J’ai décidé de prendre la plume pour apporter mon soutien aux médecins en spécialisation parce que j’avais déjà mené la même lutte en tant qu’étudiant en médecine et je suis au regret de voir que 20 ans plus tard, la situation n’a guère changé si ce n’est qu’elle s’est aggravée.
Jeune étudiant en médecine il y a de cela 20 ans, je militais déjà, dans le cadre de mouvements d’étudiants, pour dénoncer les insuffisances du système de formation des médecins au Bénin. Il est triste de voir que 20 ans après les choses n’ont guère évolué et qu’au contraire la situation s’est même détériorée. C’est cette situation intolérable que je viens dénoncer aujourd’hui.
J’ai été informé de la publication de « l’arrêté rectoral N°48 – 2015/UAC/SG/AC/VR-AARU/SS fixant les droits universitaires des apprenants en formation pour les diplômes d’études spécialisées de la Facultés des Sciences de la Santé (FSS) de l’Université d’Abomey Calavi (UAC) » du 27 juillet 2015. Sans justification aucune dans le document, cet arrêté vient faire passer de 251 200 FCFA à 751 200 FCFA, soit une augmentation de 300 % les frais d’inscription et de formation pour le médecin béninois en formation spécialisée à la FSS. Cette décision ne concerne pas que les médecins béninois, mais également les médecins étrangers qui viennent se former chez nous et pour lesquels les mêmes frais passent de 351 200 FCFA à 851 200 FCFA.
Cette situation est d’autant plus injuste que ces médecins travaillent « GRATUITEMENT » pour le CNHU. En effet, ils ne sont pas salariés alors qu’ils passent la majeure partie de leur temps à l’hôpital où seulement certains médecins en quatrième année de DES (Diplôme d’Etudes Spécialisées) sont rémunérés pour les gardes ; les autres sont laissés pour compte. Pour (sur)vivre et subvenir à leurs besoins primaires, ils sont obligés de se (re)tourner vers les parents, pour ceux dont les parents peuvent venir en aide, ou aller travailler dans des centres de santé privés après de longues heures de travail passées au CNHU. Je rappelle qu’après de longues heures de travail, un repos est obligatoire pour éviter de commettre des erreurs médicales dont certaines peuvent être fatales, ceci d’ailleurs s’appelle à juste titre « repos de sécurité » et est obligatoire dans les systèmes où la vie humaine a de la valeur. A cette allure, la formation médicale sera de plus en plus réservée à une frange de la population, celle aisée.
J'ai dans mon entourage beaucoup de jeunes médecins, ils ne vivent pas, ils survivent et beaucoup de généralistes aujourd’hui ayant des ambitions de se spécialiser ne le peuvent pas tout simplement à cause des difficultés financières afférentes. Comment peut t-on à ce point décourager la formation de médecins spécialistes dans un pays qui en a grandement besoin, alors qu’actuellement le gouvernement investit lourdement dans la construction et l’équipement de nombreux hôpitaux ! Mais que seront ces hôpitaux sans des médecins et des médecins spécialistes ? La conséquence est qu’il n’y aura plus bientôt de médecins béninois en spécialisation (à part ceux issus de milieux financièrement aisés) et le Bénin sera obligé de faire venir de l’extérieur des médecins spécialistes pour travailler dans ces centres construits à grands frais.
Les pays voisins traitent mieux leurs étudiants en spécialisation
Les médecins en spécialisation sont mieux traités dans d’autres pays africains, y compris ceux avec une économie plus faible que celle du Bénin. A titre d’exemple, le pays de la sous-région où la formation coûte le plus cher après le Bénin est le Burkina-Faso avec un montant de 550 000 FCFA par an, mais tous les médecins en spécialisation ont une bourse, des ristournes sur les actes pratiqués à l’hôpital et des frais de garde quelles que soient l’année et la spécialité. Le traitement est le même dans plusieurs autres pays africains où les frais de formation sont encore plus petits : 1 000 FCFA en Guinée Conakry, 50 000 FCFA au Niger et au Congo Brazzaville, 150 000 FCFA au Togo… et tous les étudiants dans ces pays sont tous boursiers et perçoivent plus ou moins des ristournes sur les actes pratiqués à l’hôpital. Je rappelle qu’au Bénin l’arrêté rectoral veut faire passer les frais au Bénin de 251 000 à 751 200 FCFA. Qu’avons-nous fait pour mériter pareil traitement ? La Guinée Conakry et le Niger sont t-ils plus riches que le Bénin pour réussir à dégager un budget pour la formation de leurs médecins ? Des indiscrétions font déjà entendre que les médecins étrangers qui viennent se former disent clairement qu’ils ne viennent pas pour la qualité de la formation, mais pour la stabilité politique que représente le Bénin dans la sous-région. Ces médecins déplorent aujourd’hui les frais exorbitants qu’on leur demande pour un plateau technique décrit comme vétuste.
IL y a 20 ans, nous avons fait des propositions...elles sont encore d’actualité !
L’existence d’un concours d’internat pourrait définir le statut du DES (qui s’appellera à ce moment « Interne des Hôpitaux ») et résoudre au moins en partie la question des rémunérations. Si j’ai été sensible au combat que mène le collectif des médecins en spécialisation du Bénin, c’est parce que j’avais mené avec des amis dont certains sont enseignants comme moi aujourd’hui la lutte pour la création du concours d’internat, dans les années 1996 – 1997. Et je suis outré de me rendre compte que 20 ans après, le concours d’internat n’a toujours pas été créé au Bénin. Des gouvernements se sont succédés et aucun n’a pris le problème à cœur pour améliorer la formation médicale au Bénin et préparer la relève. Pourtant, la plupart des professeurs que j’avais eus en tant qu’étudiant ont été Internes dans des Hôpitaux à Dakar où se situait la faculté de médecine de l’AOF. C’est un système qu’ils ont connu et dont ils connaissaient les avantages pour une formation médicale de qualité et l’assurance de la relève. Une tentative a été faite il y a trois ans pour une première promotion d’Internes des hôpitaux, mais ceci n’a pas connu de suite. Pour cette unique promotion, toujours en formation, les choses n’étaient pas clairement définies quant à leur rémunération, le ministère de la fonction publique n’ayant pas été associé à la mise en place du dispositif. Nous avons aujourd’hui à Cotonou une faculté de médecine où dans certaines spécialités, il n’y a plus de professeurs de rang magistral et la situation risque de se dégrader dans les années à venir. La création du concours d’internat vers le milieu des années 1990, comme nous l’avons réclamé aurait permis d’assurer une relève. Pourtant, ce concours d’internat existe dans bien de pays africains. Le Togo et le Burkina-Faso l’ont fait par le passé. La Guinée Conakry, pays à revenu plus limité que le Bénin possède un système de faisant fonction d’interne qui définit tout au moins le statut de l’apprenant en spécialités médicales. Mais La Côte d’Ivoire et le Sénégal, eux, possèdent un système de concours d’internat et, force est de constater que ces deux pays ont fait sensation lors du dernier concours d’agrégation avec de jeunes agrégés de médecine âgés d’une trentaine d’années.
Compte tenu de ces éléments je lance deux appels :
• Pour les autorités de notre pays, il est temps de moderniser la vie publique et de sortir le pays de pratiques « ancestrales » dont on sait qu’elles ne font que reculer le Bénin. Il faut que le concours d’internat fasse partie d’un programme et qu’il soit étudié et budgétisé. Il y va de l’intérêt de la Nation.
• Pour le collectif des médecins en études de spécialités au Bénin, votre combat ne peut se limiter uniquement à la demande de l’abrogation de l’arrêté rectoral par le ministère chargé de l’enseignement supérieur. Votre combat doit être général et associer les étudiants en médecine qui en seront les futurs et principaux bénéficiaires. Vous devez militer pour la suppression de cet arrêté, mais également pour la création du concours d’internat dans notre pays.
Mohamed Paul TOSSA