La décision de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) portant mesure conservatoire contre le quotidien Le Matinal continue de faire des vagues. Dans une lettre conjointe datée du 12 novembre 2015, les conseillers Marie-Richard Magnidet et Pascal Zantou désapprouvent fortement cette décision du président de la HAAC qui constitue, à leurs yeux, une violation de la loi organique et du règlement intérieur de l’institution.
La décision N°15-045 portant mesure conservatoire contre le quotidien Le Matinal, prise unilatéralement le 3 novembre 2015 par le président de la Haute autorité de l’information et de la communication (HAAC), est de nature à « ternir l’image de la HAAC, à décrédibiliser l’institution… ». Dans une correspondance adressée à ce dernier le 12 novembre, les conseillers Marie-Richard Magnidet et Pascal Zantou attirent l’attention du président de l’institution sur certains faits qui amènent à mettre en cause sa « capacité à gérer de manière cohérente des situations difficiles ».
En effet, ils rappellent que la décision de suspendre la publication du journal Le Matinal jusqu’à audition de son directeur de publication et des auteurs des articles incriminés par la HAAC visait deux articles rédigés dans un champ lexical particulièrement injurieux, mettant le journal en porte-à-faux avec sa mission sociale d’éducation des masses. Deux semaines plus tôt, soit le 20 octobre 2015, précisent-ils, une décision similaire avait été prise contre le journal L’Enquêteur.
De même, les conseillers évoquent le communiqué du président de la HAAC, rendu public le 5 novembre 2015, interpellant les organes de presse qui relaient « sans discernement les activités des états-majors des partis et alliances de partis politiques ainsi que des mouvements de soutien aux potentiels candidats dans la perspective de l’élection présidentielle du 28 février 2015 ».
Des observations
En outre, Marie-Richard Magnidet et Pascal Zantou indiquent que le 6 novembre 2015, le président de l’institution a procédé à la nomination, à titre intérimaire, de certains cadres dont le secrétaire général adjoint, le directeur des affaires juridiques, de la déontologie et du contentieux puis du chef de la déontologie et du contentieux. Or, font-ils remarquer, le 1er juillet 2015, le poste de secrétaire général avait déjà été pourvu à titre intérimaire. Aussi, d’autres postes de responsabilités ont-ils été aussi pourvus à titre intérimaire le 23 janvier 2015.
Au regard de ce qui précède, les conseillers formulent quelques observations.
D’abord, le fondement des mesures conservatoires. Les conseillers estiment qu’elles sont conformes à l’article 55 de la Loi organique N° 92-021 du 21 août 1992 relative à la HAAC, lequel donne pleins pouvoirs au président de l’institution pour prendre de telles mesures. Néanmoins, l’article 101 du règlement intérieur de la HAAC relativise en exigeant de ce dernier d’en informer dans les plus brefs délais la plénière des conseillers.
Mais à la réalité, la plénière des conseillers n’est pas informée, jusque-là, de ces décisions que les conseillers signataires de cette lettre qualifient « d’une extrême gravité ». Ils trouvent la situation plus inquiétante, dans la mesure où la qualité des écrits incriminée n’est pas seulement l’apanage des seuls quotidiens sanctionnés. A titre illustratif, ils informent qu’il y a quelques semaines, la chaîne de télévision nationale ORTB avait relayé des propos du chef de l’Etat stigmatisant un groupe ethnique de notre pays. Par ce fait, l’organe de presse a violé les lois de la République. Mais, s’indignent-ils, cette situation n’a pas suscité le moindre émoi de la part du président de la HAAC. Ils comprennent encore moins ses décisions qui semblent confirmer la rumeur faisant état de l’existence d’une liste noire d’organes de presse à museler, du fait de leurs publications hostiles au président de la République.
Des exhortations
Ensuite, dans la même logique, ils condamnent la démarche du président de la HAAC dans la publication du communiqué du 5 novembre 2015, lequela été pris sans aucune concertation de la plénière des conseillers. Alors que d’ordinaire, la HAAC prend une décision pour assurer la régulation des médias en période de précampagne électorale, le président a préféré se fendre d’un communiqué. Une initiative que fustigent les conseillers qui voient le président de l’institution se lancer, de plus en plus, dans une forme de régulation solitaire visant à contourner la plénière.
Enfin, concernant les nominations par intérim, les conseillers Magnidet et Zantou font l’amer constat que depuis janvier 2015, le président ne fait que procéder qu’à des nominations conformément aux dispositions de l’article 21, dernier alinéa du règlement intérieur qui donne le droit au président de nommer des personnalités au sein de la HAAC. Mais, le même règlement intérieur prévoit en son article 57 que les directeurs et les chefs de services « sont nommés par le président de la HAAC après approbation de l’Assemblée des conseillers ».
Afin que l’institution ne sombre dans une violation permanente des textes qui la régissent, les conseillers, loin de défier leur président, attirent ainsi son attention sur « les dangers d’isolement que court l’institution de régulation des médias ». C’est pourquoi, à voir les décisions prises par lui ces derniers temps, ils l’invitent à « revenir aux fondamentaux de l’institution, aux normes de gestion d’une administration moderne, aux modes modernes de régulation qui exigent une forte implication des parties prenantes ».
Soulignant par ailleurs que le Bénin se prépare à aborder un des moments décisifs de son histoire avec la perspective de l’élection présidentielle de février 2016, les conseillers ont insisté sur le rôle d’une instance de régulation comme la HAAC, chargée de veiller à la mise dans des conditions de confiance, des professionnels des médias.
P. A.