Il y a 10 ans, Marie-Cécile Zinsou décide de créer une des premières fondation pour l’art contemporain en Afrique, dans la capitale économique béninoise, Cotonou. Aujourd’hui, un musée a été créé à Ouidah et sa collection a été vue par des milliers d’enfants de ce pays d’Afrique de l’Ouest, des adultes et des touristes de passage. AFRIK.COM est allé à sa rencontre, au dernier étage du siège de cette fondation, dans le quartier de Cadjehoun, qui abrite aussi un lieu d’exposition.
Envoyé spécial à Cotonou,
AFRIK.COM : Cela fait 10 ans que la Fondation Zinsou a été créée, s’il fallait faire un bilan...
Marie-Cécile Zinsou : Je ne sais pas si 10 ans c’est déjà l’âge des bilans. On est quand même en construction, il y a des choses qui évoluent encore. Si on réussit les objectifs qu’on s’était donné le premier jour, le 6 juin 2005, notamment celui de réunir une collection, de créer un milieu pour la collection permanente, de créer un musée, on les a atteint, au 6 juin 2015. En 10 ans, cela nous a permis de voir qui était le public, dans quel sens on pouvait aller. Il y a des directions qu’on n’avait pas forcément prévues, notamment celle des mini-bibliothèques et il y a des directions dans lesquelles on a été confortée, je veux parler de l’art contemporain. Celle de la danse contemporaine est arrivée aussi par les circonstances et les rencontres. Il n’y a pas forcément de bilan général à faire.
AFRIK.COM : Quelles sont vos échecs, pour ainsi dire des choses qui n’ont pas marché ?
En général, on est très concentré sur les choses qu’on fait. On n’annonce jamais rien avant de commencer. On ne met pas trop d’espoir dans des choses qui ne pourraient pas se faire. Quand on a un projet, on sait l’estimer. Il y a néanmoins un regret, c’est que toutes les actions qu’on a engendrées pour essayer de motiver le gouvernement à prendre conscience des questions de patrimoine, de musée, toute les tentatives ont été arrêtées. C’est un peu frustrant. La gratuité du musée d’Abomey, c’était une réussite avec une fréquentation qui avait plus que triplé (...). Nous avons inventé un programme qui s’appelait "Les mercredis c’est gratuit", qui rendait la billetterie gratuite, tous les mercredis. Et par la suite, nous avons transformé ça en semaine culturelle gratuite, tous les deux mois, pour que les gens qui travaillaient le week-end puissent venir aussi. On avait beaucoup de public, le bus circulait pour amener les enfants des écoles.
A la fondation, cela nous semble prioritaire que les personnes qui sont sur place aient accès à la culture. Et le gouvernement nous a demandé d’arrêter le programme en nous disant d’arrêter, sans raisons. Il ne voulait pas que cela marche. C’est comme l’inventaire photographique des collections d’Abomey, c’est indispensable car il y a un tiers des collections nationales qui ont disparu, c’est énorme. Elles ont été remplacées, volées. Il n’y a pas de volonté de leur part.
AFRIK.COM : Vous avez de nombreuses personnalités politiques dans votre famille [1], votre Fondation a-t-elle des liens avec le monde politique béninois ?
Une des clés de notre travail, c’est l’indépendance, on a toujours été très indépendant du monde politique. Je viens d’une famille où il y a des personnalités politiques, mais elles n’interviennent pas dans la Fondation. Je pense qu’on l’a d’ailleurs prouvé parce qu’il y a de nombreux hommes politiques qui viennent nous voir, quel que soit leur bord, leur parti.
AFRIK.COM : Vous avez des partenariats avec des musées étrangers, notamment avec le Quai Branly en France, avez-vous l’intention de les développer ?
En fait, on a une action très locale, dans le quartier environnant, ensuite on est passé à Ouidah. Mais on a une action très locale à laquelle je tiens beaucoup : celle de toucher les scolaires, les personnes qui n’auraient pas accès à la culture. Sur les partenariats étrangers, je suis assez d’accord avec le fait que les musées nous envoient des choses. On va aussi prêter des œuvres dans un musée en France. La Fondation ne recherche pas spécialement à rayonner à l’extérieur, ce n’est pas le but. Après, si on peut défendre une certaine idée de l’Afrique, on le fait. C’est cela qui nous fait bouger de nos frontières. On va recevoir plusieurs expositions, dans les prochains mois et les prochaines années, d’institutions très prestigieuses du monde entier. Cela nous fait extrêmement plaisir, car cela permet de montrer au public des choses auxquelles il n’aurait pas accès en temps normal, sans avoir besoin de voyager.
AFRIK.COM : Quel a été votre rôle en tant que présidente de la Fondation ?
Je m’assure de recruter les gens incroyablement talentueux avec une envie totale de développer le propos culturel et d’être accessibles, c’est mon métier : réussir à former une équipe tout à fait exceptionnelle, très multiculturelle avec des compétences assez étonnantes. Il y a un engouement des gens qui travaillent ici qui est tout à fait étonnant. Mon rôle c’est d’arriver à développer les projets et d’insuffler l’énergie qui est la mienne.
AFRIK.COM : Comment êtes-vous devenue présidente de la Fondation ?
Une très bonne façon de devenir présidente d’une fondation, c’est de créer sa fondation. J’ai eu l’idée de cette fondation, donc après je l’ai créée. Et assez naturellement je me suis nommée présidente (rires).
AFRIK.COM : Comment a évolué votre rôle à la tête de cette Fondation ?
Mon rôle a évolué parce qu’on était une toute petite structure de 12 personnes et qu’aujourd’hui on est 70, donc forcément cela prend de l’ampleur. Cela reste une très petite entreprise très personnelle parce que tout le monde connaît tout le monde. Ensuite, il a fallu gérer des projets à une échelle totalement différente. (...) Il y a une professionnalisation énorme, entre le moment où vous avez 3-4 tableaux et le moment où vous avez 1 000 œuvres à gérer. Il y a aussi le regard sur la Fondation qui a changé, je vais beaucoup à l’extérieur pour participer à des conférences, des séminaires, sur la question de l’émergence des musées en Afrique.
« C’est moi qui choisis les œuvres car c’est une fondation familiale »
AFRIK.COM : Comment sélectionnez-vous les œuvres exposées ?
On a une commissaire des expositions, mais c’est aussi une décision collective. (…) Ce qui m’intéresse, c’est la démarche d’un artiste, sa réflexion, la création plastique qui est liée à cela. Je ne vais pas aller commander un travail sur un sujet particulièrement. (…) On a une équipe et on essaie de choisir des artistes qui correspondent au goût de tout le monde. Mais généralement, c’est moi qui choisis les œuvres, car c’est une fondation familiale, financée par la famille. Il n’y a pas de comité de sélection.
AFRIK.COM : J’ai rencontré un artiste béninois qui disait que « les Béninois ne connaissent pas la valeur de l’art », il expliquait qu’il fallait nécessairement être reconnu à l’étranger pour l’être au Bénin, qu’en pensez-vous ?
AFRIK.COM : Concernant le ministère de la Culture, est-ce qu’il peut devenir un obstacle pour vous ?
Cela peut devenir un obstacle à partir du moment où on a toutes les autorisations pour installer une œuvre d’art publique, de Bruce Clark, à Ouidah, à côté de la porte de non-retour, et que le ministre où un de ses proches envoie un bulldozer et la fait casser. Une fois, pas deux, plus jamais on passera par le ministère de la Culture pour faire quoi que ce soit. On reste autonome. Le ministère de la Culture, on les a toujours aidé, on les a accompagné. Ne plus avoir d’implication avec le ministère de la Culture cela me coûte moins d’argent et cela me demande moins d’effort. On reste une fondation indépendante.
AFRIK.COM : Quelle est votre relation avec le milieu artistique béninois ? Avec les autres artistes béninois ?
La collection de la Fondation n’est pas une collection béninoise. Dans la collection, on a beaucoup d’artistes qui viennent du Bénin, ils sont largement surreprésentés, ce qui est normal, il y a une fierté liée au pays (…).
AFRIK.COM : Vous êtes en contact avec eux ? Comment faites-vous pour pouvoir découvrir de nouveaux artistes béninois ?
En général, on visite beaucoup d’ateliers. Il y a cet aspect-là (…). On a vraiment besoin de suivre la création. On fait de grosses expositions de gens dont le talent est déjà très confirmé, ou que l’on connaît depuis le début, comme Romuald Hazoumé. L’idée c’est de faire des expositions de niveau muséal. Dans la collection, on peut ajouter des œuvres de très jeunes artistes. Mais a priori, dans l’espace d’exposition, on expose vraiment des œuvres d’artistes confirmés. Il y a vraiment une idée de présenter les gens quand ils sont arrivés à un certain niveau de maturité dans leurs œuvres. Notre rôle n’est pas d’être un révélateur. On ne fera jamais des expositions avec que des jeunes gens de 17 ans (sourire). A côté de cela, on expose des gens dont on pense que le travail est très confirmé, mais qui ne sont pas encore très connus.
AFRIK.COM : Comment est financée cette Fondation ?
La Fondation est financée entièrement sur des donations privées.
AFRIK.COM : Votre père apporte-t-il une grande partie ?
Mon père apporte une proportion importante, qui est heureusement proportionnellement de moins en moins importante avec le temps, puisqu’au début, il assurait 100 % du financement et que aujourd’hui on est autour de 60 % du financement. C’est, en même temps, une vraie volonté familiale. Lui, en l’occurrence, ses activités ne sont pas du tout culturelles mais c’est une vraie fierté. (…) L’idée n’est pas de transformer le financement en quelque chose de totalement extérieur. (…) La Fondation c’est un engagement de mes sœurs, de ma mère, de mon père.
« J’avais envie de venir au Bénin pour comprendre cette partie-là de mon histoire »
AFRIK.COM : Quel est le rôle du principal mécène dans le fonctionnement de la Fondation ?
Il nous accorde une liberté totale sur nos actions. Par ailleurs, d’autres nous financent : Sotheby’s, Air France, Lafarge,... Ce son ceux qui voient le travail qu’on a accompli. Ils savent très bien qu’on ne va pas détourner l’argent. Quand ils mettent un euro, on en met deux sur le terrain. Et maintenant, on a des mécènes qui sont capables de financer des sommes assez importantes, sur des projets qui montent, c’est l’essentiel. Les mécènes sont heureux de nos actions. Notre nouvelle application "Wakpon" est par exemple entièrement financée par un mécène privé. C’est une application pour smartphone et tablette qui permet d’avoir accès, sur son appareil mobile, aux œuvres exposées dans le musée.
AFRIK.COM : Pourquoi avez-vous choisi de vivre au Bénin ?
J’ai grandi en France et en Angleterre. On n’avait pas le droit de vivre au Bénin jusqu’au retour de la démocratie, au moment de la Conférence nationale, la question de mon enfance ne se posait pas tellement. J’aurais pu grandir au Sénégal ou à Paris. J’ai grandi à Paris parce que mes parents étaient à Paris. Le fait d’être Béninoise est quand-même une des raisons de mon retour. D’abord, c’est un pays où je n’étais pas allé, et je me sentais profondément Béninoise. Après avoir vécu en France, j’avais envie de venir au Bénin pour comprendre cette partie-là de mon histoire. Je suis venue pour un an, au départ, et en fait, ça a été une évidence que ma vie était ici. Maintenant, cela fait 12 ans que je vis ici.
AFRIK.COM : Et en quoi ce métissage a-t-il influencé votre travail à la tête de la Fondation ?
Je ne sais pas si le métissage...enfin oui, les choses sont assez naturelles pour moi. Je ne me pose pas la question du métissage dans la mesure où je le suis. Je me demande pas de quoi je suis faite. Le métissage, est-ce que cela influence la Fondation ou est-ce que c’est pas plutôt le fait que ma mère était passionnée de musée ? Je ne suis pas certaine que cela soit le métissage qui compte. C’est le métissage culturel qui créé des idées comme la Fondation, le fait d’avoir une culture du musée, une culture de la création contemporaine en Afrique et de mixer les deux, de présenter un projet qui allie les deux dans une version africaine.
AFRIK.COM : Quelles sont vos ambitions pour la suite ?
Il y a ce projet de technologie, "Wakpon", qu’on va chercher à développer. Une fois qu’on a développé un projet qui tient la route et qui permet de montrer la collection, le problème c’est que les gens qui ont besoin de cela, les gens qui n’ont pas accès à la culture, ce sont les gens qui ne sont pas accessibles. Donc maintenant qu’on a créé des projets virtuels, il va falloir les ancrer dans le réel. Il y a une discussion qu’on est en train de mener sur comment on va pouvoir aller distribuer ce projet partout, dans des zones qui n’ont pas accès au musée et à la création. Cela va être une véritable aventure. On va probablement en faire un projet assez vaste sur les prochains mois.