Comment faire du Port autonome de Cotonou le port le plus compétitif de l’Afrique et projeter l’industrie portuaire dans le long terme après les nombreux investissements consentis par le gouvernement et ses partenaires ? La question a retenu l’attention des participants à la journée de la renaissance du Port autonome de Cotonou organisée hier 1er septembre 2015 à Azalaï Hôtel de la Plage de Cotonou.
Placée sous l’autorité de M. Komi Koutché, ministre d’Etat chargé de l’économie, des finances et des programmes de dénationalisation qui avait à ses côtés son collègue Géro Amoussouga, chargé des OMD, cette journée a été celle des quatre vérités. La douane, les commissionnaires agréés en douane, les transporteurs, les importateurs, l’autorité portuaire, les manutentionnaires et autres acteurs n’ont pas porté de gants pour mettre le doigt dans la plaie. Autant qu’ils sont, ils ont reconnu que ça ne va pas au Port de Cotonou qui affiche une baisse inquiétante de son trafic, surtout entre 2014 et 2015.
Selon les statistiques avancées par le Général Charles Sèzan, Directeur général des douanes et droits indirects, la situation de mobilisation des recettes douanières au Port de Cotonou au 31 juillet 2015 affiche un gap de plus de 20 milliards de F Cfa. Sur une prévision d’environ 227 milliards de F Cfa, la douane n’a pu mobiliser que 206 milliards de F Cfa environ, affichant ainsi un taux d’exécution de 90,93 %. « Le poisson, les huiles, le riz…sont les produits les plus touchés par la baisse des volumes d’importation », a souligné le DG/Douanes qui a par ailleurs mis l’accent sur les réformes engagées par son institution.
Cette tendance baissière a été aussi confirmée par M. Samuel Batcho, Directeur général du Port autonome de Cotonou. Selon les chiffres avancés, le nombre de navires ayant accosté au Port autonome de Cotonou est passé de 263 au mois de mars 2014 à 132 pour le mois de décembre de la même année avec un taux mensuel de baisse de 6,5% sur la même période. Cette situation s’est aggravée en 2015. Le diagnostic des causes de cette contreperformance du Port de Cotonou montre qu’elles sont relatives aussi bien à la fiscalité pratiquée par la Douane qu’aux problèmes inhérents à la gestion portuaire. C’est en tout cas ce qu’ont souligné plusieurs autres acteurs portuaires (commissionnaires agréés, importateurs, manutentionnaires, transporteurs…). Ces causes, ont-ils ajouté sont à la fois exogènes et endogènes.
Comme facteurs externes de la contreperformance du Port de Cotonou, il y a la dépréciation de l’Euro par rapport au Dollar américain, la faiblesse de la valeur du Naïra par rapport au F Cfa, l’incertitude politique au Nigeria, la situation sécuritaire au Nord du Nigeria, la baisse des cours du pétrole et les mesures incitatives prises par le Nigeria pour encourager l’importation directe par ses ports.
Le couteau dans la plaie
Du point de vu des causes endogènes, les participants à la journée de la renaissance du Port de Cotonou ont véritablement remué le couteau dans la plaie. Chaque acteur portuaire a été mis devant ses responsabilités. De façon synthétique, on retient que les facteurs endogènes sont liés : au non accostage et appareillage des navires dans la nuit ( ce qui entraine des surcoûts) ; à l’occupation inutile des quais par certains navires ( ce qui occasionne l’arrêt des opérations de certains navires à partir d’une certaine heure) ; à l’absence des services de l’immigration, de la santé et de la douane aux réunions quotidiennes de placement de navire ( avec pour conséquence des pertes de temps inutiles) ; au coût élevé du tracking (environ 100.000 F Cfa) alors que le service n’est pas rendu ; au coût élevé des frais d’acconnage relatifs à l’enlèvement des marchandises (avec pour effets des frais d’enlèvement de marchandises élevés au Bénin : 157.000 F Cfa /conteneur 20 pieds) ; aux longs délais de remboursement des droits consignés au Trésor ; à la non révision du tarif des frais d’enlèvement des véhicules d’occasion en transit ; au prélèvement de 2000 F Cfa sur le Bfu des marchandises générales en transit ; à la suppression des crédits de droits et taxes pour l’enlèvement des produits pétroliers…Un accent particulier a été aussi mis sur les tracasseries policières sur les corridors béninois, l’insécurité des marchandises dans l’enceinte portuaire, l’absence d’éclairage sur la bande des 200 mètres, l’inexistence d’un dispositif efficace d’information à l’endroit des opérateurs économiques des pays de l’hinterland.
Déjà dans son intervention, le Directeur général du Port de Cotonou avait attiré l’attention des uns et des autres sur la brutalité des décisions qui sont prises par les autorités béninoises. Pour lui, il faut nécessairement qu’il s’observe un temps de latence entre la prise de ces décisions et leur mise en application de manière à pouvoir partager l’information avec les clients du Port qui, très souvent, sont surpris par lesdites décisions.
« Tout doit être mis en œuvre pour que l’industrie portuaire béninoise soit projetée sur le long terme ». C’est en tout l’appel lancé par l’un des principaux acteurs portuaires participant à ce grand rendez-vous.
Tout en remerciant le gouvernement pour tous les efforts qui ont été consentis jusque-là, M. Agoli Agbo a, au nom des transporteurs appelé le gouvernement du Dr Boni Yayi à se pencher sur le respect harmonisé du Règlement 14 de l’Uemoa relatif aux charges des camions à l’essieu. Il est aussi revenu sur les tracasseries que subissent les transporteurs sur les corridors béninois. Pour lui, il est temps que les mesures prises par le gouvernement et qui sont relatives à la réduction des postes de contrôles soient enfin respectées car sans cela, le Port de Cotonou ne sera jamais compétitif.
Les grands défis à relever
L’attention des participants à cette journée de réflexion a été attirée par le ministre Komi Koutché sur les grands défis à relever dans le très court terme. L’un de ces défis réside dans le sort qui sera réservé aux conclusions des travaux de cette journée de la renaissance portuaire.
Pour ce qui est de l’avenir donc de ces conclusions, le ministre Komi Koutché a rassuré les uns et les autres. « Ce serait dommage et dommageable pour nous de venir nous asseoir ici toute une matinée et qu’après, cela ne soit suivi d’une suite. Nous allons donc en ce qui nous concerne, au regard des éléments du contexte liés à l’entrée en vigueur du TEC/Cedeao et des Accords de partenariats économiques, à la politique protectionniste du Nigeria, à la part du secteur des services dans la réalisation du PIB, tout mettre en œuvre pour que les conclusions de notre séance de réflexion deviennent immédiatement exécutoire. Tout ce qui sera fait sera assorti de délais. Au tout prochain conseil des ministres, un compte rendu sera fait au gouvernement pour que les mesures prises deviennent une décision du gouvernement…Ceci bien entendu viendra compléter tous les efforts que le Chef de l’Etat déploie pour la plateforme portuaire depuis son accession au pouvoir », a dit le ministre Komi Koutché qui a appelé les uns et les autres au patriotisme économique. « Pour suivre l’exécution des décisions issues de la journée de réflexion, un comité paritaire composé d’acteurs portuaires et de représentants de l’Etat central (à raison de sept personnes par groupe) sera mis en place », a poursuivi le ministre d’Etat en charge des finances. Les moyens conséquents seront mis à la disposition de ce comité qui sera institué par décret pris en conseil des ministres. Il devra rendre compte mensuellement pour évaluer la mise en œuvre millimétrée des solutions retenues pour projeter l’industrie portuaire béninoise dans le long terme.
Affissou Anonrin