Le phénomène de vidomègon (enfant placé) a la peau dure au Bénin. En dépit des campagnes de sensibilisation pour l’enrayer, le pays n’en est pas encore arrivé à bout. Emmanuel Sambiéni, sociologue, aborde la question ici en expliquant les déterminants de ce phénomène avant de souligner le rôle des parents et de l’Etat pour y mettre fin.
La Nation : Pourquoi le Bénin peine-t-il à enrayer le phénomène de ‘’vidomègon’’ en dépit des efforts des acteurs de protection des enfants ?
Emmanuel Sambiéni : Plusieurs facteurs expliquent la persistance du phénomène de vidomègon au Bénin. Le plus important est celui de la tradition de socialisation des enfants par tutorat dans les rapports de parenté. L’enfant est confié à un membre de la grande parenté, en fonction des besoins du membre (par exemple une sœur ou une tante qui n’a pas fait d’enfants et qui en a besoin pour l’appuyer dans les travaux domestiques) ou de l’enfant (dont les parents sont vraiment démunis). Le tuteur le considère exactement comme son propre enfant et le traite avec humanité. Cette forme traditionnelle de socialisation s’est transformée de deux façons: soit l’enfant est confié à un parent qui ne le garde pas comme son propre enfant; ou encore il est gardé par un tuteur qui n’est pas son parent et qui doit ou devrait le payer pour ses services. Ces deux cas s’écartent du modèle initial. En fonction des facteurs psychosociologiques des familles de l’enfant et du tuteur, les conditions de vie de l’enfant placé sont douces ou dures. Depuis quelques années, les membres du couple (homme et femme), proviennent d’horizons géographiques et culturels très différents (un peulh peut se marier à une éwé). Dans ces conditions, l’enfant venant de la famille de l’un ou de l’autre retrouve un membre de la seconde famille qui n’a aucun rapport de parenté avec lui, et qui parfois le trouve dérangeant dans la vie du couple. Un neveu de l’époux peut par exemple être soupçonné de donner des informations sur l’épouse à son oncle toujours absent. Dans ce cas, l’épouse le vit comme un ennemi, il en subit les conséquences. C’est dire que le phénomène survit dans un contexte familial qui a changé. Les changements du contexte familial sont de plusieurs ordres (rapports de parenté, statut professionnel des membres du couple, profil d’instruction des tuteurs et de l’enfant, etc.). Autant de facteurs qui contribuent à la récurrence du phénomène au Bénin.
Les réalités socio-culturelles sont souvent mentionnées comme facteurs favorisant encore le phénomène dans certaines régions du pays. Que faire pour amener les chefs traditionnels à prendre conscience des dangers qui guettent les victimes et leurs familles en vue de mettre un terme à ce phénomène qui hypothèque l’avenir des enfants, notamment des filles?
Il faut retenir que ce phénomène n’a pas que des conséquences douloureuses. Il a permis à bien d’enfants d’hier d’être des hommes de bonne position sociale aujourd’hui. Les familles dans les espaces ruraux continuent de faire des enfants sans tenir compte de leurs besoins et capacités à satisfaire à leurs besoins et droits (santé, école, nourriture, etc.). Pour corriger cette insuffisance structurelle, le phénomène de tutorat des enfants aux familles qui ont les moyens (et qui parfois ont peu ou pas d’enfants) aura toujours son utilité. Mieux, les principaux acteurs de ce phénomène dans les milieux de départ des enfants ne sont pas ou plus les chefs traditionnels car les changements de contextes sociopolitiques et culturels ne permettent plus à ceux-là d’avoir une influence sur les ménages ou les familles dans la socialisation des enfants.
Voulez-vous dire qu’on ne peut pas bannir le phénomène ?
Les principaux acteurs sur qui des interventions de conscientisation doivent être faites sont les parents directs des enfants (le père et la mère). Les seconds acteurs sont les familles d’accueil. Pour les uns, il faut communiquer sur les souffrances de leurs enfants et pour les autres, il faut veiller à l’information sur les droits des enfants. Le plus souvent, les familles d’accueil et de maltraitance ont un grand accès à la communication de masse (radio, télévision, presse écrite). Mais pour les premiers, il faut faire passer la communication interpersonnelle : cibler des espaces de forte provenance et organiser de petites réunions d’explications illustrées des conditions de vie de leurs enfants dans les familles de tutorat.
La pauvreté est souvent invoquée par les parents qui confient leurs enfants comme facteur favorisant le phénomène ? Quelle devrait être la responsabilité non seulement des parents, mais aussi de l’Etat ?
Les parents doivent d’abord être informés des conditions drastiques de survie de leurs enfants dans les ménages d’accueil d’une part. Ils doivent être progressivement amenés à faire des enfants sur la base des capacités structurelles de satisfaction de leurs besoins de base et d’instruction.
En ce qui concerne l’Etat, il doit renforcer les moyens d’actions des services de protection sociale et de sécurité (centre de promotion sociale, gendarmerie, police, etc.).
La société n’est-elle pas en partie complice, du fait de la non-dénonciation des victimes ? Que faire pour changer la situation à ce niveau ?
Il ne revient pas à un individu de dénoncer les conditions de vie d’un enfant dans un ménage voisin. Il n’en a pas le droit. Il revient à l’Etat de mettre en place des détectives fonctionnelles. Si ces détectives sont fonctionnelles et bien connues, les enfants eux-mêmes, pour la plupart, pourront se plaindre.
Une chose est de dénoncer, l’autre est d’appliquer la loi. Or, au Bénin, les textes favorisant l’épanouissement des enfants souffrent encore d’une mise en application effective et correcte. Que faire dans ce sens ?
Les textes en vigueur sont connus de quelques services publics. Mais ces services n’ont pas les moyens de leur vulgarisation et de leur application. Le grand responsable reste encore l’Etat. Si on prenait le problème des enfants comme on prend la filière coton, tous les Béninois en auront eu l’information. Et pourtant, l’enfant est plus rentable que le coton pour notre économie. Et les psychosociologues disent que «l’enfant est le père de l’homme».
Comment faire comprendre à la société que la maltraitance des enfants, notamment le phénomène de ‘’Vidomègon’’ constitue une violence non seulement sur les victimes, mais également sur leurs génitrices ? Autrement, comment établir la relation de cause à effet’’ fille-mère’’ pour sensibiliser davantage les populations sur le phénomène des violences faites aux femmes et aux filles (VFF) ?
Il faut d’abord faire comprendre au public, que contrairement à la vieille conception, l’avenir de l’enfant n’est pas seulement dans ses rapports moraux à la société. Il est aussi dans sa pro activité, dans ses réflexes pragmatiques et dans l’acquisition de compétences techniques pour l’emploi. Toutes ces conditions nécessitent qu’il trouve le temps dans le jeune âge pour faire face à l’école, aux jeux et aux loisirs. Elles nécessitent aussi que son ‘’moi’’ soit protégé et taillé avec délicatesse. Il ne faut le hacher mais le tailler comme le gazon domestique.
Maryse ASSOGBADJO