Jeudi 20 août 2015. Jeudi de toutes les incompréhensions des Béninois au sujet du rejet de la demande de la levée de l’immunité du député Barthélémy Kassa. Un rejet fortement soutenu par les députés de la mouvance présidentielle alors que c’est le Chef de l’Etat qui a formulé cette demande. Du coup, on se pose des questions sur la sincérité du camp présidentielle de combattre la corruption et l’impunité, cheval de bataille de Boni Yayi depuis qu’il est à la tête du pays. A cet effet, les députés de Yayi expliquent leur vote.
40 députés de la mouvance présidentielle, soutenus par cinq autres du camp d’en face ont rejeté la demande de l’immunité de leur collègue, Barthélémy Kassa. Une procédure qui devait permettre au député, à l’époque ministre de l’eau pendant que les malversations seraient perpétrées dans la gestion du Ppea II, d’aller se défendre devant la Haute cour de justice. Selon le camp présidentiel représenté au Parlement, ce vote n’est ni une défiance à l’autorité du Chef de l’Etat, ni un sabotage de la cohésion gouvernementale encore moins une prime à l’impunité ou la mal gouvernance. Mais, il sauve Boni Yayi d’un certain nombre de pièges juridiques dans lequel le Chef de l’Etat s’exposait dans ce dossier conduit sous la pression des partenaires néerlandais qui voulaient que certaines têtes tombent. Cette demande, se défend le camp présidentiel, viole plusieurs dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée nationale en parce qu’elle ne donne pas la qualification de l’infraction reprochée au député Barthelemy Kassa, conformément à l’article 71.6 qui précise : «cette décision ne s’applique qu’aux infractions pour lesquelles la levée de l’immunité parlementaire a été demandée». Les députés Fcbe et alliés se sont aussi appuyés sur les conclusions du rapport de la commission Agbelessessi, commission spéciale mise en place par l’Assemblée nationale chargée d’étudier la demande de la levée de l’immunité du député Barthelemy Kassa pour voter. (Voir les conclusions du rapport). Mieux, les honorables députés Fcbe brandissent l’article 70 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui précise les cas dans lesquels l’immunité d’un député peut être levée : «Levée de l’immunité «parlementaire peut être levée dans les cas ci-après :
cas de délit ou de crime flagrant lorsque le député, auteur, co-auteur ou complice de l’infraction poursuivie, aura déjà été ou non arrêté et détenu ;
cas de délit ou de crime lorsque des poursuites doivent être engagées contre le député, auteur, co-auteur ou complice d’une infraction ;
cas de délit ou de crime, lorsque les poursuites engagées contre le député auteur, coauteur ou complice de l’infraction sont provisoirement suspendues». (Lire les conclusions du rapport en page 4)
Les explications de vote de quelques députés Fcbe
Rachidi Gbadamassi, député Fcbe : «N’encourageons pas l’insertion de l’exécutif dans le judiciaire »
«Lever l’immunité d’un collègue ne pose aucun problème. En réalité, ce sont les questions qui soulèvent la procédure, qui devraient interpeler la conscience et l’intelligence de chaque député. Il se fait que, pour satisfaire des désirs inavouables, on veut violer les textes de notre constitution. A la suite de la déclaration des droits de l’homme et des citoyens de 1789 dans son article 16, je voudrais préciser que ce n’est pas à nous de décider de la culpabilité d’un collègue. Ce n’est pas notre rôle. N’oubliez pas que dans ce dossier, certaines personnes sont écrouées. Qui a pris la décision de les mettre en détention provisoire. C’est bien le travail d’un juge d’instruction. A-t-il manifesté le besoin d’écouter le député Kassa ? C’est vous dire toute l’ambigüité que le gouvernement entretient autour de cette affaire. Sur la base d’un prétendu rapport d’un cabinet d’audit qui n’est pas une instance judiciaire, on demande aux députés de lever l’immunité d’un collègue. L’affaire pendante, le juge d’instruction n’a pas fini et le gouvernement a décidé d’influencer la décision d’un juge d’instruction. Au nom du principe de séparation des pouvoirs, nous ne devons pas accepter ça. Le rapport de ce cabinet est extrajudiciaire. Ce rapport est en contradiction avec la décision du conseil des ministres. N’encouragez pas l’immixtion de l’Exécutif dans le judiciaire et dans le législatif. Tant que le juge d’instruction ne manifestera pas le désir d’écouter notre collègue, nous aurons violé le principe de séparation des pouvoirs en levant cette immunité».
Adam Bagoudou, député Fcbe : « Mon groupe parlementaire demande le rejet »
«Nous savons que les Etats les plus transparents sont les plus fragiles. Nous sommes face à un Etat où tous luttent pour la bonne gouvernance. Le gouvernement a joué sa partition dans cette affaire et nous sommes appelés, en toute indépendance, à jouer la nôtre. Le parlement devrait s’arrêter pour chercher à savoir de quoi il s’agit dans cette affaire. Nous avons tous les moyens de faire nos propres investigations d’autant que le gouvernement actuel est en train de poursuivre les investigations à travers une descente sur le terrain pour voir ce que le cabinet Kroll n’a pas pu détecter. Ça veut dire qu’il y a encore beaucoup à faire pour conclure sur la levée d’immunité d’un parlementaire. Pour éviter la précipitation, nous devons rejeter d’abord cette demande. Mon groupe parlementaire va voter contre et demander à l’institution de s’organiser pour aller sur le terrain pour plus d’informations. Que le collègue Kassa qu’on veut bien voir aller dire sa part de vérité, elle sera dite, mais sous ordre. Je crois qu’on a tous les moyens pour agir, pour démontrer que le parlement béninois a pris sur lui la responsabilité de trouver des informations parallèles et contradictoires. Mon groupe parlementaire demande le rejet afin de mieux huiler notre argumentaire».
Yaya Garba, député Fcbe : «Ne mettons pas de la banalité dans ce que nous devons faire»
«Le dossier est vide, Monsieur le président. Vous ne pouvez pas permettre que nous prenions des décisions sur la base des rumeurs. C’est sur des rumeurs que nous fonctionnons aujourd’hui, étant donné que l’institution n’a pas encore donné son mot. Les rapports obtenus sont tous contradictoires. Lorsqu’on apporte un cadavre et que les gens pleurent, ce n’est pas à cause du cadavre mais leur sort. Il est facile aujourd’hui de dire que Kassa va répondre et qu’il sera blanchi, mais à la place de Kassa, ils vont se défendre pour ne jamais aller là-bas. Nous ne sommes pas des députés qui protégeons nos collègues. Ne permettons pas que la levée d’immunité soit aussi simple parce que demain, on reviendra sur d’autres aspects. Ne mettons pas de la banalité dans ce que nous devons faire».
Abdoulaye Gounou, député Fcbe : «Nous devons, entre nous, rejeter à l’unanimité cette demande»
«Regardons les choses avec la tête froide. L’immunité parlementaire est un moyen juridique pour assurer sa liberté dans l’exercice de ses droits. Si l’immunité est perçue comme un instrument de sécurité, je crois qu’on ne doit pas s’amuser avec. Il faut que la levée d’immunité soit sérieuse, sincère. Lorsque le rapport Kroll demande la levée, et qu’on écoute le gouvernement, il y a trop de bruits pour rien. J’ai écouté le député Kassa et parcouru le document. On reproche à un ministre d’être impliqué dans une affaire dont il a signé l’arrêté. Aujourd’hui, c’est Kassa. Il faut qu’on dépassionne le débat. J’appelle les collègues à voir la réalité en face et laisser la politique. Nous devons, entre nous, rejeter à l’unanimité cette demande».