J’ai cru tomber à la renverse en lisant chez mes confrères ce lundi le compte-rendu de la dernière réunion du Conseil national de l’éducation. L’institution dirigée par le philosophe Paulin Hountondji a organisé une consultation interministérielle sur la situation de l’enseignement des mathématiques dans les établissements secondaires. Elle révèle ainsi que le Bénin compte seulement 251 enseignants «professionnels» de mathématiques sur les 1639 en situation de classe, soit 15% de l’effectif !!!
Je suis ahuri que ce soit seulement maintenant que l’institution en charge de la réflexion sur les problèmes de l’éducation dans notre pays se rend compte de la catastrophe en cours depuis des décennies. Comment peut-elle ignorer jusqu’à ce point ce dont des dizaines d’études de toutes sortes ont parlé depuis des décennies ? Plus que toute autre chose, ce sont les solutions préconisées qui me paraissent saugrenues. Ainsi, il a été proposé qu’un appel soit lancé aux enseignants retraités pour qu’ils viennent combler l’énorme fossé creusé.
Autre proposition, «solliciter dans les mêmes conditions, les mathématiciens de la diaspora» et même les mathématiciens français et d’autres pays francophones déjà à la retraite. D’autres suggestions sont allées dans le sens de solliciter des non francophones, et même des…Indiens. L’Assemblée a également proposé des mesures incitatives destinées à encourager les élèves de seconde scientifique à s’orienter vers la série C. Il s’agit d’accorder aux plus doués en mathématiques une allocation d’études devant les mener jusqu’au baccalauréat et même au-delà.
L’idée est d’accompagner ceux-là le plus loin que possible, en les portant presque à bout de bras. Naturellement, comme il est d’usage dans des situations du genre depuis des décennies, il a été annoncé la tenue d’un séminaire national sur la question. Un séminaire national, ou pourquoi pas, international !!! Mon idée sur ces propositions du CNE est faite. Elles sont passées à côté de l’essentiel. Et l’essentiel, ce sont les conditions d’enseignement de cette matière fondamentale. Elles sont désastreuses.
Depuis des lustres, tout le monde constate la baisse généralisée du niveau des enseignants eux-mêmes. Les écoles normales, censées former la fine fleur des élites éducatives, sont livrées à l’anarchie. Il suffit de voir les conditions dans lesquelles les enseignants reversés dans la fonction publique y sont aujourd’hui formés, pour s’en convaincre. Sous prétexte de lutter contre la pénurie d’enseignants qualifiés dans nos écoles, une génération de mauvais enseignants est déversée dans nos collèges et lycées.
Ils sont nantis de diplômes qu’ils ne méritent guère, non pas parce qu’ils l’ont demandé mais parce que les calculs politiques infects réalisés à la veille des élections de 2011 en ont voulu ainsi. Si les mathématiques constituent un révélateur de cette catastrophe pédagogique, il en est de même pour d’autres disciplines.
Le Français notamment fait l’objet de jonglages pédagogiques proprement odieux qui impactent directement toutes les autres disciplines enseignées. Et pourtant, personne ne saurait faire les mathématiques, les sciences physiques ou autres sciences de la vie et de la terre, sans passer par ce véhicule linguistique incontournable.
Mieux, comment chercher le nœud du problème de l’enseignement des mathématiques, sans évoquer le manque criard d’ouvrages dans les écoles. L’école béninoise a cessé de fournir à ses apprenants les livres qui jadis en faisaient le socle. Les livres autrefois donnés ne le sont plus et les bibliothèques scolaires sont aujourd’hui des institutions mortes. Nous avons inventé au Bénin la pire des écoles, celle où le maitre est roi. L’autorité du livre a partout disparu pour laisser place à un psittacisme archaïque.
Les apprenants sont juste autorisés à répéter ce que leur professeur a dit là où, dans d’autres pays, ils sont encouragés à aller chercher la science dans les livres mis à disposition. C’est dans ce contexte que le Conseil national de l’éducation a trouvé qu’il faut inviter les retraités à reprendre la craie, quand bien même la plupart auraient été dépassés par les normes pédagogiques d’aujourd’hui…
Mais il y a pire. Le pire, c’est à l’université, mouroir des intelligences où sont retranchés nombre de terroristes enseignants. Sourds à toute évolution, rebelles à tout ce qui se passe au secondaire et surtout décidés à rendre la vie impossible à leurs apprenants, une bonne partie des enseignants des facultés dites scientifiques sont perçus comme des bourreaux par leurs étudiants.
Le CNE aurait dû décider d’aller sur le campus pour leur en dire un mot. Car, c’est eux qui les découragent et leur font croire que les mathématiques sont réservés aux surdoués.