Le renouveau démocratique intervenu après la conférence nationale de Février 1990 a consacré dans notre pays les principes et valeurs démocratiques, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et individuelles. La construction d’un Etat de droit qui est le projet porteur de ce renouveau démocratique s’essouffle avec pour corollaires, les déviances de toutes sortes dans les différents domaines de la vie économique, socio-politique, institutionnelle et culturelle. Nous avons cru à l’avènement du changement prophétisé par le candidat BONI YAYI en 2006. Aujourd’hui, le régime dit du changement a déçu tous les espoirs nourris par le peuple et trahi toutes les valeurs de démocratie, de liberté et de respect des droits de l’homme proférées dans le fameux projet de société « ça va changer, ça peut changer, ça doit changer ». L’objectif de mes propos ici n’est pas de juger le régime de BONI YAYI, mais de préciser le contexte dans lequel nous aborderons l’élection présidentielle de Février 2016. En effet, nous sortons actuellement des élections législatives et communales qui ont révélé d’une part, la maturité politique du peuple béninois et de l’autre la faillite de la classe politique qui s’est illustrée par les pratiques détestables de corruption et d’utilisation honteuse de l’argent, devenu le maître dans nos élections. Qu’il vous souvienne, les tristes évènements de la mise en place du Bureau de l’Assemblée Nationale en Juin 2015 avec l’allégorie de deux télécommandes qui fonctionnaient l’une à Cotonou et l’autre à Paris. Ceci a complètement discrédité les politiciens qui ont sacrifié, non seulement, leurs électeurs au profit de leurs ambitions matérielles égoïstes, mais aussi confirmé que pour eux, la nature des votes des populations n’a aucun sens, voire, ne mérite respect. Ainsi, notre classe politique a outrageusement établi l’équation : élection=argent. C’est pourquoi, dans la conscience collective, celui qui gagne les élections, c’est celui qui dépense le plus d’argent. En d’autres termes, gagner les élections aujourd’hui au Bénin, c’est acheter le vote des électeurs. Quelle tristesse d’arriver à un tel niveau de déchéance éthique ? Les débats d’idées et sur les projets de société n’ont jamais imposé leur loi pour le choix des élus. Alors, pourquoi s’offusquer maintenant de voir les grands opérateurs économiques de notre pays descendre directement dans l’arène politique ?
TALON et AJAVON financent les politiciens
L’histoire politique de notre pays nous enseigne que les hommes qui nous gouvernent obtiennent leur légitimité des actions de ceux qui les financent. C’est d’autant plus vrai que, même les nombreux coups d’état militaires ayant émaillé notre histoire,ont été financés par les pouvoirs d’argent. Ces hommes ou institutions de l’ombre sont connus de plus en plus depuis ces dernières années. Parmi eux, on peut citer Patrice TALON et Sébastien AJAVON. On retiendra en particulier que l’intervention financière de Patrice TALON a été décisive en 2006. En 2011, Sébastien AJAVON s’est fait également remarquer pour avoir financé beaucoup de candidats, en l’occurrence les plus grands. En outre, au cours de cette dernière décennie et plus précisément depuis 2001, le système partisan a été entretenu et soutenu financièrement par les gros opérateurs économiques. Dans ces conditions, peut-on dire que ces opérateurs économiques sont étrangers à la politique ? Dans tous les pays du monde, ceux qui font et défont les régimes politiques sont les lobbies financiers. Et cela est encore plus vrai en Afrique. En définitive, ce sont les lobbies financiers qui contrôlent et gèrent les politiques de telle sorte que le politique qui ne prend pas ancrage sur l’économique tourne à vide, rate ses objectifs et ne sert point le peuple.
Les politiciens ne respectent pas les engagements pris
Les politiciens définissent à leur guise la politique comme l’art de faire passer le vrai pour le faux et de soutenir le faux au détriment du vrai. Ce faisant, ils se sont décrédibilisés aux yeux des populations qui vivent douloureusement les promesses non tenues et l’aggravation de leur mal de développement. Les engagements pris auprès du peuple surtout à l’occasion des joutes électorales ne sont jamais tenus comme pour corroborer l’assertion selon laquelle « les promesses de campagne électorale n’engagent que ceux qui y croient. »Dans ces conditions, les politiciens pensent-ils toujours continuer à berner les populations ? Sont-ils conscients de cette mauvaise image qu’ils renvoient à notre société ? Les populations béninoises ont beaucoup mûri et sont déterminées à ne plus se laisser abuser. Malheureusement, leurs réactions n’honorent guère la société, car contraires aux valeurs démocratiques et éthiques. Elles ne votent plus aujourd’hui par conviction ni militantisme mais plutôt pour l’argent et les dons en nature reçus. Voilà la conséquence directe des engagements non tenus.
Le système partisan est en panne
La constitution du 11 Décembre 1990 confère aux partis politiques l’animation de la vie politique dans notre pays. Au sortir de la conférence des forces vives de la nation de Février 1990, l’option partisane prise est le multipartisme intégral. Ceci correspondait aux contextes et défis démocratiques du moment. Mais qu’avons-nous fait de cette option ? Le Bénin est-il fier actuellement d’avoir plus de 260 partis politiques ? Je suis convaincu qu’en allant même sur un marché de meubles de salon, on ne pourrait trouver 260 modèles différents. Qu’ont-ils fait concrètement par rapport à leur mission première d’animation de la vie politique, voire d’éducation des populations ? La plupart des partis politiques créés, l’ont été pour légitimer une position ou pour servir de strapontin pour une ascension politique afin d’en tirer des avantages matériels et financiers. Dans cet océan de partis, on observe quelques grandes formations politiques qui se partagent sans conteste la scène politique du pays. D’aucuns les qualifient de clubs électoraux, car elles ne se font sentir que lors des élections, pendant que d’autres estiment qu’elles sont des partis ethniques, car, ancrés dans des fiefs où ils font l’essentiel de leurs résultats. Ces formations politiques ne fonctionnent que par système d’alerte basé sur des réactions à des faits politiques majeurs intervenus dans la République. Le cas de l’alliance FCBE est pathétique. Voici une formation politique du pouvoir bien représentée sur toute l’étendue du territoire avec des organes de coordination pyramidaux qui, par définition, ne devraient pas manquer de moyens. Mais, c’est scandaleux de savoir que ces organes ne fonctionnent pas. Les membres chargés d’animer ces coordinations ont été cooptés et ne se connaissent pas tous. Le coordonnateur national ne coordonne rien, tout lui échappe car FCBE est dirigé du haut de manière solitaire.
Le système partisan est en panne, sinon, comment comprendre qu’à moins de deux mois du dépôt des candidatures pour la présidentielle de Février 2016, aucune grande formation politique n’ait encore investi son candidat. Ces formations politiques sont empêtrées dans des contradictions internes graves et engagées dans des luttes intestines sans merci où tous les coups sont permis. Quel spectacle désolant ? Quelle asthénie démocratique ? C’est la preuve que les partis ne sont pas à la hauteur des aspirations du peuple béninois.
Par ailleurs, l’histoire politique de notre pays depuis le renouveau démocratique nous enseigne que tous les présidents de la République élus étaient des candidats indépendants. Cette réalité est encore loin d’être démentie. C’est dire que le 06 Avril 2016, le président qui prêtera serment a toutes les chances d’être candidat indépendant. Pourquoi ?
La Classe politique a lamentablement échoué
Depuis le renouveau démocratique en 1991, la classe politique s’est toujours illustrée par les intrigues de tous genres, des stratégies de remise en cause du consensus national obtenu à la conférence des Forces Vives de la Nation et des déchirements internes préjudiciables à la cohésion des formations politiques. Les hommes politiques n’ont pas souvent réussi à agir dans l’intérêt du peuple, privilégiant avant tout leur confort matériel et financier. La classe politique a toujours exercé le pouvoir d’Etat depuis l’indépendance en 1960. Leur rêve de faire du Bénin un pays prospère, bien gouverné, en paix et rayonnant dans la sous-région ne s’est pas transformé en réalité à ce jour. La période 1960-1972 est celle des balbutiements nationalistes, mais marquée par les divisions régionalistes et les assauts néocolonialistes. La période 1972-1990 symbolise la montée et le déclin de la révolution marxiste-léniniste avec son cortège de violations des droits de l’homme, des libertés fondamentales et individuelles. Cette forme d’organisation sociale a discipliné le peuple autour des valeurs révolutionnaires, mais n’a pas pu conduire le pays à réaliser un développement économique. La corruption y était latente et circonscrite autour d’une minorité d’acteurs. La période 1991-2006 est celle du fourmillement démocratique et de l’instauration d’un Etat de droits et des libertés. Quinze années d’expérimentation de la démocratie, symbolisée par l’organisation des élections régulières non transparentes et fiables. La fraude était au cœur du processus électoral tel un virus dévastateur de la légitimité des élus. On a presque toujours le sentiment que nos candidats étaient mal élus, mais arboraient de manière factice leur habit de président, députés et conseillers. La période 2006 à ce jour consacre le régime du changement prolongé par la refondation. Le peuple béninois avait nourri beaucoup d’espoir en 2006. Malheureusement aujourd’hui, tous les indicateurs économiques fondamentaux et démocratiques sont au rouge, la paix sociale constamment menacée, les libertés individuelles et fondamentales mises à mal, l’être humain ayant cessé d’être sacré et relégué à l’état de chose. Les Béninois, dans leur immense majorité, sont plus pauvres, alors qu’une poignée de dirigeants, de cadres de nos administrations et sociétés d’Etat sont devenus riches, trop riches et trop vite. Ce tableau apocalyptique sonne le glas de la classe politique et permet de conclure que nos hommes politiques et tous ceux qui nous ont gouvernés ont échoué pour leurs missions.
TALON Patrice et AJAVON Sébastien, une nouvelle perspective pour le Bénin.
Hommes d’affaires, opérateurs économiques, lobbies financiers, quel que soit le qualificatif qui leur est attribué, sont assurément des chefs d’entreprises. Mieux, ils jouissent parfaitement de leur droit civique et peuvent donc briguer la magistrature suprême de notre pays. L’argument selon lequel un opérateur économique richissime est un danger pour la fonction présidentielle est une véritable insulte à l’intelligence. Sinon, comment comprendre qu’on puisse associer aux hommes d’affaires le vol et l’appropriation de nos deniers publics ? Tous nos dirigeants qui se sont enrichis par les fonctions qu’ils ont exercées sont-ils des opérateurs économiques ?
Mais pourquoi ne pas penser que ces chefs d’entreprises, forts de leur expérience en gestion, donneraient une nouvelle impulsion à la gouvernance publique ? En tout état de cause, la déliquescence de la classe politique dirigeante a tôt fait, dans les circonstances actuelles d’atermoiement des formations politiques à désigner un candidat pour la présidentielle de Février 2016, d’ouvrir un boulevard à Patrice TALON et Sébastien AJAVON vers les portes de la Marina. Ce ne serait que justice pour le peuple béninois, d’expérimenter une autre manière de gouverner le pays, voire, une chance pour nos deniers publics et la mobilisation de l’investissement privé. En conclusion, l’arrivée en politique active de Patrice TALON et de Sébastien AJAVON relève de la faillite de la classe politique et de son système partisan obsolète. Il est temps que nos hommes politiques se rendent à l’évidence de leurs faiblesses et mettent pour une fois les aspirations du peuple au-dessus de leurs intérêts personnels. C’est ce que je crois.
Léandre GBENOUDON
Economiste de l’Education