrument de sécurité, je crois qu’on ne doit pas s’amuser avec. Il faut que la levée d’immunité soit sérieuse, sincère. Lorsque le rapport Kroll demande la levée, et qu’on écoute le Gouvernement, il y a trop de bruits pour rien. J’ai écouté le député Kassa et parcouru le document. On reproche à un ministre d’être impliqué dans une affaire dont il a signé l’arrêté. Aujourd’hui, c’est Kassa. Il faut qu’on dépassionne le débat. J’appelle les collègues à voir la réalité en face et laisser la politique. Nous devons, entre nous, rejeter à l’unanimité cette demande».
Candide Azannaï, député UN : « Yayi est corrompu, les membres de son Gouvernement le sont »
« Il ne faut pas voir en tout vote qui n’aboutit pas un échec. Nous sommes en politique et nous voulons une clarification. Il est clair que depuis le début de cette affaire, le président Boni Yayi rusait avec le peuple, avec les partenaires et même avec la corruption. C’est clair. Tout ce qu’il dit, c’est du pipo. C’est lui-même qui a instruit sa mouvance, pour aller dans ce sens. Il est le protecteur de la corruption, celui qui sert de refuge aux corrompus de sa majorité. Sa responsabilité est engagée dans le vote. Les partenaires au développement doivent savoir pourquoi la corruption s’est enracinée dans ce pays. Je dirai aussi que les contradictions, les brouillages, les tergiversations concouraient à ce jeu. Le collègue Kassa n’en est pour rien. La marmite est ailleurs et il en sera comme ça pour tous les autres dossiers de corruption. Il faut que ce régime parte parce que tant que le roi corrompu est là, personne ne trouve et ne mène à bien la lutte contre la corruption. Je suis un homme d’honneur et je n’accepterai pas qu’on fasse de confusion, des conséquences que je subis dans ma lutte pour la promotion de la démocratie et la préservation des droits, avec les corrompus et les actes de corruption. Je ne permettrai à personne de faire la confusion. Yayi est corrompu, les membres de son Gouvernement le sont et tous les partenaires le savent ».
Joseph Djogbénou, député UN : « Il faut d’enlever la Haute cour de justice »
« De la joie, sans doute, de la fierté, de la peine, sans doute et, quelques leçons à tirer. De la joie d’avoir, avec clarté, transparence et courage accompli l’acte que tous attendent de nous. Pour la première fois, je vote pour, pour une demande formulée par le président Boni Yayi. Et puis, dans un esprit que nul n’est au dessus de la justice. C’est là ma peine. Quelle que soit l’injustice, il faut la combattre. Aujourd’hui, parce que nous sommes députés, nous avons dans le réfrigérateur, une protection quasi-absolue selon laquelle nous ne pouvons même pas être interpellés. La peine, c’est cette discrimination qui consiste à voir certains, très tôt interpellés dans cette affaire, et qui sont devant le juge. Cette injustice inspire qu’il y a des réformes nécessaires. La première, c’est la réforme de la constitution. L’acte que nous venons de poser est un acte qui nous contraint à revoir notre position. S’il y a un pouvoir que Dieu pourrait m’inspirer, c’est d’enlever la Haute cour de justice. On ne construit pas un pays en créant des souches d’impunité, en creusant des souches d’injustice. Cette procédure nous a inspiré les questions de notre règlement intérieur. Nous allons rentrer avec beaucoup de peine à la maison et demain matin, affronter l’opinion et surtout notre conscience. Mais de ce point de vue, moi je rentrerai vraiment tranquille ».