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La Nation N° 5816 du 5/9/2013

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Me Sadikou Ayo Alao : «Une Constitution doit nourrir le développement»
Publié le jeudi 5 septembre 2013   |  La Nation




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Avocat au barreau de Cotonou puis fondateur et principal animateur du Groupe d’études et de recherche sur la démocratie et le développement (GERDDES-Afrique), Me Sadikou Ayo Alao plaide pour le toilettage des Constitutions dans les pays d’Afrique francophone afin de les tailler à la mesure de nos réalités culturelles et sociologiques. C’est le plaidoyer qu’il fait dans son nouvel ouvrage intitulé «De la nécessaire relecture de nos Constitutions en Afrique francophone» tiré sur les presses de l’Office national d’Imprimerie et de Presse (ONIP). Dans cette interview, l’auteur défend sa position et croit apporter sa contribution au débat relatif à la révision de la Constitution au Bénin.

Propos recueillis par Thibaud C. NAGNONHOU

La Nation : En 1998, vous publiez «Urnes et gouvernance en Afrique ». Treize ans après, vous lancez l’ouvrage intitulé «De la nécessaire relecture de nos Constitutions en Afrique francophone». Votre conviction n’a pas changé sur la démocratie qui doit nourrir le développement avec comme lubrifiant, la Constitution.

Me Sadikou Ayo Alao : Absolument, «Urnes et gouvernance en Afrique» traduisait déjà une manière orthodoxe propre à l’Afrique de gouverner pour que nous allions vers le développement. Ce n’est pas un accident de parcours si je publie aujourd’hui «De la nécessaire relecture de nos Constitutions en Afrique francophone». Il faut se souvenir que nous avons hérité aux lendemains de la colonisation, la veille de nos indépendances, des textes constitutionnels qui étaient à la mode. C'est-à-dire qu’il fallait quelque peu ressembler aux colons puisque c’était des indépendances octroyées où il fallait être en phase avec le pays colonisateur à travers les institutions. Il ne faut tellement pas blâmer les constitutionnalistes de l’époque qui ont eu sur les bras, un modèle de Constitution, celle de la France. La difficulté, c’est que le modèle français n’est pas applicable dans nos pays. Ce n’est pas le même peuple, ce n’est pas le même environnement, et nous n’avons pas des institutions toutes prêtes pour assurer la relève de certaines défaillances ou carences constitutionnelles comme dans les vieilles démocraties. Mieux, c’est des Constitutions trop modernes pour les moyens dont nous disposons. Nous devons assumer notre indépendance. Nous devons nous assurer que nous produisons ce qui permet à nos institutions de vivre et à notre peuple de se développer. Nous ne pouvons pas faire des Constitutions pour que l’on constate qu’à leurs lendemains il faille tendre encore la main à droite et à gauche, pour que les institutions survivent. Nous avons des tas d’exemple. Le premier acte de souveraineté que sont les élections, nous n’avons pas réussi à mettre des structures électorales adaptées en place pour nous permettre de les financer. Nous en avons beaucoup et des élections surabondantes qui se chevauchent. Nous avons des exemples tous les jours où nous sommes obligés de reporter chaque fois ces élections.

Que faire ?

Il faut faire une introspection, lire nos peuples, leurs besoins culturels. Que les pouvoirs traditionnels qui régissent certaines régions ne soient pas en marge de la Constitution, du processus démocratique et de la gouvernance. Il en est de même pour le découpage administratif c'est-à-dire les collectivités territoriales. Il faut faire en sorte que tous ceux-là soient intégrés à l’endroit où les débats se font. Il faut faire en sorte aussi que soit représentée notre Société civile qui est marginalisée par la Constitution, contrairement à nos traditions qui ne connaissent pas les partis politiques mais plutôt les groupes socioprofessionnels qui défendent leurs intérêts à travers la gouvernance autour des anciens rois. Aujourd’hui, le roi c’est le président de la République, le roi c’est l’Assemblée nationale. A ces endroits-là, le peuple doit être représenté. Et les élections à l’occidental ne permettaient pas la représentation de ces groupes socioprofessionnels au Parlement. Car, c’est une affaire d’argent.

Que propose votre ouvrage ?

Il faut prendre secteur par secteur. Nous disons qu’au Parlement d’abord, il faut une représentation qui conduit vers le développement. Et pour le faire, nous avons eu un passé avec le Parti de la Révolution populaire du Bénin (PRPB) qui a essayé d’inventer quelque chose. On a jeté le PRPB avec l’eau de bain. Le PRPB avait bien préconisé une représentation populaire c’est-à-dire les représentants du peuple élus au suffrage direct au Parlement comme ce que nous avons aujourd’hui. A côté de ces élus au suffrage direct, il y a les représentants des couches socioprofessionnelles qui sont au Parlement. Il y a les communes, les syndicats, les associations de développement, les associations de jeunes et de femmes, les religieux et le pouvoir traditionnel. Si tous ces groupes socioprofessionnels peuvent être représentés au Parlement, à travers une représentation indirecte, nous nous rapprocherons de la gouvernance et du développement. Parce que ces groupes iront rendre compte à leurs mandats, contrairement aux politiciens de ce qui s’est décidé, de ce qui doit être décidé ou de leurs souhaits. Dès lors, on fera la fusion du Conseil économique et social (CES) et le Parlement actuel de manière à avoir une représentation plus démocratique de toutes les couches socioprofessionnelles du pays. Surtout les communes et les chefferies traditionnelles, des pôles de développement, elles doivent y être pour influencer et rendre compte aux populations à la base.

Avec une telle réforme, y a-t-il pas risque qu’on ait un Parlement d’illettrés ?

Ne nous leurrons pas. Nous ne serons jamais des Français même si la langue française reste éternellement notre langue de travail au détriment de nos cultures. D’ailleurs, la conjoncture internationale nous le rappelle tous les jours. Nous sommes des Africains et singulièrement des Béninois. Nous devons nous organiser dans ce cadre pour valoriser certaines de nos langues parlées par la majorité pour qu’on en arrive à ce que tout le monde comprenne trois ou quatre langues. Et celles-ci doivent être parlées au Parlement. Cette réforme constitutionnelle demandera seulement le coût des traducteurs et des interprètes.

Quelles sont vos propositions au niveau du gouvernement ?

L’on reproche souvent aux Exécutifs africains d’être trop forts. C’est à cause des carences de nos Constitutions. Par exemple, nos Constitutions n’ont jamais limité le nombre de postes de ministères que le gouvernement doit avoir.
Or, on peut facilement limiter, par exemple le gouvernement à 12 minutes compte tenu de nos moyens et de nos réalités d’aujourd’hui. Si la conjoncture économique impose d'en créer de nouveaux, on va devant le Parlement pour se justifier. Il y a de grandes institutions comme l’Armée, les Finances, la monnaie. On peut poser des règles. Une fois que celles-ci sont posées et si on veut les dépasser, la transparence de la gouvernance exige que le gouvernement aille au Parlement pour donner les motivations de son initiative. Cela existe au Ghana et dans d’autres pays. Au Bénin comme dans les autres pays francophones d’Afrique, la Constitution n’a pas prévu de normes qui encadrent la gouvernance. Ce qui fait qu’on trouve des chefs d’Etat forts, des chefs d’Etat autoritaires. Ce sont les textes qui leur permettent d’être forts et de ne pas recourir à la représentation populaire pour approuver leurs décisions. Ce n’est pas la faute du gouvernement mais ce sont les Constitutions qui sont très faibles.

A vous entendre, vous êtes pour un Exécutif faible et un Parlement fort ?

Ce n’est pas forcément cela. Jusqu’à présent, on parle de gouvernement fort et de Parlement faible. Mais le nouveau Parlement que nous proposons n’est pas le Parlement actuel. C’est le Parlement composé des élus au suffrage direct, qu’on ne peut plus corrompre pour avoir des décisions. Et en même temps, à côté d’eux, on aura des forces populaires qui sont aussi parlementaires.
Avec ce type de Parlement, on aura un peuple fort dont la marque transparaîtra à travers toutes les décisions politiques.

Que dire du pouvoir judiciaire, le troisième pilier de la démocratie ?

Le pouvoir judiciaire restera en place. Mais il faut aujourd’hui le reformer. Nous constatons aujourd’hui, que nous avons un pouvoir judiciaire, je ne dirai pas pléthorique, mais avec des têtes de pont trop nombreuses et trop coûteuses. On peut aboutir au même résultat sans avoir nécessairement une Cour suprême, la plus ancienne institution, une Cour constitutionnelle, une Haute cour de Justice et bientôt une Cour des Comptes. Il y quelques années derrière nous, c’était des chambres de la Cour suprême. Qu’est-ce qui empêche d’avoir toujours ces chambres mais renforcées de manière à ce, lorsqu’il y a des décisions importantes surtout constitutionnelles à prendre, que toutes les chambres se réunissent. Nous n’avons pas les moyens de ce que nous créons. La Cour constitutionnelle d’aujourd’hui coûte plus cher que l’ancienne Cour suprême. Sans parler de ce que coûte elle-même, la Cour suprême d’aujourd’hui sans parler de la Haute cour de Justice et bientôt la Cour des Comptes. Nous pouvons faire des économies dans tous ces domaines.

Et le cas des partis politiques ?

Les partis politiques ne sont pas dans nos cultures. Et ce n’est pas surprenant que nous ayons aujourd’hui des partis politiques, fonds de commerce. Les compatriotes ont compris que les partis politiques sont créés juste pour se faire de l’argent. Ce qui dévalorise la démocratie et la gouvernance. Notre Constitution a fait une erreur grave en imposant le pluralisme politique intégral comme en France. Nous pouvons faire marche arrière. Soit que nous limitons d’autorité le nombre de partis politiques, soit nous faisons comme le Ghana en imposant des normes qu’il ne peut pas y avoir plus de deux ou trois partis politiques qui doivent être présents non seulement dans les communes, dans les villages mais avec des bureaux effectifs et des militants importants pour diriger la politique locale. Et tous ces partis doivent être placés sous le contrôle de la Commission électorale qui doit être un pouvoir neutre. Et notre Commission électorale national autonome qui doit être légère, reviendra moins chère parce qu’elle sera placée à côté des institutions administratives et bénéficiera de leurs équipements et de leurs moyens professionnels pour la révision permanente des listes électorales sans être obligée de coûter des milliards de francs CFA. Il faut une administration électorale légère et représentée au niveau de chaque commune, pour tenir à jour et en permanence les listes électorales.

Toutes ces réformes ne peuvent être faites sans la révision de la Constitution ?

C’est dans le cadre de la révision de la Constitution. L’ouvrage est notre contribution pour une bonne révision constitutionnelle. Peut-être, on se demandera si on doit mettre en place l’ensemble de ces réformes en même temps. Il appartient aux uns et aux autres de vérifier la pertinence des propositions, de les améliorer au besoin car, il ne s’agit pas des propositions à la carte. C’est le fruit de certaines réflexions qui méritent d’être perfectionnées de manière à ce que, dans un délai plus ou moins raisonnable, nos pays connaissent la démocratie et la bonne gouvernance.
Par rapport à l’actualité, il faut retenir que par principe, toute Constitution est révisable. Mais elle doit l’être de manière consensuelle. S’il n’y a pas de consensus, il faut que les juristes proposent des normes pour contenir chaque révision constitutionnelle dans les limites du consensus. Ici, on parle de changement de République. Nous savons tous que l’initiative populaire, aussi noble soit-elle, ne peut pas conduire à une révision opportuniste de la Constitution où au maintien de quiconque au pouvoir. C’est tellement facile à écrire et à mettre dans le projet de Constitution, qu’on se demande pourquoi on gaspille tant d’énergie et d’argent pour ne pas faire cette proposition et mettre fin aux polémiques ambiantes actuelles.

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