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Le point de la 4ème journée du dossier DANGNIVO
Publié le samedi 14 novembre 2015  |  24 heures au Bénin
Cour
© Autre presse par DR
Cour d’appel de Parakou




L’instruction à la barre du procès de l’affaire Dangnivo s’est poursuivie hier jeudi 12 novembre. Mesures de sécurité renforcées autour des accusés Codjo Cossi Alofa et Donatien Amoussou qui arrivent à la Cour d’appel à bord des mêmes véhicules de maintien d’ordre, les fameux « chars », la tête cagoulée portant des gilets pare-balles surplombant leur thorax, casque vissé sur la tête et les mains menottées dans le dos. A 8h15, ils sont conduits dans le prétoire qui grouille déjà de monde. La sécurité est renforcée autour de la Cour d’appel. Les réseaux GSM sont brouillés dans le prétoire, les équipements de sonorisation ont disparu du hall d’accueil, sans doute pour éviter les relais instantanés et pas forcément fidèles des débats sur les réseaux sociaux. Le greffier d’audience est Me Alain Cakpo.

Wilfried Léandre HOUNGBEDJI

En ouvrant l’audience à 8h55, le président Félix Dossa informe le public qu’il ne souhaite plus avoir d’applaudissements dans la salle. Me Djogbénou objecte que ce sera difficile et qu’il aurait fallu aussi les interdire en dehors de la salle. Puis l’avocat de la partie civile croit bon de revoir l’ordre de passage des témoins pour que certains, cités par lui ou la défense, notamment les sieurs Laourou, Koumasségbo et Mètongnon, passent en premier ; leurs dépositions pouvant être plus longues. Approbation de l’avocat général, Gilles Sodonon, qui pense que les témoins cités par les accusés pour tel ou tel comportement, pourraient effectivement être entendus d’abord, pour laver leur honneur et retourner vaquer à leurs occupations et surtout que le témoin Priso pourrait rester bien plus longtemps à la barre. Celui-ci s’y était déjà porté depuis cinq minutes, il est 9h08 quand il va s’en éloigner pour être reconduit dans la salle des témoins. Joseph Djogbénou s’en étonne et signale que la partie civile ne lui a pas encore posé ses questions. Il suggère d’en finir plutôt avec ce témoin avant de passer aux autres. A l’une des questions, il réitère qu’ayant été appelé à la présidence de la République par le colonel Koumasségbo alors qu’il était avec Donatien, et qu’ils devraient s’y rendre ensemble, celui-ci a décliné l’invitation prétextant qu’il avait autre chose à faire. La partie civile l’assaille de questions, pour comprendre pourquoi c’est lui que Polo le Nigérian appelle tard dans la nuit. Pourquoi le véhicule garé à l’hôtel a attiré son attention… Il ne comprend pas pourquoi c’est lui que Polo a appelé, rappelle que celui-ci est un ami de Donatien et que c’est la raison pour laquelle, intrigué par le contenu du sac, il a appelé Donatien pour l’informer. Quand il s’estime enquiquiné par la partie civile, il précise ses propos, jure qu’il dit la vérité car « il y a un Dieu », et fait savoir que ce n’est pas à Agla qu’il a été appelé à identifier Alofa, mais qu’ils sont partis de là pour la brigade de recherche, où « ça allait chauffer parce que les agents avaient commencé à débarrasser la table ».

Alofa torturé ?

Appelé à expliciter son propos, il expose qu’Alofa ne répondait pas aux questions que lui posaient les gendarmes et qu’ils ont dû penser qu’ « il fallait passer à autre chose ». Pour la partie civile et la défense, cela est un acte de torture et la cour doit en donner acte. « Je peux vous dire que ce monsieur n’a pas été torturé », rectifie le témoin. Pas du goût de la partie civile qui le reprend et le prie de rappeler dans quelles conditions Alofa a indiqué Donatien comme son complice, quand et dans quelles conditions il a vu Alofa à bord du véhicule. « C’est plusieurs jours (trois ou quatre) avant que l’affaire ne fasse des vagues, devant l’hôtel, que je l’ai vu… », répond le témoin. Pour répéter ensuite qu’ayant déposé le sac et son contenu à Océan FM, il a continué à appeler Donatien qui ne se présentait toujours pas, comme depuis qu’il l’a informé d’avoir reçu un sac de son ami. C’est plus tard qu’il apprend que « Amoussou est impliqué ». Cela, dit-il, l’a surpris puisque c’est ce même Donatien et son frère Auguste qui ont pris l’initiative d’aller voir l’ancien DG/ORTB, Julien Pierre Akpaki, qui les enverra vers le colonel Koumasségbo à la présidence de la République. Il renseigne aussi que le jour où Alofa a identifié Donatien comme son complice, à la brigade, il y avait un groupe de personnes dont certaines en civil, d’autres encore torse nu. Me Magloire Yansunnu en déduit que le contrôleur général Prince Alédji a pu faire économie de vérité la veille, en ne reconnaissant pas « la scène » où Donatien a été mis en présence de personnes qui étaient torse nu. Sur ces entrefaites, Donatien ne ressort pas libre. Lui Priso s’en inquiète, cherche à comprendre. On lui fait savoir qu’ « il ne dit pas la vérité » et qu’« il est impliqué car les listings le dénoncent ». Ses déclarations laissent pantois Me Yansunnu qui lui dit son étonnement quant à sa mise hors de cause. Il s’étonne à son tour et réfléchit à haute voix : « Donc selon vous, on devait m’arrêter… ». Rires dans le prétoire. Rires encore chaque fois que le témoin déclare ne pas comprendre une question pour se la faire préciser, comme lorsque Me Zinflou lui demande que retenir de ses déclarations antérieures ou de celles qu’il fait à la barre. Priso répond : « Si vous avez des questions à poser, allez-y ! » Les questions l’amènent à expliquer que c’est M. Dégbo qui a emmené Alofa du commissariat d’Agla vers la gendarmerie… Au bout de 90 minutes pratiquement de déposition, le témoin peut souffler.

« Alofa a reconnu être l’auteur du meurtre »

Lui succède à la barre, le commissaire de police Séidou Houndé, en poste au commissariat de Fidjrossè à l’époque. C’est à ce titre qu’il a été désigné pour faire partie de la commission d’enquête mise en place. C’est lors d’une confrontation avec un Camerounais qu’Alofa, qui avait jusque-là nié les faits, a déclaré être l’auteur du meurtre, se souvient-il. C’est alors qu’il lui a été demandé d’indiquer où se trouvait le corps. Il a ainsi déclaré que le corps était inhumé devant son domicile… Sur les lieux, et sur son indication, à peine a-t-on commencé à creuser que l’odeur de putréfaction a infesté l’environnement. Plus tard, un expert allemand, en autopsiant le corps, a relevé qu’un os de la gorge était cassé, restitue encore le commissaire. Qui a rejoint la commission le 17 septembre alors qu’elle était en place depuis deux semaines déjà, et laisse entendre que les « aveux » d’Alofa sont intervenus hors sa présence, que cela corroborait les déclarations de ce dernier qui aurait laissé entendre à la commission que c’est avec un fil de fer que Dangnivo a été étranglé. Joseph Djogbénou qui considère le Camerounais Priso comme « un agent, un informateur », prie la cour de le garder jusqu’à la fin des débats.
Gilles Sodonon invite la défense et la partie civile à observer scrupuleusement les dispositions de l’article 316 du Code de procédure pénale et à ne plus poser des questions qui influencent les témoins. Colère de la défense qui invite carrément à « ôter la vie aux avocats », sinon à leur « ôter la parole » et alors il n’y aurait pas de procès. La défense accuse le ministère public de « faire corps avec les témoins ». Volées de bois verts entre avocats. Le président Félix Dossa, avec énergie, reprend la police de la parole. Me Nicolin Assogba de la partie civile, s’étonne que les aveux étant intervenus à fin septembre d’après les procès-verbaux, le témoin ne puisse dire s’il était présent ou pas. Finalement pas très intéressant pour la défense et la partie civile, l’officier de police est prié de céder la place au témoin suivant.

Le témoin Priso,
l’indicateur ?

L’adjudant chef Lucien Dègbo arrive, s’appuyant sur une béquille côté gauche. Il balaie du regard le banc des accusés. Il est autorisé à s’asseoir sur une chaise. L’accusé Alofa sollicite l’autorisation de satisfaire un besoin physiologique. L’avocat général porte sa doléance à la cour qui y accède. Il se retire sous bonne garde et revient deux minutes après. Les deux accusés se concertent de temps à autre. « Aujourd’hui est un grand jour pour que la vérité éclate » commence M. Dègbo qui poursuit qu’Alofa a déclaré avoir connu Dangnivo par sa femme de Godomey, que celui-ci l’a sollicité pour connaître de la promotion dans son service, aider sa fille à trouver un mari et éliminer dame Prisca et son enfant qu’elle lui attribuait… De tout ceci, il aurait informé son ami Isidore Akon qui aurait suggéré, puisque lui était prêt à éliminer des personnes, de l’éliminer lui-même plutôt. Parti pour un rendez-vous avec Alofa, Dangnivo se serait égaré Alofa aurait envoyé son ami Isidore le chercher pour le conduire à la maison. Le meurtre serait survenu après qu’ils lui auront donné du somnifère (fourni par Donatien et porté par Polo) dans de l’eau de vie locale (sodabi), dont le troisième verre l’aurait plongé dans le coma après que les deux premiers l’eurent secoué au point de le faire dandiner… Alofa aurait raconté à la commission comment ils ont ensuite donné un coup à la nuque de la victime. Sa langue serait alors sortie de sa bouche, ils l’auraient coupée, de même qu’ils lui auraient arraché l’œil gauche, les deux oreilles, le cœur, le bijou de famille… (rires dans le public). « Si au commissariat, Alofa ne voulait pas reconnaître les faits, dès que nous avons introduit Priso, il est passé aux aveux », rapporte le témoin Dègbo. Qui complète qu’ayant conduit la commission sur les lieux, Alofa a indiqué non loin de la sépulture, un bocal contenant les organes prélevés. De même, il renseigne qu’Alofa a révélé que la ceinture de Dangnivo et son portable double SIM étaient en sa possession. Lequel avait été déposé au greffe de la prison civile puisque la commission l’a effectivement retrouvé là. La partie civile veut comprendre pourquoi, à la seule vue de Priso, Alofa serait passé aux aveux. « C’est un informateur et sans lui, on n’aurait peut-être jamais vu le corps, on ne serait peut-être pas là aujourd’hui », répond M. Dègbo. Des demandes de « donner acte » fusent des bancs de la défense et de la partie civile. Appelé à dire pourquoi la vue de Priso susciterait une telle réaction chez Alofa, il justifie : « Il était à l’hôtel, quand les accusés y sont revenus le jour où ils ont tué Dangnivo et a pu voir ce qu’ils manigançaient… » A ce moment, surgit dans le prétoire Priso. La partie civile et la défense s’en indignent, dénoncent cette intrusion, protestent contre sa présence et n’entendent pas qu’ « il soit l’indicateur de la cour après avoir été celui de la commission d’enquête ». Ils affirment que c’est le ministère public qui a demandé qu’on l’introduise. Gilles Sodonon ne permet pas qu’on dise des « contre vérités ».

Le président de la cour de céans assure être celui qui a demandé de conduire le témoin dans la salle d’audience. Il en sera retiré. Jean de Dieu Houssou se porte vers le témoin Dègbo, son client, et lui chuchote quelques mots. Ça gronde du côté de la partie civile. Eclats de voix entre avocats. Le calme revient. Quand on lui demande à quel moment il a rencontré les experts français et allemand, il répond que c’est après la découverte du corps. Quand ce corps a-t-il été découvert ? « Le 27 septembre », affirme-t-il. La partie civile entend se faire donner acte de ce qu’il a dit avoir rencontré les experts le 27 septembre. Il proteste, et précise avoir bien dit après le 27. Clameurs dans le prétoire. Me Zinflou n’a qu’une question pour le témoin : « Lorsqu’on arrête quelqu’un dans le cadre d’une procédure et qu’on retrouve des portables sur lui, qu’est-ce qu’on en fait ? » Il répond, à la satisfaction de l’avocat, « on les saisit et on en fait mention dans le procès-verbal ».

Aux préoccupations de Me Magloire Yansunnu relativement aux conditions dans lesquelles les aveux d’Alofa seraient intervenus, il répond que les choses ne se sont pas passées comme l’aurait indiqué Priso. Ni comme le soutenait M. Prince Alèdji, s’agissant des conditions dans lesquelles Donatien a été identifié par Alofa. Selon lui, parce qu’il ne répondait pas aux convocations de la commission, Donatien était devenu suspect et c’est pour cela que le commandant de compagnie l’a invité, qu’on l’a présenté à Alofa avec d’autres personnes dont certaines étaient torse nu…

Explications entre accuséset M. Dègbo

C’est de ce M. Dègbo que Donatien avait dit qu’il lui a tendu un piège en lui proposant de s’enfuir alors qu’il le conduisait du tribunal à la prison civile. « Il n’en est absolument rien », rectifie le témoin. Qui parle plutôt d’une « tentative de fuite » de l’accusé. Confronté à Priso au sujet des conditions d’identification de Donatien, M. Dègbo nuance ses propos et dit ne plus pouvoir dire formellement si les choses se sont passées comme le soutient Priso. Lequel récuse le portrait d’ « informateur » qu’on peint de lui, fait clairement savoir quand il ne comprend pas certaines questions, ce qui déclenche les désapprobations de la salle. Pour M. Dègbo, « informateur, agent de renseignement, dénonciateur, sont des mots de même famille ». Tempête de rires. Priso a-t-il déclaré à la commission qu’Alofa était gardé dans un commissariat sur la route de Calavi pour vol de moto ? M. Dègbo dit ne pas s’en souvenir. Me Yansunnu insiste pour savoir si des tables ont bien été dégagées de son bureau où on interrogeait Alofa et où il aurait fait les aveux. Réponse de Priso qui ne peut s’empêcher de sourire : « Les gens ont juste poussé les tables. » Il accompagne cette réponse du geste. Alofa, invité à la barre, répète que Lucien Dègbo est bien au fait de ce qui a pu se passer avec le sieur Dangnivo, puisque c’est lui, un certain Jean Aladé, et un troisième qui ont monté le coup et l’ont amené à porter la responsabilité.

En réponse, M. Dègbo revendique 30 ans de service bien accomplis. « Mais comment Alofa, qui loue l’immeuble qu’il habite, aurait-il pu inhumer un cadavre en ces lieux ? », lui lance Me Yansunnu. Il répond qu’il faut qu’il interroge bien son client. La partie vire à un dialogue entre Alofa et M. Dègbo. Le premier demande au second s’il lui a régulièrement procuré à manger, donné de l’argent (58.400 FCFA notamment une fois) et autres utilitaires (dentifrice, brosse à dents). Toutes choses qui, à ses dires, ne visaient qu’à le conditionner ou à lui témoigner soutien après qu’il a accepté de porter la responsabilité. L’adjudant chef retraité oppose que c’est parce qu’il n’avait personne et que l’Etat ne lui a pas donné des moyens pour s’en occuper. L’avocat lui fait observer qu’il a rendu visite à Alofa aussi bien pendant sa garde à vue, qu’à la prison civile de Missérété. Il précise que c’est une seule fois qu’il lui a porté du gari et du sucre à la prison, reconnaît lui avoir donné de l’argent sans plus pouvoir dire combien. Mais pas du riz ou du dentifrice. Alofa tutoie carrément son vis-à-vis, le regarde dans les yeux et lui suggère de solliciter une permission de la cour pour aller boire un peu du breuvage qu’il lui servait pour l’aider à vaincre ses peurs, afin de revenir pour dire la vérité. Quant à Donatien, il développe que c’est en repartant du parquet pour retourner à la prison que la scène dont il parlait précédemment s’est produite et en livre à nouveau des détails. M. Dègbo rappelle régulièrement qu’il est « un agent assermenté », soutient plutôt que c’est Donatien qui lui a demandé de bien vouloir lui desserrer un peu les menottes parce qu’il avait mal et alors qu’il essayait déjà à son insu de se défaire desdites menottes. C’est suite à cette scène, reprend Donatien, que le commandant Laourou est arrivé et qu’on l’a bien maltraité, transporté dans la malle arrière du commandant, avant d’aller encore le battre… En sus, des menaces et intimidations auraient été exercées sur lui et ses amis, des accointances ont pu exister aussi entre eux et certains responsables jusqu’à ce que le colonel Koumasségbo leur défende de répondre aux appels de M. Dègbo et du capitaine. Des déclarations que Priso dit confirmer. L’adjudant-chef Dègbo semble ébahi… Me Djogbénou relève que sur le document qu’il a introduit à la cour comme étant fourni par la morgue après le dépôt du corps de Womey, il est mentionné « date et lieu du décès : 27 septembre »

Lani Bernard Davo confirme les propos de Donatien mais nuance…

Lani Bernard Davo est à la barre. Il ne connaît pas Donatien mais reconnaît être allé le voir à la prison et lui avoir donné 50 000 FCFA. « Un jour courant avril 2014 alors que je me rendais sur Porto-Novo, se rappelle-t-il, j’ai reçu un appel d’un agent de la garde rapprochée du président de la République qui était en mission avec lui à Parakou. C’est cet agent qui m’a demandé, soutenant que c’est de la part du chef de l’Etat, d’aller remettre 200 000 FCFA à un prisonnier du nom d’Amoussou, qui serait souffrant. » Il dit avoir répondu qu’il n’avait pas cette somme, que l’on a essayé aussi de joindre son ancien collègue Houaga pour la même cause mais sans succès. Il poursuit, qu’une fois sur les lieux, il a plutôt rencontré le procureur général Georges Constant Amoussou qui lui paraissait très en forme. Il a alors essayé de joindre en vain, le garde. C’est le soir qu’il sera rappelé par ce dernier, qui lui fait comprendre qu’il n’a pas vu la bonne personne et qu’il devrait retourner demander à voir « Amoussou le militaire ». « C’est ainsi, poursuit le témoin, que je suis retourné sur les lieux lui remettre la somme de 50 000F CFA. Là-dessus, le détenu a exprimé sa déception puisqu’on lui aurait plutôt promis 200 000F CFA, et il s’est plaint de ce que les autres sont en liberté et lui en prison, qu’il faut qu’il soit libéré aussi… » Donatien persiste que l’ancien ministre est passé le voir par trois fois en prison et que le registre de la prison peut en témoigner. La première fois, il lui aurait remis 20 000F CFA, 80 000F CFA la deuxième fois et, la troisième fois, 200 000F CFA dans un livret de poche intitulé « La bonne semence ».

Le tout, de la part de « la haute autorité » et lui suggérant de répondre au régisseur, s’il demandait la raison de son passage en ces lieux, qu’il avait été son garde corps. Ce qui n’était nullement le cas… M. Davo, ne pouvant dire si le chef de l’Etat se préoccupe des détenus, considère cependant comme vraisemblable qu’il se soucie de la situation des gens. Il n’exclut pas que les faits fussent aussi l’œuvre d’un réseau d’escroquerie. Il reconnaît également avoir laissé au détenu la brochure, parce que le croyant souffrant, et l’invitait ainsi à s’abreuver de la parole de Dieu, mais soutient n’être allé à la prison qu’une seule fois, et n’avoir remis que la somme de 50 000F CFA à Donatien.

N’Dah, Laourou et Koumasségbo déposent

Pour sa part, le général Théophle N’Dah, ancien ministre de l’Intérieur (sous le président Mathieu Kérékou), déposant à la barre, dit ne pas connaître Alofa mais avoir déjà rencontré Donatien. Il dit s’être rendu à la prison civile de Porto-Novo pour voir l’ex procureur général (PG) Georges Constant Amoussou, courant avril 2014. « C’est la coïncidence de noms qui a fait qu’on a extrait Donatien plutôt que l’ex procureur général », explique-t-il. « Faux ! » s’insurge Donatien, qui persiste à dire que l’ancien ministre a bien rencontré le PG, et lui aussi pour lui remettre une somme de 250 000F CFA « de la part du palais ». Qu’il avait même voulu lui remettre sa carte de visite avant de s’en abstenir. Et s’étonne qu’alors qu’un Amoussou célèbre (l’ex PG) était en détention, qu’on soit plutôt allé le chercher lui, Donatien, pour le ministre. « Non, c’est bien moi qu’il était allé voir et le registre peut en témoigner » gronde l’accusé. Le témoin n’en revient pas, s’indigne…
Quant au commandant Enock Laourou, directeur des Services de Liaison et de la Documentation (DSLD) de la présidence de la République, il fait la moue quand la cour lui présente les accusés. Le public en rit. Il déclare sobrement que c’est par voie de presse qu’il a eu connaissance de l’affaire Dangnivo et que ses fonctions ne lui permettent pas d’en dire plus. Me Djogbénou le rassure qu’on ne lui en voudrait pas si malgré le serment prêté, il n’était pas en mesure de répondre aux questions qui lui seraient posées.

L’officier de gendarmerie lui demande de poser ses questions, auxquelles il répondrait autant que possible. L’avocat lui demande à brûle pourpoint ce qu’il s’est passé à la présidence de la République avec Dangnivo. Il s’indigne et fait savoir ensuite qu’il n’est arrivé à son poste qu’en 2012, donc après le déclenchement de l’affaire. L’incident du camp Guézo avec Dègbo et Donatien comme protagonistes, il dit en avoir été informé, s’être porté sur les lieux, avant de repartir. Version angélique d’après Donatien qui soutient encore que le commandant lui a posé une godasse sur la tempe pendant 5 à 6 minutes, qu’il lui a dit que la population saurait qu’ils ont arrêté un innocent pour l’affaire Dangnivo. C’est alors que le commandant l’aurait embarqué dans la malle arrière de sa voiture alors qu’il était déjà introduit dans une pick-up. Et qu’une fois à la brigade, il a ordonné à des agents de bien le frapper. Amusement de l’officier qui affirme que s’il avait été sur les lieux de la tentative d’évasion de Donatien, il aurait aidé ses collègues à le rattraper et que, le cas échéant, « on ne l’aurait pas caressé ». La défense, qui dit n’avoir pas eu de procès-verbal d’arrestation ni de transfèrement malgré ses demandes dans ce sens, veut savoir ce que l’officier sait du transfèrement d’Alofa du Togo vers le Bénin puisqu’il dit avoir été à Hillacondji pour « suivre de loin », en sa qualité de DSLD.

Son avocat, Elie Vlavonou, objecte que cela n’entre pas dans le cadre de la présente affaire. Désapprobation du public. Echanges d’amabilités entre avocats… Le commandant ne reconnaît pas avoir transporté Donatien dans sa malle arrière, les mains menottées dans le dos. Mieux, « je ne veux pas lui répondre », tranche-t-il.
Au tour du colonel Sévérin Koumasségbo, ancien chef du service sécurité à la présidence de la République et actuellement en mission à l’ambassade du Bénin à Paris, de plancher. Sa version diffère en partie de celles de Donatien et Priso. Car, d’après le récit que Priso lui aurait fait, il avait dit reconnaître dans le véhicule Audi blanc, quelqu’un qu’on appelait « hounnon » (NDLR : guérisseur) et qu’il pouvait identifier à nouveau… Le colonel dit avoir commencé à douter de Donatien lorsqu’il s’est dérobé à un rendez-vous à trois reprises en prétextant qu’il était à Ouidah, et que finalement son frère aîné (à qui il se plaignait) l’a conduit à lui après lui avoir signalé que Donatien n’était pas à Ouidah. C’est lui, Koumasségbo qui a mis les intéressés en contact avec la commission d’enquête…

La défense se fait donner acte de ce que le colonel a déclaré qu’ayant appris qu’il était sur le dossier, le chef de l’Etat lui a donné de l’argent et invité à faire savoir s’il en avait davantage besoin. Elle est intriguée par le fait que Priso ait pu l’informer de l’arrestation du ‘’hounnon’’ et que lui se soit aussitôt mis à la recherche de cet individu. Enquiquiné, le colonel s’emporte. Ses conseils le calment. La partie civile lui fait dire qu’ « en matière de sécurité des VIP, on ne rend pas compte. On fait tout seul. C’est le résultat de la mission qu’on vous demande… » Me Yansunnu relève qu’il dit avoir fini sa mission et fait cas de son sentiment que c’est le témoin qui est l’acteur « de ce montage ». Indignation côté avocats des témoins. Me Yansunnu en profite pour dénoncer leur constitution et l’illégalité de leur prise de parole dans le prétoire.

Qu’est-ce qui prouve que Dangnivo est mort ?

Me Yansunnu menace de déposer ses conclusions et de se retirer si le président ne l’écoute pas. Comme question préjudicielle, il rappelle le défaut de certificat de décès au dossier et souhaite que cette question soit résolue avant d’aller plus loin pour déterminer qui est auteur ou complice d’assassinat. En tout état de cause, il sollicite de la cour qu’elle mette en liberté provisoire Alofa et Donatien jusqu’à ce que soit faite la preuve du décès. Me Zinflou renchérit se fondant sur le flou né de la pièce introduite par le sieur Lucien Dègbo, qui renseigne que le décès serait intervenu le 27 septembre à 20h47.

La partie civile fait chorus et invite à établir d’abord la mort de Dangnivo, ce dont seul le tribunal civil a compétence. Aussi, en l’absence de cette démarche, le présent procès ne saurait-il être poursuivi. La seule conséquence qui s’en déduit, pour la partie civile, c’est le renvoi du dossier à une session ultérieure de la Cour d’assises, surtout que ni la mort physique, ni la mort juridique de Dangnivo, ne sont prouvées. On rappelle ici que la famille Dangnivo a déposé plainte pour « enlèvement et séquestration » mais que « rien n’a été fait » dans ce sens. Et on plaide qu’il eut fallu préalablement qu’on recherchât les preuves de la mort, celle de l’implication des accusés à travers des liens évidents que la recherche d’ADN aurait pu mettre en évidence.

Toutes choses qui font soutenir à la partie civile que le dossier n’est pas en état d’être jugé, que les principaux acteurs de cette affaire ne sont pas ceux qui comparaissent. On indexe la présidence de la République d’où tout partirait et reviendrait dans cette affaire… « C’est un dossier politique, c’est un crime d’Etat… », conclut Me Djogbénou. Et il invoque l’article 319 du Code de procédure pénale qui fait obligation à la cour de statuer lorsque la partie civile dépose des conclusions. Salve d’applaudissements dans le prétoire. Pour Gilles Sodonon, « nous ne sommes plus à l’étape des questions préjudicielles et celle soulevée doit être rejetée.

L’acte du décès n’est pas une question préjudicielle. La preuve de la mort, acte administratif de déclaration, peut se faire par tous les moyens. Le constat de ce décès a été fait par les expertises réalisées… Tout a été fait et il a été offert à la partie civile de choisir elle-même les experts qui lui conviennent pour les examens mais elle n’a pas voulu se prêter à cette démarche. Les articles 320 et 374 du Code de procédure pénale prescrivent que les arrêts sur les incidents et exceptions ne préjugent pas du jugement au fond. Et que tout recours y relatif ne peut intervenir qu’en même temps que celui portant éventuellement sur la décision au fond. », oppose-t-il. Aussi requiert-il que la cour joigne ces incidents au fond pour la reddition d’une décision unique… Me Djogbénou rappelle que la question préjudicielle a été soulevée à l’entame de la présente procédure. Clame que la question préjudicielle doit être traitée avant le fond, qu’elle ne peut être jointe au fond… Que le Code de la famille prescrit que lorsqu’un décès n’est pas constaté sur le champ ou dans les dix jours, c’est un jugement déclaratif qui l’établit. « La question préjudicielle est imparable, tout comme la demande de renvoi », assène encore l’avocat de la partie civile.
La cour renvoie l’audience à ce jour et annonce qu’elle fera savoir sa position relativement aux conclusions déposées.


La défense insiste pour dire que le rapport d’expertise indique clairement qu’il reste à confirmer, par des analyses ADN, si le cadavre exhumé est bien celui de Dangnivo. Elle réitère que la question préjudicielle ne peut pas être jointe au fond. Me Zinflou développe que si les préoccupations qui font l’objet de la question préjudicielle étaient fondées, ce qui est le cas selon lui, l’infraction disparaîtrait. En attendant, il sollicite la liberté provisoire pour les accusés, en réaffirmant que dans la nuit du 3 au 4 novembre dernier, une ordonnance aux fins d’enterrement collectif de 350 corps a été délivrée. Et suggère ainsi que des manipulations possibles ont pu intervenir…
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