Au Bénin, il est bien possible de faire des transactions, des achats avec des cartes bancaires et prépayées. Cependant, c’est sans compter avec les difficultés de connexion, la méfiance des uns et l’attachement à la monnaie fiduciaire des autres.
Les banques installées au Bénin ont beau vanter les avantages des produits de la monétique, l’affluence est encore remarquable aux différents guichets. Les samedis et les jours fériés sont connus pour être des plus passionnants pour les clients, à l’instar de Gérald, le 03 octobre dernier, dans une agence de banque dans la zone commerciale de Ganhi. Impatient, l’agent de sécurité des lieux a dû le calmer par deux fois dans l’intervalle d’une demi-heure, avant qu’il ne fasse son opération. « Déjà plus de ¾ d’heure que j’attends, juste pour faire un retrait. Il paraît qu’il y a un problème de connexion. Imaginez combien de temps il me faudra encore, vu le nombre de personnes qui se retrouve devant moi. Ce n’est pas sérieux », se plaint-il. Pourtant, juste avec une carte bancaire ou par téléphone, ce qui s’apparente à un calvaire d’une heure, devient une formalité de quelques minutes. « Je suis habitué à utiliser ma carte et c’est plus facile. Je ne me rends au guichet que si le distributeur est hors service », déclare Ulrich Agoy.
Ces moyens électroniques permettant l’automatisation des opérations bancaires entrent de plus en plus dans la politique de marketing des banques et sont recommandés aux clients. « La monétique garantit la rapidité, la sécurité et la discrétion. Mieux, les achats au supermarché et au restaurant peuvent être directement débités du compte », souligne Radi Hounsonlon, Ingénieur des télécommunications, spécialiste de la monétique. Cependant, il faudra bien plus d’arguments pour convaincre la plupart des béninois qui considèrent encore l’informatique comme la Magie du blanc ou qui ne sont rassurés que quand ils voient clairement leur argent et peuvent facilement le toucher. « Votre affaire de carte bancaire ou je ne sais quoi ; qui ne permet pas de toucher mon agent, ne m’intéresse pas », ironise dame Sèssinon, une grossiste à Tokpa.
Un long chemin vers la monétique
Demain ne sera pas la veille pour le développement de la monétique au Bénin, pense le Professeur Siméon Gnansounou, enseignant à l’Ecole Nationale d’Economie Appliquée (Eneam). L’économiste pose des conditions qui, pour le moins, restent peu probables à remplir en peu de temps. « Il faut d’abord penser à la bancarisation de l’économie nationale. Ensuite, instaurer une culture de la monnaie non fiduciaire. Chez nous, c’est la culture du ‘’m’as-tu vu ?’’. Lorsqu’à une cérémonie, vous donnez un chèque d’un demi-milliard, personne ne croira en vous. Mais, quand c’est juste 100 000 F Cfa, en billets de banque, que vous distribuez, on dit que c’est un ‘’Agbonnon’’ (Un richissime, ndlr) », explique le Professeur Gnansounou. Selon la note d’information publiée par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), au Bénin, le taux de bancarisation est de 8,16%, pour 182 guichets et 197 Distributeurs automatiques. En plus de ce facteur, l’économiste ajoute le faible pouvoir d’achat des populations. « Le problème est que les salariés vident presque tous leurs comptes bancaires aussitôt le salaire viré par l’Etat ou l’employeur. Dans ce cas, il n’y a souvent plus rien en réserve pour faire des achats au supermarché, au restaurant ou payer quelqu’un avec une carte », analyse le Professeur Gnansounou.
Tous ces paramètres cumulés ralentissent la courbe des flux de transactions financières via les moyens électroniques et informatiques au Bénin. « En 2013, le volume des transactions via le Gim-Uemoa s’élevait à 4,74 milliards de francs Cfa, soit 3,02% du flux régional. Par rapport aux sept autres pays, le Bénin reste dans le dernier peloton avec la Guinée Bissau et le Togo », apprécie Luc Kpènou, Président de la Commission nationale du Groupement interbancaire de la monétique de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Gim-Uemoa). Les banques ont certes la volonté de diversifier les moyens de transaction mais, il faut bien que les distributeurs automatiques soient opérationnels et accessibles à tout moment aux clients. « Vous allez au guichet, c’est hors service. Il faut parfois parcourir trois guichets pour retirer 10 mille francs. Pour un étudiant comme moi, allez-y comprendre quelque chose », se plaint Germain. C’est un facteur de découragement des usagers que les responsables en charge du développement de la monétique dans le secteur bancaire mettent sous le coup des aléas des télécommunications. « La qualité des liaisons télécoms est un vrai problème. Nous investissons énormément pour avoir des liens télécoms fiables qui nécessitent d’énormes ressources financières », justifie Luc Kpènou.
Le e-commerce : du mythe à la réalité
Dans la capitale économique du Bénin, trouver un supermarché disposant d’un terminal à cartes prépayées, est bien difficile. « Nous n’acceptons pas ce mode de payement par principe. Chez nous, c’est le cash (la liquidité, ndlr). C’est une décision des responsables. Je ne maîtrise pas trop la raison », déclare Régis, un commercial à Bénin Marché. Les quelques rares supermarchés dans lesquels, il est possible d’utiliser les cartes prépayées sont confrontés à une réalité bien têtue. « Il y a quelquefois des problèmes de connexion qui se posent, sinon, ça marche. Même si ce n’est que les étrangers et quelques étudiants qui l’utilisent », remarque une commerciale rencontrée à Erevan. Et pour qui veut s’ouvrir au marché international, les difficultés sont légion. « C’est impossible aujourd’hui d’utiliser directement les cartes délivrées dans nos pays sur certaines plates-formes internationales », regrette Fawaz Taïrou, responsable à la formation au Campus Numérique Francophone. Dans ce contexte où la monétique a des difficultés à prendre dans le secteur bancaire et financier, les réseaux de téléphonie mobile ont trouvé la formule idéale et ne fournissent pas trop d’arguments pour convaincre les abonnés. « Ce sont les bonus qu’offrent les Gsm pour les transferts par Mobile Money ou Flooz qui m’avaient intéressé. Mais aujourd’hui, je me rends compte que c’est beaucoup plus pratique de disposer d’un compte sur son téléphone pour faire des achats », apprécie Nadine Tchégnon, une abonnée. Comme elles, beaucoup optent pour cette alternative, qui pourrait donner un élan à la monétique.
Des craintes qui faussent tout
L’agilité et l’ingéniosité des cybercriminels font craindre le pire aux détenteurs de cartes bancaires ou aux abonnés. Les guichets automatiques ne sont toujours pas à l’abri du piratage. En témoigne les enregistrées par la police nationale. « Les délinquants réussissent à installer de micro-caméras là où on introduit la carte, pour enregistrer les données nécessaires. Dans la nuit, ils viennent vers les guichets automatiques pour pouvoir opérer dans le dos des clients. Les personnes interpellées jusque-là ne sont pas des Béninois », renseigne le Commissaire Nicaise Dangnibo, chef de l’Office Central de Répression de la Cybercriminalité (Ocrc). Du côté des responsables en charge du développement de la monétique dans le secteur bancaire, on rassure de ce que toutes les dispositions sont prises pour éviter de situations pareilles. « L’ensemble des transactions est chiffré et crypté. Il y a aussi la conformité au standard PCI-DSS (Payment Card Industry Data Security Standard) qui garantit la protection des données sensibles des cartes (numéro de carte, date de fin de validité et le code de sécurité au dos de la carte) », rassure Luc Kpènou. Par contre, du côté des Gsm, des efforts restent à fournir pour assurer une sécurité en amont des comptes des abonnés. Pour cette année, environ 120 cas d’escroquerie par Flooz et une soixantaine par Mobile Money ont été enregistrés par l’Office Central de Répression de la Cybercriminalité. « Le constat est qu’il y a un manque de rigueur dans l’enregistrement des Sim, notamment de la part des entreprises qui sous-traitent avec les Gsm. Ce qui fait que le cyber escroc s’assure que la carte n’est pas enregistrée en son nom, établit son plan d’escroquerie et contacte sa cible. La victime lui envoie les sous et se rend compte après qu’elle a été escroquée », explique le Commissaire Nicaise Dangnibo. Dès lors commence la traque de la police, qui après beaucoup d’efforts, se rend compte quelquefois que le porteur de la Carte Sim n’a jamais existé. Pendant ce temps, les cyber-escrocs brouillent les pistes par une multiplication des transferts sur plusieurs cartes ‘’sim’’ avant de procéder au retrait. En dépit des obstacles, le marketing s’intensifie autour de la monnaie électronique, en attendant, peut-être, une réelle implication de l’Etat béninois pour hisser le Bénin au rang des pays à économie numérique.
Fulbert ADJIMEHOSSOU (Coll.)