C’est avec une profonde tristesse que nous apprenons le décès de Mahan GAHE. Nous nous inclinons tout d’abord devant la douleur de ses proches, de ses amis, des camarades de la confédération syndicale Dignité et de toutes celles et ceux qui partagent son combat pour la défense des intérêts des travailleurs contre le capitalisme néocolonial.
Arrêté en avril 2011, celui qui présidait aux destinées de Dignité (premier syndicat libre du pays) a fini par succomber aux tortures physiques et morales qu’il avait endurées pendant près de deux ans.
Que lui reprochait-on ? Avoir refusé de suivre le candidat de la Communauté internationale dans son opération ville morte destinée à écarter Laurent GAGBO du pouvoir. Voilà d’ailleurs ce qu’il répondait courageusement au juge qui l’auditionnait pour la première fois après plus d’un an d’incarcération arbitraire :
« Le juge qui prend la parole le premier dit à Mahan Gahé : « Monsieur Mahan vous êtes accusé d’avoir lancé un contre-appel aux travailleurs pour leur demander de désobéir à l’ordre du président qui appelait à cesser de travailler… ».
Voilà ce que répond le prisonnier politique :
« Monsieur le juge, vous me faites peur ! Vous me faites peur parce que vous êtes censé appliquer la loi. Mais il me semble que vous ne la connaissez pas. J’ai donc peur que vous appliquez autre chose que la loi dans cette affaire qui me concerne. D’abord de quel président parlez-vous ? Si c’est du président Alassane Ouattara que vous parlez, ce que je devine aisément, il n’était pas encore président quand j’ai lancé mon appel. Je ne pouvais donc pas lui avoir désobéi avant qu’il n’ait été reconnu comme tel par le Conseil Constitutionnel qui avait déjà investi son adversaire ».
Il a été reconnu par la communauté internationale, a relancé le juge.
« Vous me faites encore plus peur. Mais soit, supposons que ce sont les Ivoiriens qui votent et c’est la communauté internationale qui proclame les résultats, le président élu n’est pas comme moi un leader syndical pour lancer des grèves et appeler à saboter l’économie du pays qu’il est appelé à diriger. Je comprends que mon crime est d’avoir souhaité que les Ivoiriens travaillent pour sortir leur pays du sous-développement… j’étais loin de penser qu’un chef d’Etat aurait pu prendre cela pour un crime gravissime ». » Ici.
OUATTARA et ses riches amis du CAC40 (Armajaro, Bouygues, Bolloré, Dreyfus, SIFCA,…) peuvent se réjouir. Ce grand syndicaliste épris de justice et d’équité ne sera plus là pour faire obstacle à leurs vastes projets de spéculations et autres entreprises lucratives au détriment des travailleurs. Tous ceux qui ont ferraillé avec lui reconnaissent son intégrité et sa détermination dans la mobilisation, y compris les gouvernements qui se sont succédé sous Laurent GBAGBO avec lesquels il n’était pourtant pas tendre dans les négociations, et ce en dépit des sympathies qu’on lui prêtait avec ce régime.
Comme d’autres avant lui, Mahan GAHE a défendu jusqu’à la mort les principes d’indépendance et de liberté syndicale, revendiquant la liberté de faire grève dans le cadre d’un syndicalisme de revendications, mais refusant l’obligation de faire grève à l’appel d’une autorité quelle qu’elle soit, qui plus est illégitime.
Mahan GAHE a rejoint la longue liste des martyres de la Côte d’Ivoire libre et indépendante, mais aussi de tous ceux qui placent très haut le combat pour la défense des valeurs démocratiques contre la prédation capitaliste d’où qu’elle vienne. Après sa libération provisoire en décembre dernier et le non lieu dont il a bénéficié en janvier de cette année, la CGT l’a d’ailleurs mis à l’honneur au 50ème Congrès de TOULOUSE en rendant hommage à son courage et à son abnégation.
Sa tragique disparition nous rappelle l’impérieuse nécessité de continuer et d’accélérer le combat pour le retour à un état de droit en Côte d’Ivoire. Outre les centaines de prisonniers politiques illustres ou anonymes qui croupissent toujours dans des conditions inhumaines dans les nombreux Guatanamo ivoiriens, il y a toutes celles et ceux qui sont détenus au secret et sont en proie à des tortures quotidiennes. Ils doivent non seulement être remis en liberté, mais également réintégrés dans la plénitude de leurs droits (dégels des avoirs, indemnisations, prises en charge sanitaires,…). Et c’est ce que le décès de Mahan GAHE dans ces conditions réaffirme : libérer tous les prisonniers politiques est certes une condition nécessaire à la réconciliation des Ivoiriens, mais elle est loin d’être suffisante.
Ce que d’aucuns ont intérêt à faire croire –à commencer par ceux qui sont au pouvoir et tous ceux qui les ont aidés à s’y installer- que la crise ivoirienne se résumerait à un affrontement entre deux camps politiques au détriment de la population civile- s’avère en fait un véritable conflit de valeurs. Paralyser l’opposition, éradiquer la liberté syndicale, favoriser un retour d’exil sans garanties, porter atteinte à toutes les libertés fondamentales (se réunir, manifester, faire ou ne pas faire grève en l’occurrence, s’exprimer), voilà le mode de gouvernance choisi par le Régime OUATTARA. Mais il ne saurait se maintenir au pouvoir sans le soutien de l’OCCIDENT et de la France en particulier.
Car s’il est vrai comme le disait Noam CHOMSKY que « La propagande est aux démocraties ce que la violence est aux dictatures », il nous appartient d’exiger que la France rende compte de son rôle dans la situation actuelle de la CÔTE D’IVOIRE et dans celles de nombreux autres pays qu’elle considère comme son pré carré.
« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » disait CHURCHILL. A nous de prendre acte du désir des Ivoiriens en particulier et des peuples en général de vivre en paix, mais à nous également de ne pas laisser falsifier l’Histoire par ceux qui y ont intérêt en inversant la victime et le bourreau.