Un fait divers enregistré dans la soirée d’hier à la Cour d’Appel de Cotonou, plonge le procès d’assassinat de Urbain Pierre Dangnivo dans une atmosphère peu sereine. Un témoin a, en effet, évité de peu un lynchage. Ce qui, ajouté aux chaudes confrontations enregistrées dans la même journée, donne une autre allure au procès.
Les jurés ont reçu un signal fort à l’issue du procès d’hier. Le peuple est pressé de connaître la vérité et devient impatient. Conséquence, l’on a fini par enregistrer le premier incident du procès que l’on qualifie déjà du « Procès de l’année ». En effet, alors qu’il se retirait au terme d’une comparution époustouflante, le Commissaire Alédji, maintes fois cité par les accusés Codjo Alofa et Donatien Amoussou, a essuyé la fureur d’un public remonté. « Dès qu’il est sorti, les populations ont commencé par le huer. Certains lançaient des mots hostiles, hoooo !, d’autres l’ont suivi. Il a compris que la situation était devenue délicate et s’est empressée de fuir. C’est là que les gendarmes ont couru pour le mettre à l’abri », raconte un témoin des faits. Le commissaire venait ainsi d’échapper de justesse à un lynchage. Aussitôt, l’affluence a presque doublé derrière la clôture de la Cour d’Appel de Cotonou. Soudain, il était devenu difficile pour les motocyclistes de circuler sur le tronçon place du souvenir-Cnhu. Chacun y allait de son commentaire pour analyser l’incident qui aurait pu plonger la justice dans une crise sans précédent. « Je crois que c’est sa manière de répondre aux questions qui a rendu la population mécontente pour qu’on en arrive là. Akofodji est sorti le matin par le même endroit, mais personne ne l’a agressé », tente de justifier un témoin. Du coup, le dispositif sécuritaire a été renforcé avec une présence des éléments de la Compagnie Républicaine de Sécurité. Cependant, ils ne sont pas intervenus. Car, il n’y avait pas encore de débordement et juste deux d’entre eux étaient descendus.
Des remous dans la salle d’audience
Au même moment où l’incident se produisait, la cour écoutait un autre témoin majeur, ‘’Préso’’. C’est un ami de Donatien Amoussou, qui en sait beaucoup sur comment le téléphone de Dangnivo a été retrouvé et sur les premières heures des démêlés du supposé complice avec la commission d’enquête. Faute de sérénité, le Président Félix Dossa déplore le climat d’insécurité, tape son maillet sur la table puis renvoie l’audience à ce jour. Dans la foulée, un avocat dénonce le contexte et propose si possible « que l’on vide désormais la salle d’audience ». Une mesure qui pourrait donner au procès, l’image d’un huis clos qui entachera sa crédibilité. « C’est possible qu’ils laissent la famille seule dans la salle d’audience. Mais ce n’est pas la solution. On risque de créer une autre confusion », analyse Flavien, qui a suivi le procès en restant accroché aux haut-parleurs installés sur le pavillon.
Alédji, un témoin « professionnel »
Toujours par rapport au procès, il est à noter que le Commissaire Alédji, à la barren, avait tout l’air de celui qui n’était pas dans sa peau. Sa réaction a certainement contribué à une première suspension, quelques minutes après son entrée dans la salle. Le Contrôleur Général de Police ayant servi la nation pendant une trentaine d’années, n’avait pas beaucoup à dire. Il tenait à rester « professionnel » et s’est défendu de ne pas être un manipulateur. « Je suis un enquêteur professionnel. J’ai été membre de plusieurs commissions d’enquêtes… je ne suis pas un produit de la présidence…j’ai été victime du devoir… », a-t-il déclaré. Prudent et très éveillé, le Commissaire Alédji tente de plonger Dona, en le qualifiant de « repris de justice » et d’homme de « réseau ». On assiste pour une dizaine de minutes à une confrontation tendue entre les deux hommes. Donatien tente de clarifier son parcours dans l’armée et évoque deux raisons qui l’ont poussé à quitter l’armée béninoise. En ce qui concerne la rencontre de Alédji et de Donatien au palais, le témoin dit n’avoir jamais mis pieds au palais de la présidence dans le cadre de ce procès. Mais, il sera difficile pour Me Gnansounou d’obtenir les déclarations en acte écrit par le greffier. Le témoin revient sur ses déclarations, même celles concernant l’identification formelle du complice qui paraissait certaine. Le débat est houleux et flou. Et c’est justement ce qui remonte le public, qui suit religieusement tout ce qui se disait et réagissait. A l’intérieur comme à l’extérieur, on note des remous. Me Djogbénou, avocat de la famille et Me Zinflou, avocat de Alofa reviennent sur des détails d’ordre technique : la date de sa prise de fonction à Porto-Novo, des éléments clés du rapport d’enquête, le nombre d’hypothèses émises, les raisons de l’abondon de l’hypothèse que Dangnivo est vivant et la nature et le nombre de comprimés de médicaments, etc. De son côté, le Commissaire Alédji a apporté des réponses, mais n’a pas souvenance de certains détails. « J’ai travaillé dans un esprit d’enquêteur. J’en ai fait une trentaine au cours de ma carrière et qu’on me demande des détails millimétrés… ? », se désole-t-il.
Un monstre à deux têtes
Avant le Commissaire Alédji, le Commissaire Codjo Adomou a présenté à la cour la main courante demandée par la défense. Deux dates d’arrestation de Alofa pour vol de moto y figurent. Me Djogbénou dénonce une manipulation pour cacher la prolongation de la garde à vue. Gilles Sodonon, représentant le Ministère Public se base sur une décision de justice pour s’en tenir au 23 août 2010. La confrontation a de nouveau eu lieu. Les discussions convergent de plus vers plus sur la date du 16 août 2010.
Grégoire Akofodji, alors Ministre de la Justice n’a pas quant à lui, n’a pas eu la sueur froide face à Alofa. Mais, il n’eu pas loin. Il s’est fait aider de son avocat pour tenter de laver son honneur. La confrontation a été vive et plus explicite que celle de l’après-midi. Le Ministre a fait comprendre la procédure par laquelle des experts allemands ont été sollicités dans le cadre de l’affaire. Il dit n’avoir pas eu des échanges avec le sieur Alofa et déclare avoir eu un choc émotionnel quand il a su que le présumé assassin n’avait que 25 ans. Il a été contraint par Me Zinflou de justifier son degré d’implication dans les réunions avec la famille au palais. Il se souvient avoir participé à la réunion avec le clergé pour amener la famille à accepter le prélèvement de la salive de l’enfant de Dangnivo, pour faire un test d’Adn. La suite du procès s’annonce houleuse et très méfiante, du fait de l’incident survenu dans l’après midi de ce mercredi.
Fulbert ADJIMEHOSSOU (Coll.)