La municipalité de Cotonou a désavoué hier jeudi 12 septembre 2013, la gestion que fait l’Etat Central des ressources financières de la commune.
C’est à travers une conférence de presse animée à l’hôtel de Ville par le Directeur des Services Economiques et Financiers (DSEF) de la Mairie, Mouftaou ALIDOU.
Il s’agit de la trop grande lenteur que connaissent les appels de fond émis par la Recette-Perception de la Mairie pour payer les fournisseurs et autres prestataires de services de la Ville. C’est ainsi que la trésorerie de la commune de Cotonou affiche comme fonds lui appartenant, dans les caisses du Trésor Public – gérées par l’Etat – une disponibilité budgétaire de 3.700.000.000 (trois milliards sept cent millions de francs CFA) qui tardent étonnamment à lui être mis à disposition pour usage.
D’où la difficulté énorme pour la municipalité d’honorer ses engagements financiers et de mener à bien, les activités de développement de la cité.
Discours du Directeur des Services Economiques et Financiers (DSEF) de la Mairie de Cotonou sur la situation financière de la Ville
Avec la conférence de presse de ce jour, jeudi 12 septembre 2013, je me propose d’aborder avec vous les difficultés que rencontrent les services financiers municipaux de Cotonou et d’informer par la même occasion les Cotonoises et les Cotonois des raisons de la dégradation de leur cadre de vie et celle de la qualité des diverses prestations de services que le Maire de Cotonou et ses collaborateurs offrent ces temps derniers au public.
En effet, les Communes du Bénin en général, celle de Cotonou en particulier, sont victimes d’une mauvaise appréciation de la règle budgétaire de l’unité de caisse et du transfert à un rythme trop lent des ressources à la Commune. Cette double situation à laquelle il convient d’ajouter les suspensions inconvenantes de la taxe de voirie ( une ressource des Collectivités locales) sans l’avis des Communes ni contrepartie préalablement négociée entre elles et l’Etat central, impacte négativement le développement économique et socio-culturel local, décrédibilise et discrédite les Communes auprès, non seulement des populations mais aussi des fournisseurs et prestataires intérieurs et extérieurs, sans oublier le personnel municipal.
1- Les effets pervers d’une application anormale de la règle de l’unité de caisse
Pour permettre à cet auditoire de bien comprendre le développement qui va suivre, il convient de rappeler en quelques mots la règle de l’unité de caisse, en quoi elle est utile mais aussi comment elle devrait être appliquée (et l’est en France effectivement) à l’égard des Collectivités locales.
· Selon la règle de l’unité de caisse, chaque comptable public ne doit avoir qu’une seule caisse dans laquelle sont réunis tous les fonds qu’il gère, quelle que soit la personne publique à laquelle ils appartiennent. La règle de l’unité de caisse complète avec efficacité l’unité de trésorerie.
L’institution de cette règle est la conséquence des leçons tirées de l’histoire française des grands principes du droit budgétaire et financier.
En effet, avec l’accroissement des opérations budgétaires et l’ampleur de la ‘’Trésorerie publique’’, avec l’apparition d’un nouveau moyen de financement : le recours à l’emprunt public, il était devenu indispensable de maîtriser la gestion budgétaire, ce qui va rendre nécessaire la centralisation des opérations financières et l’unité des services financiers.
La règle de l’unité de caisse va faciliter l’aménagement des fonds des divers organismes publics et permettre de prévenir la fraude des comptables. La mise en œuvre de ce principe rend nécessaire la règle corrélative de dépôt obligatoire au Trésor public des fonds détenus par les organismes publics. Ce dispositif fait du Trésor public le caissier unique du budget non seulement de l’Etat central mais aussi des autres organismes publics, en particulier les Collectivités locales.
Le Trésor public, sous l’autorité de l’Etat central, exécute l’ensemble des opérations de trésorerie nécessaires. Il lui appartient de mettre les pouvoirs exécutifs (niveau central et échelle locale) en situation de disposer des ressources permanentes (recettes fiscales et non fiscales) à une hauteur suffisante pour leur permettre, à tout moment, de faire face aux dépenses publiques.
L’obligation de dépôt par les organismes publics des fonds au Trésor public n’autorise donc pas le comptable public à empêcher l’un de ces organismes publics dépositaires de disposer de ses fonds à tout moment ; ou à privilégier les décaissements en tenant compte des seuls intérêts de l’Etat central. En France, pays dont le nôtre s’inspire en matière des principes du droit budgétaire et financier, malgré la règle de l’unité de caisse, les fonds des Collectivités territoriales sont bien distincts de ceux de l’Etat central et la règlementation garantit la libre disposition à tout moment des fonds par les Collectivités afin de donner un sens à l’autonomie financière des Communes. L’Etat central français ne peut, en aucun cas, priver les Communes de disposer en temps réel des fonds que celles-ci ont déposés auprès du Trésor public.
Au Bénin, c’est tout le contraire. Si l’Etat central a la moindre difficulté de trésorerie, le Trésor public placé sous son autorité lorgne du côté des fonds déposés par les Communes dans sa caisse unitaire. Illustrons ces affirmations par le cas de Cotonou. Aujourd’hui, la Commune de Cotonou a dans la caisse du Trésor public une disponibilité supérieure à F CFA trois milliards sept cent millions (3 700 000 000) mais éprouve d’énormes difficultés à faire des dépenses et à payer ses fournisseurs et prestataires.
Résultats :
Ø L’opération de titrisation pour laquelle la ville a bloqué en décembre 2012, la somme de F CFA un milliard cinq cent millions (1 500 000 000) et au premier trimestre 2013, un autre dépôt de F CFA deux milliards (2 000 000 000), soit au total F CFA trois milliards cinq cent millions (3 500 000 000) peine à se dérouler normalement. De décembre 2012 à ce jour, le Trésor public n’a pu approvisionner la Banque Sahélo-Saharienne pour l’Investissement et le Commerce (BSIC) qu’à hauteur de F CFA deux milliards cinq cent un millions huit cent vingt un mille deux cent quatre vingt treize (2 501 821 293). Il reste donc environ neuf cent millions (900 000 000) non encore reversés.
Les banques, les prestataires, les fournisseurs, le personnel municipal et autres bénéficiaires de la titrisation ont totalement perdu confiance en la Mairie de Cotonou. Et on peut le comprendre.
Ø La situation est la même au niveau de l’assurance maladie et des véhicules où NSIA a suspendu le contrat qui la lie à la Ville, où l’Africaine des Assurances s’apprête à emboîter le pas à sa consœur NSIA, où toutes deux jurent de ne plus avoir confiance à la Mairie de Cotonou. Même réaction du côté des assureurs des véhicules de la ville. Partout, Cotonou est tombée en disgrâce. Pourtant, nous avons émis depuis un moment des mandats à l’adresse de ces diverses compagnies de montant F CFA deux cent dix millions (210 000 000) environ.
Ø Le cas le plus aggravant est celui du PUGEMU où la convention qui lie la Ville de Cotonou et deux autres Communes à la Banque Mondiale est suspendue faute de la libération à ce jour par le Trésor public des six cent vingt cinq millions (625 000 000), sur les huit cent soixante un millions (861 000 000) de contrepartie. L’occasion de ce projet devrait permettre à la Ville d’engranger quelques huit milliards (8 000 000 000) environ ; on mesure alors le désagrément dans lequel la suspension de ce projet plonge non seulement Cotonou mais également les autres villes bénéficiaires si rien n’est fait.
Ø Quant aux cotisations aux diverses organismes internationaux et nationaux tels que l’AIMF, l’Association des Cités et Gouvernements locaux Unis d’Afrique (CGLUA), l’Alliance Internationale des Villes pour le devoir de mémoires, l’Association Nationale des Communes du Bénin (ANCB), la Ville de Cotonou a perdu sa crédibilité parce que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, aucun des mandats de somme modique variant entre F CFA six cent cinquante six mille (656 000) et un million neuf cent soixante huit mille (1 968 000) n’a pu être payé. Lorsqu’on sait que le Président Maire SOGLO est soit le Président d’honneur ou un des acteurs importants de ces organismes, on apprécie mieux ce que nous perdons en confiance et en honneur.
Ø Les prestataires de la Ville dans le domaine de la salubrité (désensablement mécanisé ou manuel, enlèvement des ordures, curage), des inondations, de l’éclairage public, etc. sont tous très remontés contre la ville parce qu’ils ne sont pas payés. Il suffit d’écouter les grognes matinales pour se rendre compte de tout le tort créé à la ville de Cotonou.
La ville est sous la pression quasi quotidienne de la SBEE et surtout de la SONEB qui a déjà coupé les robinets de la ville en 2011. Aujourd’hui, de nouvelles menaces de coupure sont là, les lettres de relance de la SONEB en disent long.
Il faut ajouter à cette liste déjà longue de nos difficultés d’insolvabilité, le cas de Bénin Télécoms SA qui a également coupé la ville, Etisalat ou MOOV dont des mandats sont également en instance de payement, faute d’approvisionnement suffisant de la Recette-Perception par son institution de tutelle, le Trésor public.
Jusqu’aux charges de fonctionnement, la ville est ébranlée et déstabilisée : un peu moins de quatre vingt dix neuf millions (99 000 000) de carburant pour les engins lourds de la Direction des Services Techniques (DST) et le fonctionnement des services municipaux sont également en instance de payement des stations d’essence et autres produits pétroliers. Les Syndicats de la ville fortement soutenus par le personnel de la même ville donnent de la voix et menacent d’aller en grève si leurs dotations en carburant ne sont pas mises à disposition.
Au total, la seule charge qui est régulièrement assurée et payée à bonne date par la Recette-Perception aujourd’hui est le salaire. Les travailleurs de la ville de Cotonou en savent gré au Trésor Public. Mais ils seraient plus heureux si leur institution peut préserver sa crédibilité qui passe par la possession par elle en temps opportun de ses fonds pour payer tous ses créanciers qui remplissent les conditions.
2-L’autonomie financière des Communes est dangereusement mise à mal, le développement local est gravement compromis
Quand on a entendu, suivi et apprécié tout le développement qui précède, on se pose une seule question : Les Communes du Bénin jouissent-elles vraiment de l’autonomie financière ? Si oui, quelle en est la portée ?
Quelle est cette autonomie financière où, en plus de ne pas transférer les ressources aux Communes comme le régime financier l’a indiqué, on ne permet pas aux organismes publics locaux de disposer de leurs ressources, de les utiliser dans le temps selon leur plan annuel de développement, selon les contingences qu’impose parfois subitement la vie ? La toute puissance publique centrale s’abrite derrière la règle de l’unité de caisse pour freiner les initiatives créatrices des élus locaux, cela dans l’ignorance totale de leurs mandants ou électeurs appelés à apprécier leur gestion en fin de mandat. La messe est dite à l’avance ! Mais les élus, j’en suis persuadé, ne se laisseront pas faire. Ils sont nombreux à avoir élaboré des projets de développement pour les Communes.
Ø Sur ce registre de développement, nous prenons le cas de Cotonou, la lutte contre l’insalubrité, la lutte contre l’inondation et la lutte contre la pollution sous toutes ses formes sont des activités arrêtées dès la prise de service du Maire et de ses adjoints. Ces projets sont appuyés par des programmes bien élaborés tels que :
§ le programme d’aménagement des rues à Cotonou (PARCOT) visant à renforcer le tissu routier urbain et à améliorer, par conséquent, les conditions de vie et de mobilité des populations ; le coût de ce programme a été estimé pour le deuxième quinquennat à quarante trois milliards (43 000 000 000) environ ;
§ l’opération ‘’Cotonou en campagne contre les inondations (3CI)’’ visant à assurer l’assainissement des quartiers en temps de pluie ; la lutte contre les inondations demande plus de moyens ; mais en attendant, ce programme quoique provisoire apaise quelque peu la population cotonoise ; pour le deuxième quinquennat, le coût de la seule acquisition des engins lourds neufs est estimé à F CFA deux milliards huit cent soixante dix millions (2 870 000 000).
§ Quant au programme de renforcement des initiatives de salubrité, le coût de la gestion des Déchets Solides Ménagers (DSM) est estimé à F CFA 5 103 185 936, englobant la précollecte, la collecte et le transport des déchets vers le lieu d’enfouissement sanitaire ; le coût du désensablement mécanisé (DM) et manuel (Finamin) est évalué à un peu moins de F CFA 2 921 000 000 ; tandis que pour le curage et la réfection des ouvrages d’assainissement, il est envisagé un coût de F CFA 1 621 000 000 environ.
Au total, pour l’ensemble des initiatives de salubrité, le coût prévisionnel est estimé à F CFA 10 561 000 000 environ.
§ Quant à l’ensemble des besoins pour la seule DST (salubrité, DSM, 3CI, aménagement des rues et espaces verts, etc), il faut mobiliser pour le deuxième quinquennat F CFA 57 230 000 000 environ, base hors taxe ; soit F CFA 11 446 000 000 environ par année.
§ Par la Direction des Services à la Population, il a été conçu, entre autres, un programme intitulé : « Santé et fournitures à l’école » destiné à améliorer les conditions d’étude des écoliers ou élèves. Le coût estimé de ce programme, la première année, est de F CFA 280 000 000 dont :
- F CFA 192 000 000 pour la gestion des affaires scolaires ; pour l’assistance aux indigents de la ville, pour les personnes démunies de la ville, pour l’assistance sanitaire dans les écoles et collèges, F CFA 88 000 000.
Mesdames et Messieurs, ces quelques projets/programmes et leurs coûts montrent suffisamment que la mise en œuvre des plans annuels de développement nécessite incontestablement beaucoup de fonds dont le montant n’a rien à voir avec le maigre concours de l’Etat central, contrairement à ce que j’entends dire à la radio par quelques sbires du pouvoir central mal informés ou mal intentionnés.
§ Le point sur le concours de l’Etat central n’est pas l’objet essentiel de la conférence de ce jour. Il n’empêche que je puisse vous donner quelques statistiques :
- A travers le FADeC et le FASTRACT, l’Etat a mis à la disposition de Cotonou en moyenne annuelle F CFA 585 000 000 environ pour la construction et reconstruction des écoles, collèges et lycées. Par ailleurs, la ville a bénéficié en moyenne annuelle de l’Etat central F CFA 104 000 000 de quote part de la TVA revenant à Cotonou et F CFA 1 300 000 000 de Taxe de voirie qui est une taxe locale improprement classées dans les fonds transférés par l’Etat.
Comme vous le voyez, hormis la taxe de voirie, le concours annuel de l’Etat à la ville de Cotonou n’atteint même pas le milliard. Comparé au Sénégal qui subventionne à hauteur de 10 milliards ces dépenses de la salubrité de la ville de Dakar et environ, ou au Cameroun où l’Etat prend en charge plus de 75 % des mêmes charges de salubrité, ceux qui, chez nous vont dire à la télévision que l’Etat béninois porte l’essentiel du financement des communes devraient se taire et se ranger du côté de l’Association Nationale des Communes du Bénin et mener le combat pour le transfert effectif des ressources, pour la mise à disposition à temps des recettes propres et pour l’autonomie financière véritable des communes.