Quarante députés de la mouvance présidentielle ont voté le jeudi 20 août dernier, à la surprise générale, contre la demande de levée de l’immunité du député Barthélemy Kassa formulée par le gouvernement du président Boni Yayi dans le dossier PPEA 2, pendant qu’il était ministre en charge de l’Eau.
En s’opposant à la requête du chef de l’Etat, les députés de la mouvance, loin de lui désobéir, pensent plutôt l’avoir sauvé d’un piège de l’opposition.
L’acte posé par les députés de la mouvance a provoqué l’indignation d’une large frange de l’opinion nationale et internationale qui voit à travers ce vote de soutien à BarthélemyKassa, une caution à l’impunité face à la détermination du chef de l’Etat à sacrifier ses collaborateurs d’hier sur l’autel de la moralisation de la vie publique. L’explication du vote de barrage des députés de la mouvance au pouvoir contre la demande du président Boni Yayi est néanmoins simple. Elle ne serait ni une défiance à l’autorité du chef de l’Etat ni un sabotage de la cohésion gouvernementale, encore moins une prime à l’impunité ou la mal gouvernance. Ce vote rejet sauverait Boni Yayi d’un certain nombre de pièges juridiques dans lequel le chef de l’Etat s’exposait dans ce dossier conduit sous la pression des partenaires néerlandais qui voulaient que certaines têtes tombent. Les députés FCBE et leurs alliés de la mouvance ont voté non, parce que la demande du chef de l’Etat telle que formulée violait directement plusieurs dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, en ce que celle-ci ne donne pas la qualification de l’infraction reprochée au député Barthélemy Kassa conformément à l’article 71.6. Dans le cas d’espèce, la demande de la levée de l’immunité introduite par le gouvernement ne qualifie pas l’infraction commise par le député Barthélemy Kassa. Selon la demande du chef de l’Etat, il faut lever l’immunité du député Barthélemy Kassa afin de lui permettre d’être écouté par l’officier de police judiciaire, toutes choses qui sont contraires au règlement intérieur de l’Assemblée nationale, notamment en son article 70 qui précise les cas dans lesquels on peut lever l’immunité parlementaire. En effet, l’immunité parlementaire peut être levée dans les cas ci-après :cas de délit ou de crime flagrant lorsque le député, auteur, coauteur ou complice de l’infraction poursuivie, aura déjà été ou non arrêté et détenu,cas de délit ou de crime lorsque des poursuites doivent être engagées contre le député, auteur, coauteur ou complice d’une infraction, cas de délit ou de crime, lorsque les poursuites engagées contre le député auteur, coauteur ou complice de l’infraction, sont provisoirement suspendues ».
Dans le cas d’espèce, la demande n’est ni sérieuse ni sincère
Dans le cas d’espèce, Barthélemy Kassa ne fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire et n’a pas été entendu par un juge d’instruction. Mieux, le gouvernement n’a annexé à sa demande aucune pièce basée sur l’accusation. Les conclusions du rapport de la commission Agbéléssessi, commission spéciale mise en place par l’Assemblée nationale chargée d’étudier la demande de la levée de l’immunité du député Barthélemy Kassa, sont formelles et sans ambiguïté : « Pour la majorité des commissaires, le caractère sérieux fait défaut à la demande du chef de l’Etat en ce que les griefs exposés à l’appui de la plainte ne mettent pas en cause un détournement de dénier public. D’une part, les actes qui ont été accomplis par Barthélemy Kassa relevaient de sa compétence ministérielle et au demeurant n’avaient fait l’objet ni de recours en annulation ni de décision administrative contraire du conseil des ministres qui est l’autorité hiérarchique. D’autre part, ces actes ne caractérisent aucun fait de détournement dans l’intérêt de l’intéressé. En ce qui concerne le caractère sincère et loyal de la démarche, la majorité des commissaires a relevé des arrière-pensées politiques. En effet, dans sa demande en date du 29 juillet 2015, le président de la République a saisi le président de l’Assemblée nationale aux fins de « permettre la reprise harmonieuse de cette coopération bénéfique aux populations entre les Pays-Bas et le Bénin ». Il en résulte que la levée de l’immunité procède d’une exigence politique et diplomatique d’une puissance étrangère et non, essentiellement, pour contribuer à une saine et sereine manifestation de la vérité judiciaire. Mieux, ces commissaires se sont interrogés sur le caractère parcellaire du rapport Kroll sur le député Barthélemy Kassa. C’est la raison pour laquelle, la majorité des membres de la commission spéciale considère que la demande de levée d’immunité n’est ni sérieuse ni sincère ni loyale, et mériterait rejet ». Finalement, lorsque l’on analyse le vote de rejet des députés FCBE et leurs alliés de la mouvance, il va de soi que cet acte s’appuie sur les conclusions de la commission spéciale présidée par un député de l’opposition dont les conclusions indiquaient clairement la voie à suivre : c’est-à-dire la voie du rejet. Les députés de la mouvance n’ont donc trahi ni le président de la République ni le peuple, mais ont tout simplement respecté le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, en faisant triompher le droit et la légalité sur la pression diplomatique et politique. Tous les députés interrogés à cet effet, qu’il s’agisse de Rachidi Gbadamassi, d’Adam Bagoudou, Yaya Garba, Abdoulaye Gounou, le sentiment d’indignation est unanime. Ce qui explique le rejet.
Tony Lohou