Depuis des années, il est au devant de la lutte pour de meilleures conditions de vie et de travail aux agents de l’Etat, surtout ceux du secteur éducatif. Noël Chadaré, puisque c’est de lui qu’il s’agit est professeur de français au Ceg Godomey, Sg du Syndicat national des enseignements secondaire, technique et professionnel et Secrétaire général de la Confédération des Organisations syndicales du Bénin (Cosi). A sa rencontre à son bureau à la bourse du travail, il a été non seulement question des actions à poser par le gouvernement pour que la prochaine année scolaire ne soit pas perturbée, de la gouvernance sous Boni Yayi mais aussi de ses attentes après la présidentielle de 2016.
Bientôt, c’est la rentrée des classes. Dites-nous, quelles sont les exigences des syndicalistes posent pour une rentrée apaisée ?
Ce que nous attendons comme condition minimale, c’est que le gouvernement respecte les engagements qu’il a pris avec les centrales syndicales. Nous l’avons suffisamment martelé. Il y a eu des négociations durant l’année scolaire dernière et le gouvernement a pris des engagements tels que : accorder 10.000 Fcfa de prime transitoire et apprêter le statut particulier des enseignants de la maternelle, du primaire et du secondaire au plus tard le 30 septembre 2015. Ce sont les deux points majeurs que nous attendons du gouvernement. Le premier point est respecté par le gouvernement parce que les enseignants ont perçu les 10.000 F de prime transitoire sur leurs salaires. Nous attendons le second point qui concerne le statut particulier des enseignants de la maternelle, du primaire et du secondaire. Je crois qu’actuellement, le comité paritaire de la fonction publique est en train de statuer sur ces statuts. Ils ont fini pour l’enseignement secondaire. Le comité reprendra ses travaux le 23 et abordera le volet concernant l’enseignement primaire. On espère que, quand ils auront fini et transmettront les conclusions de leurs travaux, le gouvernement prendra les décrets subséquents à ces statuts particuliers. C’est le minimum. En dehors de ça, il y a aussi des revendications catégorielles. Nous attendons aussi du gouvernement de faire un pas pour les collègues vacataires qui sont dans une situation de précarité. C’est une chose qui ne rend pas service à notre système éducatif puisqu’ils sont les plus nombreux et tiennent le système debout. Ils ont besoin de formation, d’être recrutés et fixés quelque part au lieu de faire ce nomadisme professoral qui constitue un inconvénient pour le système. A cela s’ajoute le contrat pour les agents de l’Etat recrutés pendant l’année scolaire 2014-2015 et qui n’ont pas encore leur contrat. Nous attendons aussi que les actes administratifs concernant ses contractuels soient pris. Il y a aussi les actes administratifs qui concernent les enseignants de la maternelle, certains éducateurs qui, depuis des années, n’ont pas encore leur contrat. Ils travaillent comme des esclaves et ne sont pas rémunérés. Ils n’ont pas de contrat qui atteste qu’ils sont des agents de l’Etat. Il y a déjà des voix qui montent à l’approche de la rentrée scolaire. Il faut donc régler la situation administrative des collègues qui sont dans l’attente de leur contrat. Par exemple, il y a des gens qui sont reversés en 2006 et qui attendent toujours leur contrat. En somme, premièrement, il faut finir avec les statuts particuliers, sortir les décrets subséquents, régler les problèmes d’ordre administratif qui ne coûtent rien à l’Etat puisque cela est déjà prévu dans le budget pour éviter que les gens soient sans contrat et travaillent sans salaire. Et deuxièmement, éviter la frustration des vacataires puisqu’ils ont le sentiment que tout le monde travaille et gagne quelque chose et eux ne gagnent rien. Voilà ce qu’on attend pour que la rentrée scolaire ne soit pas perturbée.
Selon vous, est-il encore opportun de revendiquer des avantages auprès d’un gouvernement finissant ?
L’Etat est une continuité. Si le gouvernement finissant prend un engagement, ceux qui viennent vont continuer sur cette lancée. Le départ du gouvernement n’est donc pas la fin des revendications. Il faut continuer de réclamer et le gouvernement finissant prendra des engagements que ses successeurs vont perpétuer. J’insiste sur le fait qu’il n’y a pas de moment propice pour revendiquer. Tous les moments sont bons, pourvu qu’on y mette la manière.
Pourquoi n’attendez-vous pas carrément le prochain gouvernement ?
Il ne faut même pas attendre le prochain gouvernement. Le gouvernement finissant a pris des engagements qu’il doit respecter. Ils font des efforts déjà. On a constaté les 10.000 F de prime transitoire sur les salaires, et les collègues nous ont félicités pour ça. Nous continuons toujours de mettre la pression pour que le statut particulier soit en de bonne voie. Et si l’Etat ne respecte pas ses engagements, il n’y aura pas de rentrée. La situation sera difficile à maîtriser parce que les enseignants n’attendent que ça. Et je crois que le gouvernement aussi doit comprendre qu’il y a un effort à faire pour que les actes administratifs nécessaires soient pris.
N’est-ce pas une manière de faire souffrir les parents d’élèves ?
Moi, je suis de nature optimiste. Cela ne veut pas dire que la rentrée n’aura pas lieu. Si le gouvernement ne fait pas d’effort, on ne dira pas qu’on fait souffrir les parents d’élèves. Les parents d’élèves doivent aussi jouer leur partition. Si entre le gouvernement et les syndicats, il y a des problèmes, ils doivent jouer le rôle d’interface. Ce n’est pas la dernière minute qu’il faut attendre pour dire qu’on fait souffrir les parents. Dans les pays où ça fonctionne bien, l’association des parents d’élèves joue un rôle très important pour éviter les situations du genre. Ce n’est pas à la dernière minute qu’il faut sortir. Qu’est-ce que vous avez fait en tant que parents d’élèves soucieux de l’avenir des enfants pour éviter qu’il y ait cette situation ? Donc, les parents d’élèves ont aussi leur rôle à jouer. Notre objectif n’est pas de faire souffrir les parents d’élèves. Nous aussi, nous sommes des parents d’élèves. C’est malgré nous et à notre corps défendant qu’on arrive à une situation de grève.
Il n’y a pas eu de grèves l’année dernière, pourtant les résultats n’étaient pas reluisants. Comment expliquez-vous cette situation ?
Les résultats ont toujours été catastrophiques. Ma confédération a organisé un atelier de réflexion sur les échecs scolaires avec tous les partenaires et Ong qui interviennent dans le secteur de l’éducation pour réfléchir sur les échecs scolaires. Qu’il y ait grève ou pas, on constate que les résultats ne sont pas bons. Et donc, on s’en émeut et après quelque temps, l’émotion tombe et le naturel revient au galop et tout le monde se tait. Il faut agir contre cela. Il y a des raisons qui expliquent les échecs.
Et quelles sont ces raisons ?
Ce n’est pas la grève seule, bien qu’elle contribue d’une part aux échecs scolaires. Il y a les cours inachevés, la qualité de l’enseignement, les conditions de travail… Les collègues vacataires sont, le plus important lot des enseignants. C’est des gens qui ont la volonté, qui font ce qu’ils peuvent et donnent le meilleur d’eux-mêmes. Mais, nous sommes dans l’approche par compétence et il faut une formation. Quand ils n’ont pas de formation, ils font ce qu’ils peuvent faire et là, on n’enseigne pas par approximation en Apc. L’autre chose concerne les classes. La gratuité de la scolarité dans l’enseignement primaire et secondaire a gonflé le nombre de scolarisés. Et, on a besoin pour ça d’avoir assez d’enseignants, construire assez de salles de cours, le ratio maître-élèves n’est pas respecté. On a 70 élèves pour un maître alors qu’en Apc, c’est 40-45 élèves pour un maître. De là, passer le message devient difficile et, c’est connu que les enfants ne suivent pas dans une classe surchargée. C’est aussi une cause. Les besoins en professeurs sont énormes et on ne recrute pas. Il y a aussi des nominations fantaisistes aux postes de directeur et de censeur. On voit des gens qui dirigent des plus gradés qu’eux, ça ne se fait pas. Si dans mon école, je suis professeur certifié de lettres A1-8 et on me met un directeur A1-5, il ne peut pas me donner des ordres. Qu’est-ce qu’il va me dire ? Quel que soit ce que je ferai de mauvais, il ne peut pas lever la tête. Tout cela peut jouer sur les résultats de fin d’année.
Dites-nous, quelle lecture faites-vous aujourd’hui du niveau de vie sociale au Bénin ?
La vie coûte cher au Bénin. Le panier de la ménagère n’est pas à la hauteur du coût de la vie. On vit difficilement au Bénin. La nourriture, les vivres, l’électricité, l’eau coûtent cher et ce n’est pas facile pour le Béninois lambda. Le loyer est relativement moins cher et là aussi, ça dépend de ce que vous voulez.
Qu’est-ce qui explique tout cela ?
Nous sommes dans un système de libéralisme. Mais, le contrôle n’est pas bien fait par les inspecteurs, c’est-à-dire, ceux qui vérifient les prix des produits sur le marché. Ils ne sont pas sûrement nombreux. Donc, les gens ont la latitude d’augmenter les prix des produits comme ils veulent et de faire ce qu’ils veulent des consommateurs. Il y a un laisser-aller dans ce domaine. La vie est chère et nous avons du mal à tenir. 10 jours après avoir touché votre salaire, vous êtes déjà sans argent. Il faut aussi revoir les salaires des travailleurs pour que la consommation soit boostée. Parce que si les travailleurs ont des traitements salariaux meilleurs, ils consommeront beaucoup plus et c’est notre économie qui s’accroît. Sinon, les salaires ne sont pas du tout décents. Ils ne vont pas au rythme de l’évolution de la vie. D’où, la cherté de la vie.
Est-ce qu’on peut dire que la pauvreté a reculé sous le régime Boni Yayi ?
Non ! Sous Yayi, la lutte contre la pauvreté a été un échec. Les gens souffrent au Bénin. Même s’il faut reconnaître que le pouvoir du Président Yayi a fait beaucoup de choses au plan social. Mais, il faut souligner que la pauvreté est toujours là et s’enracine dans les ménages. Elle n’a pas reculé outre mesure.
Selon vous, pourquoi cela persiste-t-il ?
Ça persiste parce que tout est cher. C’est difficilement qu’on a mis le Smig à 41.000 Fcfa, alors que les gens travaillent et n’ont pas le Smig. Tout cela fait que la vie est chère. Les prix des produits augmentent, mais les travailleurs n’ont pas le nécessaire pour faire face aux dépenses quotidiennes.
Et pourtant, le gouvernement a recruté beaucoup de jeunes.
Mais, la plupart des jeunes sont au chômage. Cela fait que la pauvreté s’accentue. Les jeunes sortent des universités et sont toujours au chômage.
Il y a aussi le statut général de la fonction publique qui a été voté. Avez-vous l’impression que vous avez gagné un combat ?
Oui. C’est un combat que nous avons mené parce que c’était moralement indécent de faire voter une loi pour proroger la durée de travail des gens qui ont déjà fait plus de 30 ans de service pendant que leurs enfants qui ont 30 ans et plus sont à la maison. Ils n’ont pas encore trouvé leur premier emploi et continuent de leur tendre la main. C’est une victoire à ce niveau. Néanmoins, nous ne sommes pas satisfaits du statut, parce qu’il y a la contractualisation de la fonction publique. C’est désormais connu qu’on ne peut plus passer de l’étape d’Agent contractuel d’Etat à l’Agent permanent de l’Etat. On a désormais deux fonctions publiques parallèles. Ils ne peuvent devenir plus Ape, sauf s’ils vont passer le concours de recrutement d’Ape. C’est un préjudice. Contractualiser la fonction publique, ce n’est pas une bonne chose. A cette allure, la fonction d’Ape va progressivement disparaître si nous ne faisons rien. C’est un danger pour la fonction publique africaine.
Le climat des affaires au Bénin. Ça vous dit forcément quelque chose. Quel regard portez-vous sur le climat des affaires sous Boni Yayi ?
Je sais qu’il y a un conflit entre le gouvernement et les hommes d’affaires. C’est ce qui caractérise l’ère Yayi où les hommes d’affaires sont souvent matraqués fiscalement, et cela ne permet pas de recruter. Ils ont la pression fiscale. Ils doivent payer les impôts et autres taxes. Et cela empêche les affaires de prospérer. Il vaut mieux leur créer les conditions afin de faire prospérer leurs affaires et réduire le chômage à travers le recrutement dans le secteur privé et l’auto-emploi. Il ne faut pas oublier que c’est le secteur privé qui est pourvoyeur de richesse et d’emploi. Et le climat actuel ne favorise pas la création de la richesse et de l’emploi. La marge de manœuvre des hommes d’affaires est réduite. Et les opérateurs économiques s’en plaignent tout le temps.
La présidentielle de 2016, c’est dans quelques mois. Quel est selon vous, le profil idéal du prochain président de le République ?
Il faut tout simplement qu’il soit quelqu’un qui a un projet véritable pour les Béninois, un projet qui prend en compte les réalités actuelles des Béninois ; quelqu’un qui a déjà l’expérience dans les domaines clés du développement du pays. On ne veut pas quelqu’un qui commence par se perdre avant de se retrouver. Il faut quelqu’un qui a de la vision, qui est ambitieux, travailleur et qui a déjà fait ses preuves et non quelqu’un qui sort du néant. Il doit avoir comme priorité la création des emplois. Il doit créer les conditions favorables pour que les opérateurs économiques puissent avoir la facilité dans la gestion de leurs affaires pour pouvoir créer la richesse et recruter des jeunes qui sortent de nos universités. Parce que nous vivons le chômage de nos enfants. L’autre chose, c’est qu’il faut dépolitiser les nominations aux différents postes dans nos administrations. Il faut qu’on ait des gens qui méritent leur poste, qui ont le profil requis, et non des gens nommés par le biais du clientélisme politique. Car, la plupart de ceux qui sont parachutés à ces postes font des piètres prestations. En 2016, il faut quelqu’un qui mette un terme aux nominations politiques. On ne veut plus constater que des gens, après leur nomination, organisent des meetings de remerciement. Tout ceci parce qu’ils ne méritent pas d’être là. En résumé, le prochain président doit avoir deux priorités : la promotion de l’emploi et l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Notre pays a besoin d’une administration performante avec des gens qui sont à la hauteur, et non des gens qui sont là parce qu’ils ont des accointances politiques avec tel ou tel homme politique.
Entretien réalisé par : Angelo DOSSOUMOU et Isac YAI