« Il faut humaniser la dictée »
Votre journal, dans la réalisation du dossier relatif à la réintroduction de la dictée dans les établissements scolaires a rencontré l’inspecteur Barthélémy Abidjo de l’enseignement secondaire. L’homme a abordé, dans les moindres détails, ce sujet qui s’affiche très sensible pour toute la chaîne éducative.
Educ’Action : Inspecteur Barthélémy Abidjo, la dictée est de nouveau dans les classes, qu’est-ce qu’on en dit ?
Barthélémy Abidjo : La dictée est revenue puisque théoriquement, nous venons de faire un an de pratique dans certaines localités. Sur toute l’étendue du territoire, on a retenu 72 établissements qui ont expérimenté la chose. Certains sont déjà de pleins pieds dans ce retour de la dictée.
La formation que nous sommes en train de faire, a été une occasion pour faire un feed-back sur les difficultés qu’ils ont rencontrées, les solutions qu’ils en trouvent, le regard qu’eux-mêmes jettent sur cette nouvelle expérience et la nouvelle philosophie qui sous- tend cette forme de dictée différente de la dictée meurtrière que des gens comme moi ont connu.
Quelle est la nuance entre les deux formes ?
Avant, la dictée nous était soumise tous les matins, avec chicotte à l’appui. A la fin, le maître corrige avec des coups qui pleuvent. Non, on ne peut pas continuer avec ce système. Nous sommes d’accord que la dictée revienne mais il faut changer l’orientation et la vision qui la sous- tendent. L’APC dit qu’on évalue que ce qui a été enseigné. Le nouveau format veut que dans le texte nous soulignions les éléments enseignés. Je donne un exemple. Nous avons enseigné le participe passé. Dans le texte, nous ciblons dix mots sur lesquels l’enfant doit faire l’accord ou non du participe passé. Cela suppose qu’en amont, le participe passé a été enseigné aux apprenants. Quel que soit le texte que nous amenons, c’est rien que le participe passé que nous allons évaluer. Si c’est deux notions que nous avons enseignées, nous pouvons évaluer les deux notions. On doit tenir compte de ce qui a été enseigné pour que l’évaluation de la dictée soit un reflet de ce qui a été enseigné comme notion.
La dictée vient donc après un apprentissage ?
On ne brandit plus la dictée comme une épée de Damoclès qui plane sur la tête des enfants. Moindre de chose, l’enseignant dit prenez une feuille et on fait une dictée punitive. Aujourd’hui, nous ne voulons plus de cette forme de dictée. Nous voulons que l’enseignant s’efforce pour faire des élèves des amis de la dictée. Que l’enfant ne soit plus terrorisé, qu’il ne panique plus quand on parle de la dictée. Qu’il sache que c’est une occasion d’apprentissage des règles de grammaire, d’orthographe… Elle est, en fait, intégrée à une évaluation que nous appelons Compétence de lecture CD2. C’est entre 50 et 80 mots du texte de lecture ou d’un autre texte que nous choisissons le texte de dictée. Donc, le texte de dictée par rapport à l’évaluation sommative, c’est entre 50 et 80 mots. Mais en dehors, il y a d’autres types de dictées que nous faisons comme la dictée préparée. Vous amenez un texte aux enfants ; vous travaillez sur ce texte et vous leur ramenez ce même texte ou une partie de ce texte en dictée.
A quel moment le professeurde français peut enseigner ou du moins faire la dictée ?
Ce que nous disons, à la rentrée, on ne peut pas, avant un mois, faire la dictée. Puisqu’il faut préparer psychologiquement les enfants et leur montrer que la dictée n’est pas quelque chose d’extraordinaire. Il faut les préparer par rapport aux notions. Cela doit prendre un certain nombre de semaines. C’est la CD2 qui est la plus habilitée mais l’enseignant peut également fait objet d’apprentissage dans les autres compétences. L’idéal, c’est de faire durant et après pour être sûr de ce que nous avons enseigné.
Si nous faisons le participe passé et que nous ciblons les notions à évaluer, lorsque l’enfant écrit mal un mot qui ne fait pas partie des notions ciblées, on souligne ce mot-là mais on ne sanctionne pas. Aujourd’hui, quand nous ciblons dix mots et que l’enfant réussit l’orthographe ou l’accord, on lui donne un point. Donc, il peut avoir les dix points s’il réussit tous les mots ciblés. Nous voulons positiver la dictée.
Les types de fautes à sanctionner ?
Quand l’enfant écrit mère (maman), sans mettre l’accent, on ne peut pas compter cela comme une faute.
Mais il n’a pas réussi l’orthographe du mot !
Même si
Et celui qui écrit maire (chef de commune) à la place de mère (maman), il faut fermer les yeux là-dessus aussi ?
Pour le moment, on ne lui comptera pas une faute entière. Pour le cas d’espèce, on lui compte demi- faute. Sans vous mentir, les enfants ont peur du retour de la dictée. Pour cela, nous devons être souples. Il faut les mettre dans un état psychologique équilibré. Même au niveau des adultes, ce que nous voyons dans les mémoires, c’est horrible. Donc, ce n’est pas seulement au niveau des enfants, c’est au niveau de nous-mêmes. Sur dix ans, quinze ans, il y a des enseignants qui n’ont jamais appris de façon obligatoire et systématique la grammaire, l’orthographe, la conjugaison. Donc, ils sont aussi handicapés ! Il faudrait qu’ils se remettent au travail pour rattraper le temps perdu pour pouvoir relever le défi qui nous attend. Le travail n’est pas seulement au niveau des enfants. Au cours de la formation que j’ai animée au CEG de Davié, les enseignants ont manifesté beaucoup de résistances face au retour de la dictée. Comme je les connais, ils n’ont pas voulu dire la vérité. Ils contournaient. Ils disent qu’on leur a encore amené la dictée, donc ils ont un troisième lot de copies à corriger. Au moment où les autres en avaient un seul, eux, ils en avaient deux (communication écrite et lecture) ; maintenant, on leur ajoute la dictée, un troisième lot. Mais moi, je savais que leur problème était ailleurs.
Mais ils ont raison. Si nous prenons, par exemple, une classe de 60 élèves, pour un devoir, l’enseignant de français, pour la même classe corrige 180 copies.
Oui, mais l’effectif pléthorique, je crois que c’est un débat long. Le gros problème, c’est l’enseignant. Lui-même doit être convaincu que la chose est possible pour convaincre les élèves que c’est dans leur intérêt. Les enseignants sont gênés qu’on cible, dans le texte, certains mots et qu’on laisse d’autres. Les autres mots qui sont mal écrits et qui ne devaient par être sanctionnés, les enseignants sont gênés. Ils disent que ce n’est pas normal que des mots soient soulignés non comptabilisés et d’autres comptabilisés. Mais c’est la règle et chaque jeu a ses règles. Ici, la règle c’est qu’on ne sanctionne que les notions qui ont été enseignées en amont.
Un enfant peut commettre 60 fautes environ dans un texte tout en réusissant les dix mots ciblés. Il a les dix points malgré ce grand nombre de fautes. Vous ne constatez pas que cela pose un problème de déséquilibre pédagogique ?
Aucun. Cela ne pose aucun problème. C’est parce que c’est le début qu’on crie. Il faut qu’on humanise la dictée pour que les enfants comprennent que la dictée n’est pas de la sauvagerie.
La dictée sera généralisée dès la rentrée prochaine ?
Non. C’est en 2017 qu’elle sera généralisée à moins que les politiciens changent de décision. Sinon nos documents, c’est en 2017 qu’on ira à la généralisation.
Dites-nous en quoi ce retour est nécessaire ?
C’est la rue, d’abord, qui l’a demandé. Certains parents pensent que la dictée est une panacée, il suffit de la ramener et la baisse du niveau sera réglée. Nous, nous avons dit ok. Mais, nous, nous savons que le retour de la dictée n’est pas une panacée. Mais lorsqu’on va ramener la dictée, il y a tout un accompagnement que nous sommes en train de réaliser.
Propos recueillis par Esckil AGBO