Expression libre
21 Septembre 2015
Milliards f CFA et miroirs aux alouettes
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(Par Roger Gbégnonvi)
A peine en avions-nous fini avec les milliards du PPEA2 que voici les milliards de la toute jeune CENA, suivis immédiatement des milliards du MCA sur fond des milliards des deux banques équato-guinéenne et marocaine. Si ce n’est pas une pluie de milliards (quelques-uns sont annoncés volés) qui nous est tombée dessus au Bénin en l’espace de quatre semaines, ça y ressemble très fort. Quatre remarques s’imposent pourtant afin que la ressemblance reste raisonnable pour que les honnêtes citoyens ne s’y trompent pas.
La première remarque est d’ordre linguistique et historique. Dans nos langues nationales, il n’existe pas de mot pour dire le million. Il s’ensuit que le million représente quelque chose de faramineux. Or, après la drastique dévaluation du franc CFA en 1994, les comptes publics sont passés allègrement du million au milliard. Là où, d’incrédulité, l’innommable million vous faisait plisser le front et cligner des yeux, l’innommable milliard vous place au bord de l’évanouissement, et vous devez vous accrocher, pour ne pas tomber, au premier arbre à portée de main. ‘‘Que font-ils, mon Dieu, avec tout l’argent du monde ?’’
La deuxième remarque est d’ordre psychologique. Elle a trait au trouble créé en vous par la question précédente, trouble renforcé par le ballet hallucinant des milliards investis, des milliards volés, des milliards disparus sans trace. Vous vous efforcez de comprendre, de visualiser l’invisible défilé monstrueux, et cette tension vous place au bord de la folie en plus d’éveiller en vous des sentiments pas chrétiens d’envie et de jalousie. Des milliards passent à côté de vous, au-dessus de vous, et vous n’en captez même pas l’ombre. Que Dieu aille au diable ! Car l’enchaînement envie-jalousie-folie vous place au bord du blasphème.
La troisième remarque est de l’ordre de ‘‘la vérité, l’âpre vérité’’, au sens justement de ce que l’enchaînement ci-dessus évoqué vous impose d’intégrer, savoir que les milliards inimaginables ne sont de toute façon pas pour vous. Si, un peu quand même. Mais quand ‘‘nos partenaires au développement’’ auront envoyé au gouvernement des bien importés contre les milliards énoncés, quand les voleurs locaux auront renfloué leurs comptes à l’étranger avec les bakchichs à 10% revus récemment à la hausse à 30%, ce qui vous en restera, à vous personnellement, relève du symbole, un symbole qui frise le mirage.
La quatrième remarque reprend et explicite la précédente. Elle a trait au syndrome du mirage. Vous le voyez, vous y croyez, vous y courez, mais plus vous vous en approchez et plus il s’éloigne. ‘‘On désespère alors qu’on espère toujours.’’ Mais le désespoir finit par l’emporter. La grosse frustration qui découle de la déception peut vous faire basculer pour de bon dans la folie. Mais pour espérer encore et toujours,vous choisissez la révolte.
Voilà pourquoi les voleurs de milliards doivent savoir quand même raison garder, s’ils n’ont pas perdu la raison et tout sentiment humain. Par ailleurs, sur la base des quatre remarques ci-dessus et d’autres, qui ne sont pas ici listées, les marchands d’illusionsdoivent veiller à ne pas faire dans l’exagération. Annoncer, euphorique, sur le tarmac d’un aéroport que le Millenium Challenge Account est redescendu chez nous avec des milliards, que deux banques descendront chez nous avec des milliards, voilà qui risque de faire croire que ‘‘ça y est, le développement est enfin arrivé’’. C’est faux et l’on n’a pas le droit de le faire croire.
Le mirage, c’est aussi le miroir aux alouettes. L’oiseau y croit tellement qu’il s’en va, à vive allure, s’y briser. L’oiseau, ici, c’est la population qui trime au quotidien pour un revenu de misère. Il n’est de l’intérêt de personne qu’elle aille se casser le nez contre le miroir des milliards : elle se retournerait, et ce serait, dans la cité, la colère déchaînée.Quand donc vous lui parlez de milliards, veuillez lui en parler de façon responsable. Merci beaucoup.